Le plus grand delta au monde et le plus densément peuplé, formé par la confluence de trois fleuves, le Gange, le Brahmapoutre et le Meghna, est une fragile dentelle qui subit les assauts du changement climatique. L’issue du combat contre la nature fait peu de doute. L’élévation du niveau de la mer – entre 85 et 140 centimètres d’ici à 2100, selon les scientifiques –, conjuguée au gonflement des rivières avec la fonte des glaciers de l’Himalaya, menace les trois quarts de ce territoire.
Sophie Landrin : « Partout des paysages « postapocalyptiques » où les habitants ne sont plus que des fantômes. Partout des ruines de maisons, dans l’eau ou sur le sol, friable comme un sablé. Partout des « fantômes de l’anthropocène ». Le delta aujourd’hui, marque l’équivalence entre la guerre contre le changement climatique et la guerre contre le terrorisme : dans les deux cas, les gens sont exposés à des ennemis invisibles mais omniprésents qui peuvent frapper à tout moment. Les 200 millions d’habitants du delta vont bientôt compter parmi les premiers réfugiés climatiques indiens. La grande migration a déjà commencé. Mais pour aller où ? L’Inde est devenue le pays le plus peuplé au monde, dépassant la Chine. Il n’y a pas vraiment d’endroit où aller pour ces personnes. L’heure de l’apocalypse a déjà sonné dans le delta du Gange. »
Mais les déplacés climatiques n’ont jusqu’à présent aucun statut juridique international. Ils ne sont pas protégées par la convention de Genève de 1951 qui garantit seulement une protection aux personnes « craignant avec raison d’être persécutées du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ». Notons la duplicité du droit, même dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme : « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. » Le philosophe Etienne Balibar a souligné le caractère ambigu de ce texte, il manque l’obligation pour tout État d’accepter l’entrée des étrangers !
lire, Il n’y a pas de réfugiés climatiques sur cette planète (2015)
Jugement en première instance en 2013 (LE MONDE géopolitique du 24 octobre 2013).
Ioane Teitiota, un père de famille originaire d’un archipel du Pacifique menacé par la montée des eaux, devrait être expulsé vers son pays après avoir été débouté par la justice néo-zélandaise de sa demande d’asile climatique. S’en tenant à la convention de Genève de 1951, la Nouvelle Zélande a fait valoir que personne ne menaçait sa vie s’il retournait chez lui.
Décision de la Cour suprême néo-zélandaise en 2015 (Le Monde.fr avec AFP | 21.07.2015)
Ioane Teitiota n’a toujours pas obtenu le statut de premier réfugié climatique de la planète. Si la plus haute juridiction du pays a reconnu que les Kiribati étaient « incontestablement confrontées à des défis » climatiques, elle a également estimé que « M. Teitiota ne courait pas de “grave danger” » dans son pays natal. « Aucun élément matériel n’indique que le gouvernement des Kiribati manque à son devoir de protéger sa population des effets de la dégradation environnementale, dans la limite de ses moyens. »
Pour en savoir plus grâce à notre blog biosphere
L’inéluctable réchauffement climatique, l’angoisse de l’impuissance (2013)
Réfugiés climatiques, un accueil qui reste inabouti (2015)
Qui dit croissance économique dit réchauffement climatique (2015)
La montée des eaux menace 1,2 milliard de personnes (2016)
Pour certains, misérables, il n’y a même pas de réfugiés tout court.
Ceux-là ne voient d’abord que des… migrants. Et donc des envahisseurs !
TOUS des voleurs, des violeurs et j’en passe, TOUS en trop sur cette terre !
Bref TOUS des nuisibles et des indésirables. Et pas de ça Chez Moi !
Pensez-donc ce que ce statut, international, pourrait changer à leur façon de penser.
– « On parle de 150 millions à 1 milliard de migrants environnementaux (Decrop, 2008) d’ici à 2050 et l’expression «réfugiés climatiques», ou celle plus large de «réfugiés de l’environnement», ont envahi la sphère médiatique. Ces expressions semblent faire consensus alors même que le questionnement principal des parties prenantes s’étend de «comment protéger ces émigrants» à «comment se protéger de ces immigrants». […] Dans ce cadre, l’usage de l’expression «réfugié climatique» prend un sens bien particulier : plus le mot «réfugié» est associé au mot «climatique», plus la spécificité du «réfugié Convention de Genève» disparaît des esprits. […] Le contrôle des frontières de la forteresse Europe s’affranchit ainsi des contraintes de la Convention de Genève et peut indéfiniment être renforcé. »
( Les migrants climatiques et l’accueil des réfugiés en France et en Europe
Luc Legoux – 2010 – cairn info )