L’homme est un animal intelligent, mais une intelligence biaisée. Notre substance grise est avant tout une machine à modéliser, nous ne percevons qu’une fraction de ce que nous croyons vivre. Place à la simplification. Car si notre cerveau traitait intégralement chaque élément d’information reçu, il nous faudrait consommer environ 100 kg de glucose par jour. La zone de confort sans effort dans laquelle s’installe notre cerveau est un véritable piège : besoin irrépressible de logique et de cohérence univoque, mémoire associative en roue libre, appétence faible pour le calcul et les statistiques, curiosité limitée, affect sur-développé, croyances très ancrées… Il s’agit le plus souvent de remplacer une question difficile, par exemple « Qu’est-ce que je pense de cette situation ? », par une question beaucoup plus facile, comme « Qu’est-ce que je ressens ? » L’émotionnel l’emporte sur le rationnel. Le marketing, la propagande, les discours complotistes exploitent massivement les biais cognitifs.
Les « biais cognitifs » ne constituent pas une découverte révolutionnaire des neurosciences, c’est littéralement le sens du mot préjugés, l’ensemble de nos a priori. Une des premières tendances est d’attribuer plus de confiance aux informations qui confirment nos propres croyances plutôt qu’à celles qui les contredisent… Le biais de conformisme facilite l’intégration à des groupes, le biais de négativité incite à la prudence, etc. Les biais cognitifs, qu’on peut définir comme des déviations inconscientes de la réflexion, façonnent notre rapport à la réalité telle que nous voulons la voir.
Voici un panoramique de tout ce qui nous fait prendre les vessies pour des lanternes et les fake-news pour la post-vérité.
L’effet de loupe, le fait qui fait diversion
extraits : Les médias nous défrisent, les réseaux sociaux encore plus, ils cultivent ce qu’on appelle en sociologie l’effet de loupe. Ils montrent une réalité qui existe, certes, mais qui est tellement minoritaire qu’elle ne nécessiterait même pas une brève. Normalement le journalisme, c’est l’art de trier entre l’anecdotique et l’essentiel, sinon les pages d’un média se remplissent de vide. Mais à force d’être diffusés en boucle sur les réseaux de communication, un micro-évènement sature l’espace public et devient la dernière question à la mode dont il faut causer. Le problème, c’est que cela nous détourne de l’essentiel, nous rentrons dans le domaine du commérage et en oublions de réfléchir. C’est le règne des faits divers. Une spécialité des journaux télévisés qui en ouverture nous disent qu’il fait très chaud…
Le biais d’ancrage : quand la première information éclipse la suite
extraits : Le biais d’ancrage est un des moteurs principaux de la désinformation et du complotisme. Pour schématiser, le cerveau fonctionne de deux façons : de manière rapide et intuitive ou sur un autre mode, plus lent et réflexif. Le mode rapide cherche, par association d’idées, des éléments permettant de se rapprocher de la donnée qui a été « ancrée » dans notre cerveau. Ce n’est que dans un second temps que le système de traitement de l’information plus réflexif tente, par un ajustement, de trouver des raisons de s’éloigner de l’ancre, le plus souvent sans grand succès. Notre cerveau doit en effet lutter contre son fonctionnement premier, intuitif. Couplé au biais de confirmation (face à la contradiction, perçue comme insupportable, le cerveau humain cherche à confirmer ses croyances), le biais d’ancrage se révèle particulièrement robuste pour geler les jugements et figer les croyances… Nous limitons nos sources d’information à quelques médias, site, blogs ou publications qui viennent renforcer nos idées (biais de confirmation).
L’interaction spéculaire, on fait comme les autres
extraits : S’il est une nature humaine, elle se réalise dans l’interaction avec autrui. S’il est une société, elle émerge des interactions entre les individus. Cette hypothèse s’appelle l’interaction spéculaire (« relatif au miroir »). Je me réalise en échangeant avec autrui des modèles du monde formés par ces échanges et qui contiennent un modèle de ces échanges. La société est un système de représentations croisées entre individus : je me représente la manière dont les autres se représentent les choses et moi-même. L’individu soumis à une dictature ne se demande pas s’il veut renverser le régime, mais seulement s’il le ferait au cas où un certain nombre d’autres le feraient aussi. Chacun étant placé dans la même situation que les autres, le dictateur s’effondrera non en fonction de la volonté de tous, mais de leurs représentations croisées, c’est-à-dire en fonction des anticipations que chacun effectuera sur la capacité effective de ceux qui l’entourent à se révolter…
Quelques expériences de psychologie comportementale
Psychologie cognitive et souvenirs recomposés
extraits : Elizabeth Loftus jugeait la mémoire humaine si malléable que son idée en 1991 est d’induire un souvenir fabriqué de toutes pièces en situation expérimentale : « Comme s’être perdu dans un centre commercial quand on était enfant »…
Nous sommes des moutons et fiers de l’être
extraits : Au début des années 1950, le psychologue américain Solomon Asch étudie les capacités de résistance de l’individu. Il avait espéré que son étude montrerait les capacités de résistance de l’individu. Il ne connaissait pas encore la psychologie humaine ! 76 % de ses cobayes se rallièrent au moins une fois – et 11 %, toujours – à l’avis incorrect de la majorité..
