Aujourd’hui riche de 281 membres, 117 associés étrangers et 58 correspondants, élus parmi les scientifiques français et étrangers les plus éminents, l’Académie des sciences est pluridisciplinaire. Il y a des prix Nobel, des médailles d’or du CNRS, des chevaliers dans l’Ordre national du mérite ou de la Légion d’honneur, que du beau monde, où ne peut que régner l’interaction spéculaire. Le mode de désignation des membres de cette Académie, l’analyse de leur CV et leur lien existant ou non avec l’industrie (conflit d’intérêt) permettrait d’en savoir plus et de manière objective sur le degré de connivence avec les pouvoirs économique et politiques. De même il faudrait connaître les modalités de prise de décision sur une thématique précise avec des scientifiques représentant des disciplines très différentes.
Le 10 novembre 2023, la vénérable compagnie a publié un communiqué (que nous reproduisons en annexe) en soutien implicite à la proposition de la Commission européenne de déréguler les cultures issues des nouvelles techniques génomiques (NGT). En dehors des absurdités énoncées par l’Académie des Sciences sur les ciseaux moléculaires (on croule pourtant sous les articles sur les off-targets), on y lit (point 2) que cette technique ayant été utilisée pour le traitement d’anémies génétiques serait en soi une justification scientifique et (point 8 ) une opinion sur les conflits d’intérêts qui laisse pantois : « L’invocation perpétuelle de conflits d’intérêt qui biaiserait le jugement de scientifiques compétents ne peut être généralisée ». Laissons la parole à deux avis diamétralement opposés.
Stéphane Foucart, journaliste du MONDE
Le mésusage de l’autorité scientifique est un fléau dont l’Académie des sciences française vient, une nouvelle fois, d’offrir une impeccable illustration. Bruxelles souhaite exempter une grande part de ces « nouveaux OGM » d’étiquetage, de traçabilité, et de toute évaluation des risques sanitaires, environnementaux ou socio-économiques. Dans le document de l’Académie on peut lire : « Contrairement aux technologies de production des OGM, y lit-on, les ciseaux génétiques coupent de façon précise l’ADN et permettent de le modifier précisément sans laisser la moindre trace artificielle dans le reste du génome. » Les effets non intentionnels des NGT sur des zones non ciblées du génome sont en réalité attestés par de nombreux travaux. L’institution contourne aussi soigneusement d’autres risques liés aux NGT – notamment socio-économiques –, qu’il s’agisse de leur brevetabilité, des effets de la position dominante des géants du secteur, de la diffusion de traits aux espèces sauvages, de la coexistence avec l’agriculture biologique, etc. L’Académie des sciences s’inscrit là dans une spécificité très française, qui voit les académies scientifiques nationales se poser bien souvent en relais naturels de l’industrie.
L’Académie des sciences s’est déjà prononcée contre le principe de précaution (2004), pour l’exploration du gaz de schiste en France (2013) et a été, dès le milieu des années 2000 et pendant plus d’une décennie, le bastion tricolore du climatoscepticisme. En décembre 2002, l’Académie des sciences prenait déjà fait et cause pour les OGM de première génération et leurs bénéfices potentiels : rendements et qualités nutritives améliorés, résilience aux stress, usages moindres de pesticides… Aucune de ces promesses n’a été tenue, sinon de manière anecdotique. Sa position actuelle sur les NGT suggère que ni la crise écologique ni l’aggravation de ses effets ne l’ont convertie à une culture de la précaution.
Un ingénieur agronome et généticien (correspondant de ce blog)
Il me semble qu’il faut éviter de se laisser enfermer dans cette problématique du nombre de mutations induites et conservées dans les variétés commerciales. Ce débat ne mène nulle part en terme d’évaluation d’un « risque potentiel », dans la décision de mettre une nouvelle variété sur le marché. Si l’on prend comme base de réflexion le travail du sélectionneur, il faut avoir à l’esprit qu’il repose sur une évaluation au champ des plantes issues d’un quelconque processus d’induction de la variabilité disponible pour la création variétale. Et ce travail offre des probabilités différentes d’obtenir « la plante recherchée », selon les « méthodes de modification » appliquées, lesquelles peuvent nécessiter un plus ou moins nombre de plantes à observer, mais aussi plus ou moins de temps. De plus, à chaque étape du processus de sélection, les plantes qui ne correspondent pas au type recherché sont « mises à la poubelle », et cela sans aucun été d’âme. Ce dernier aspect distingue très nettement les sélectionneurs de plantes, des médecins qui cherchent à guérir une maladie chez l’homme, ces derniers ne peuvent travailler que sur un nombre très limité d’organes ou d’organisme selon, en particulier, s’il s’agit d’induire des modifications somatiques ou transmises à la descendance. C’est en particulier ce qui me fait dire qu’il ne faut pas se laisser entraîner dans le débat sur les off target repérées ou non.
