L’inflation résulte mécaniquement de l’interaction entre masse monétaire M, prix P et quantités Q, soit la formule M = P x Q
Si l’État (déficit budgétaire et/ou politique de relance) ou bien les circuits bancaires émettent plus de monnaie que nécessaire, il y a donc possibilité d’une poussée inflationniste. D’un autre côté, si la puissance des syndicats entraîne des hausses de salaires généralisées, il se met en place une spirale salaire/prix qui débouche sur l’inflation. A ces explications économiques s’ajoutent des données socio-culturelles ; avec les anticipations des gens, souvent irrationnelles, les croyances sur ce qui va se passer vont entraîner une auto-réalisation. Si tout le monde commence à penser que les prix vont grimper, cela donne l’occasion au système marchand d’augmenter les prix.
Mais les variations des prix obéissent surtout à la loi du marché. Si l’offre est supérieure à la demande, les prix vont baisser pour relancer la demande. Réciproquement si l’offre est inférieure à la demande, les prix vont augmenter pour dissuader une partie des consommateurs. Il y aurait donc équilibre automatique des quantités échangées grâce à la variation des prix. Or nous avons vécu une période de surabondance grâce à la mondialisation des offres, le bas prix de la main d’œuvre dans les pays émergents et le prix ridiculement faible des énergies fossiles. Le jeu pervers des grandes surfaces, faisant courir le client après le prix le plus bas, a psychologiquement désorienté les consommateurs.
Cette période artificiellement faste se termine. Nous allons vers une démondialisation, donc un coût de production qui va être plus élevé dans les pays aujourd’hui développés. Et l’ensemble des sources d’énergie, vu leur rareté croissante, va concourir à l’augmentation inéluctable des prix. Que les gouvernements essayent de donner des chèques énergie ou d’inciter la grande distribution à rogner sur leur marges ne changera pas structurellement la pression à la hausse sur les prix.
Eric Albert : En l’an 301, l’empereur Dioclétien a publié l’« édit du maximum ». Plus de 900 biens de consommation – y compris un lion mâle – étaient désormais soumis à des prix plafonnés. Exténué et appauvri par des guerres permanentes, l’empire romain peinait alors à payer ses soldats et avait progressivement réduit la quantité d’argent dans ses pièces. Cette dévaluation qui ne disait pas son nom avait progressivement provoqué une forte poussée d’inflation. D’un autre côté se trouvent les monétaristes, menés par Milton Friedman. Pour eux, l’inflation est directement la conséquence de la quantité de monnaie. Faux, répondaient les banques centrales depuis quinze ans : il n’y a qu’à voir les énormes achats de dettes menés depuis 2008, après la grande crise financière, qui n’ont provoqué aucune inflation jusqu’en 2020. Les banques centrales ont développé depuis une quarantaine d’années une nouvelle doctrine, qui repose sur un concept-clé : les anticipations d’inflation. L’idée consiste à dire que si les ménages et les entreprises anticipent que les prix resteront stables, alors ils n’ont pas de raison de demander des hausses de salaires exorbitantes ou d’augmenter les prix de leurs marchandises trop fortement. Aucune spirale inflationniste ne peut ainsi démarrer.
Quelques réactions à cette analyse d’Eric Albert
Saint-Thomas : Et toujours pas une idée par rapport à la quantité de biens physiques (mot inconnu pour les économistes) ? Si on réduit la quantité de marchandises en circulation (par exemple le gaz venant de Russie) avec la même quantité de monnaie en circulation, ça fait monter mécaniquement les prix…
Silgar : Les économistes peinent à appréhender les réalités physiques (énergie, déchets et pollutions, externalités négatives de toutes sortes, disponibilité des ressources naturelles, renouvellement des ressources renouvelables, etc.) qui conditionnent l’existence des flux qu’ils commentent. N’est-ce pas Jean-Baptiste Say qui, en 1803 dans son Traité d’économie politique, affirmait : « Les ressources naturelles sont inépuisables, car sans cela nous ne les obtiendrions pas gratuitement. Ne pouvant être ni multipliées ni épuisées, elles ne sont pas l’objet des sciences économiques. »
Peps72 : Et pour rappel, les 2 grandes types d’inflation sont l’inflation par les coûts (dont on vit un magnifique exemple grandeur nature depuis 1 an, avec la hausse du prix du blé, du gaz, du pétrole…) et l’inflation monétaire (dont la Turquie vit un magnifique exemple grandeur nature depuis plus d’un an, avec une baisse drastique des taux de la Banque Centrale qui a fait exploser le crédit, et donc l’inflation)…
TJM : Une dimension passée sous silence de l’inflation est la multiplication des intermédiaires entre le producteur et le consommateur. Quand la chaîne entre producteur et consommateur est trop longue et que chaque intermédiaire prend son pourcentage alors les prix vont forcément augmenter. C’est une des conséquences de la mondialisation qui a étiré cette chaîne des intermédiaires jusqu’aux extrémités de notre planète.