Notre striatum ne dit rien de nos besoins
extraits : Selon deux psycho-chercheurs,Thierry Ripoll et Sébastien Bohler, l’insatiable soif de croissance de l’humanité et la crise globale qui en découle seraient la conséquence de notre « câblage » cérébral.Le cerveau des vertébrés et des mammifères possède des structures cérébrales profondes, dont le système de récompense est, en son centre, le striatum. Cette structure nerveuse incite les êtres vivants à accomplir des comportements sans limites fixées a priori, en leur donnant du plaisir sous forme d’une molécule, la dopamine. Aujourd’hui, nous continuons à produire de plus en plus de nourriture, de plus en plus riche, pour cette partie fondamentale de notre cerveau, qui n’est pas programmée pour s’auto-limiter…
Fake news dans la fenêtre d’Overton
extraits : Forgée dans les années 1990 par Joseph P. Overton, alors vice-président des lobbyistes du Mackinac Center for Public Policy, l’idée centrale de la fenêtre d’Overton est que les idées jugées « acceptables » par le plus grand nombre au sein d’une société particulière constituent un ensemble, une « fenêtre ». Pour réussir à emporter l’adhésion du public, il est préférable de se situer d’emblée à l’intérieur de la “fenêtre” d’Overton. Or, cette fenêtre se modifie en fonction des normes sociales et morales dominantes…
Pour en finir avec l’exaltation de SOI
extraits : Comme disait Gandhi quand on lui demandait : « Comment faites-vous toutes ces choses altruistes tout au long de l’année ? » Il répondait : « Je ne fais rien d’altruiste. J’essaie de progresser dans la réalisation de Soi. »… Vous remarquerez que Descartes dit deux fois « je » dans son « je pense, donc je suis ». Il fonde tout seul sa vérité, tout ce qui vit autour de lui n’existe plus ! Le dualisme cartésien est un mode de pensée qui divise l’esprit et la matière, sépare le corps et l’esprit, et considère le monde comme une série d’objets à analyser et à contrôler. Arne Naess propose une humanisation écologique par la pleine réalisation de soi, qui devient « Soi » en s’ouvrant à l’ensemble de l’écosphère, à tous les êtres humains et aux espèces animales…
– « À force de répétitions et à l’aide d’une bonne connaissance du psychisme des personnes concernées, il devrait être tout à fait possible de prouver qu’un carré est en fait un cercle. Car après tout, que sont » cercle » et » carré » ? De simples mots. Et les mots peuvent être façonnés jusqu’à rendre méconnaissables les idées qu’ils véhiculent. » ( Joseph Goebbels )
Si la manipulation mentale n’était que la spécialité des prestidigitateurs ça ne serait pas bien grave. Ce serait même super. Un lapin qui sort d’un chapeau, une vessie transformée en lanterne, abracadabra et voilà, moi je trouve ça génial. C’est le genre de truc qui titille ma curiosité, qui me pousse à appliquer le célèbre « Connais-toi toi même ». ( à suivre )
Hélas cette activité (spécialité) est surtout utilisée à d’autres fins que celles de distraire ou rendre plus intelligentes les pauvres marionnettes. Flatter, épouvanter, enfumer etc. cet «art» s’apprend dans les «grandes» écoles, d’où sortent les plus gros marchands de salades. Ceux qui «réussissent» dans le commerce, management, et la politique bien sûr.
– « Si nous avions un vrai système d’éducation, on y donnerait des cours d’autodéfense intellectuelle. […] Les citoyens des sociétés démocratiques devraient prendre des cours d’auto-défense intellectuelle pour se protéger contre la manipulation et le contrôle.» ( Noam Chomsky )
Je ne peux donc vous conseiller meilleur remède :
PETIT COURS D’AUTODÉFENSE INTELLECTUELLE ( Normand Baillargeon )