Donc in fine, je pense que ceux qui s’opposent aux biotechnologies végétales sont de mauvaise fois lorsqu’ils tentent d’argumenter sur le plan scientifique, alors que leur véritable motivation est idéologique et politique. Ma perception sur le débat sociétal qui s’est instauré depuis plusieurs décennies est qu’il a été un piège dans lequel nous nous sommes laissé entraînés, sans comprendre qu’en fait, nous n’avons pas perçu que la Société avait évolué. Dit autrement, notre génération a été formée dans l’idée que les évolutions technologiques ne pouvaient qu’être positives pour la société, alors que la société perdait confiance dans le « progrès », voir rendait les technologies responsable de tous nos maux.
Cette démarche explique la position que j’exprime sur la place et le rôle des Sciences et des Technologies dans l’organisation sociale et économique de la Société. Mais, je pense que nous devons accepter que la société crée les conditions pour garantir que les produits issus de ces Nouvelles Technologies ont été évaluées, qu’ils ne présentent, au pire, que des risques très limités et que tout est fait pour que, s’ils devaient apparaître, ceux-ci seraient gérés correctement et efficacement.
Synthèse biosphèrique
L’essentiel du message de Foucart ne peut pas être remis en cause : l’Académie des sciences a déjà fauté plusieurs fois par rapport à la rigueur scientifique dont elle se prévaut.
De plus son avis technoscientifique ignore les conséquences socio-économiques de son agriculture de laboratoire : industrialisation de l’agriculture, destruction de l’emploi agricole, accroissement de la taille des parcelles et nivellement des paysages. Un quart de siècle d’OGM a fait exploser le recours à la chimie et enfermé les exploitants dans une dangereuse spirale de dépendance aux herbicides de synthèse. Sans compter l’adaptation galopante des adventices aux produits courants.
C’est le problème de la technoscience, la science utilisée comme paravent pour la marchandisation des humains et du vivant dans son ensemble. Et croire comme l’expert en OGM que « la société » met en place des moyens pour nous protéger des dérives technologiques, c’est ne pas voir la réalité telle qu’elle est : un monde déstructuré et souvent détruit durablement par nos prouesses technologiques. In fine, on peut à juste titre penser que ceux qui sont partisans des biotechnologies végétales sont de mauvaise fois lorsqu’ils tentent d’argumenter sur le plan scientifique puisque leur véritable motivation est idéologique et politique.
Annexe. « De l’intérêt des plantes génétiquement éditées » selon l’Académie des sciences
En juillet 2023, la Commission européenne a proposé d’autoriser l’usage des « ciseaux génétiques » pour l’amélioration des plantes sans considérer leurs produits comme des organismes génétiquement modifiés (OGM). Des voix s’élèvent contre cette proposition. Face aux inquiétudes et questionnement compréhensibles, suscités par ces prises de positions hostiles, l’Académie des sciences, consciente de l’importance d’une information venant des scientifiques, tient à rappeler les points suivants, largement partagés avec les académies des sciences étrangères.
1 – Les ciseaux génétiques constituent une avancée scientifique majeure. Sa portée va bien au-delà de la question de savoir ce qui est ou n’est pas un OGM. Elle permet de mettre au service de l’homme et de la planète une grande partie du savoir scientifique acquis depuis plusieurs décennies grâce à la génétique moléculaire
2 – L’édition génétique des génomes, pratiquée grâce à ce nouvel instrument, a déjà permis des avancées dans le domaine de la santé humaine comme le traitement d’anémies d’origine génétique.
3 – S’agissant des plantes, leur usage conduit notamment à accélérer des procédés de « sélection naturelle » utilisés par l’homme depuis des millénaires pour améliorer les plantes comestibles,notamment leur valeur nutritive. Il permet de le faire en connaissance de cause donc de façon rapide et sûre, plutôt qu’au hasard des mutations et des croisements conventionnels, dont les risques, comme l’introduction de gènes délétères ne sont généralement pas évalués.