DRoman : Les polémiques économiques prouvent simplement que l’économie n’est pas une science, mais un « art », à savoir une discipline dans laquelle les interactions ne sont pas mécaniques, mais influencées par bien d’autres éléments que l’économie : la sociologie, l’histoire, les coutumes, etc. Mais cela, il y a très peu d’économistes qui l’admettent.
He jean Passe : C’est pas compliqué : 8 milliards d’humains se partagent des ressources naturelles limitées alors qu’ils étaient 1 milliard il y a 2 siècles. Donc tout pourrait devenir plus cher et rare durant des décennies.
Michel SOURROUILLE : Il est difficile d’imaginer les passagers d’un paquebot en train de couler qui regarderaient par-dessus la rambarde l’eau qui monte avant de retourner à leur partie de carte ou devant leur télé, mais ce type de comportement est loin d’être rare par les temps qui courent. Nous avons connu une telle abondance pendant si longtemps que la plupart d’entre nous semblent avoir oublié qu’il existe des limites que ni une dette, ni une pirouette ne peuvent faire disparaître.
Nos articles antérieurs sur ce blog biosphere
L’étroit chemin entre inflation et stagflation (mars 2022)
extraits : Depuis Keynes, on sait qu’il suffit de dépenser d’abord, y compris par un déficit budgétaire, et le résultat final de la relance économique va permettre de rembourser largement l’emprunt initial avec une inflation temporaire. Le problème actuel, posé à tous les plans de relance du type Green Deal US ou Pacte vert de l’UE, c’est que la croissance économique est définitivement dernière nous par épuisement des ressources naturelles, d’où remboursement des dettes impossibles ! Il va falloir gérer la pénurie, situation que Keynes ne pouvait envisager à son époque d’abondance des ressources fossiles. On ne peut plus miser sur une relance des salaires, des dépenses sociales et des investissements « verts ». Nous allons bientôt retrouver la stagflation en vigueur dans les années 1970, une stagnation des activités économiques (donc un chômage surmultiplié) et une inflation galopante. C’est inéluctable…
notre avenir, stagflation et âge de fer (août 2011)
extraits : Le quotidien LE MONDE nous énerve. Son dossier* du jour ne parle que de relance de la croissance et d’impossibilité de l’inflation. Les « experts » ont déjà oublié que la période qui a suivi le premier choc pétrolier a été caractérisée par la stagflation, ce mélange de stagnation économique et d’inflation. La montée du prix de matières premières qui nous guette va aboutir inéluctablement au même phénomène. Car notre modèle de développement, qui repose sur la croissance économique et un accroissement continu du prélèvement des ressources, se heurte à la finitude de la planète…
Nous avions P = mg ; Q = RI ; I = PAT et j’en passe … et maintenant M = PQ
L’économie nous est présentée comme une science (connaissance), avec ses mécanismes régis par des règles, des lois, des formules etc. Et c’est avec ça que la plupart des économistes et des politiques, pas qu’eux, s’entêtent à penser le monde et à chercher des solutions dans le cadre de cette économie dite orthodoxe. De leur côté les ingénieurs, pas qu’eux, continuent à croire (comme on croit en Dieu) en la Technoscience, mère des Innovations et du Progrès, qui progresse pour des siècles et des siècles amen. Ou encore cette croyance selon laquelle la compétition (la guerre) est inscrite dans les gènes de l’Homme. Toutes ces belles âmes ne font que réciter le Catéchisme, elles restent prisonnières du Système et de sa Pensée Unique.
Tout doit être démoli, repensé etc. (décolonisation des imaginaires).
( à suivre )
Enfin tout… faudrait pas non plus jeter le bébé avec l’eau du bain, comme ON dit…
Non, là encore il faut savoir séparer le bon grain de l’ivraie.
Quelles histoires, quelles politiques, quels politiques, quels économistes, quels curés, quels prophètes, quels penseurs, etc. etc. etc. ? Quelles formules faut-il jeter, et lesquelles faut-il garder ?
– Bernard Maris, à la recherche de « l’autre économie »
( 01 JUILLET 2015 – alternatives-economiques.fr )