4 – L’innocuité des OGM pour la santé humaine et animale, auxquels ses détracteurs assimilent l’édition génétique, a été démontrée. Ils sont en effet utilisés depuis de nombreuses années dans plus de la moitié du monde.
5 – Il est parfaitement légitime de s’interroger sur les problèmes soulevés par l’agriculture intensive et l’agro-industrie, mais ceux-ci se posent indépendamment des plantes génétiquement éditées. Il existait une industrie et un commerce des semences bien avant que l’édition du génome soit mise au point.
6 – Il parait plus judicieux d’analyser la pertinence de telles ou telles applications de l’édition du génome des plantes que de se priver de cette technologie. On peut à juste titre considérer que la production d’espèces végétales résistantes aux herbicides n’est pas un progrès. En revanche, développer des plantes adaptées à des conditions plus sévères de température ou de sécheresse contribuera à limiter les conséquences du réchauffement climatique (même s’il faut aussi agir sur ses causes). Ce seront les populations plus démunies, les plus vulnérables en ce qui concerne l’accès à l’alimentation qui en seront les premiers bénéficiaires. Développer des plantes d’intérêt pour la santé humaine comme le riz doré utilisé aux Philippines pour combattre les carences en vitamine A et ce sans but lucratif ou demain des tomates sources de vitamine D représente un autre domaine d’application prometteur.
7 – Le blocage systématique des cultures OGM et celui, maintenant réclamé par les détracteurs de l’édition génétique, est de ce fait plus que discutable lorsqu’il s’agit de propositions de progrès scientifiques utiles à l’humanité. Il convient de faire en sorte que les conditions d’utilisation des plantes éditées respectent ce principe mais pas d’interdire de facto leur utilisation raisonnée. Leur usage doit être bien sûr réglementé.
8 – L’invocation perpétuelle de conflits d’intérêt qui biaiserait le jugement de scientifiques compétents ne peut être généralisée, même si la communauté scientifique doit être attentive à cette question
9 – Le principe de précaution n’est pas un principe d’abstention, mais de rationalisation des risques irréversibles.
10 – Nous avons besoin et aurons besoin de beaucoup de science (et de moins d’idéologie), si nous voulons léguer à nos successeurs une planète plus habitable.
En savoir plus grâce à notre blog biosphere
Cl. Allègre enterré par l’Académie des sciences
extraits : Claude Allègre était membre de la vénérable académie des sciences. Pendant les années 2007-2015, l’Académie a été paralysée sur le sujet climatique par un petit groupe de climatosceptiques menés par le géochimiste Claude Allègre et le géophysicien Vincent Courtillot. Ils bloquaient les débats sur le sujet, ainsi que l’élection de certains climatologues à l’Académie…
Le colloque « Face au changement climatique, le champ des possibles », qui s’est déroulé les 28 et 29 janvier 2020 à Paris, change la donne. C’est le premier organisé sur le climat en présence du grand public. « Chaque degré de réchauffement compte, chaque année compte et chaque choix compte », ont conclu les intervenants. Que de temps perdu ! », s’est exclamée la climatologue Valérie Masson-Delmotte : « Il y a dix ans, j’ai porté un appel signé par près de mille scientifiques du climat en France, qui a poussé l’Académie des sciences à mener un débat scientifique confidentiel et approfondi sur le climat. Je pense que l’Académie des sciences a perdu dix ans en ne jouant pas son rôle de transmission, partage et transformation de la société. »…
la science n’aime pas l’Académie des sciences
extraits : La science déteste le secret car elle aime partager. L’Académie des sciences cultive le secret, la science n’aime pas l’Académie des sciences. Cette « Académie » ne s’intéresse pas à la science mais à la politique (économique). Prenons l’exemple de son rapport de 2004 sur les nanotechnologies : « Ce monde est porteur d’une évolution industrielle majeure, celle des nanotechnologies, qui permet d’organiser la matière à l’échelle de l’atome. Les implications sont considérables dans tous les secteurs. Quelques réalisations existent déjà, d’autres restent encore aujourd’hui du domaine du rêve, mais qui se matérialisera bien vite. Ce rapport présente les applications actuelles, il présente également des recommandations visant à faire en sorte que la recherche française défende son rang au plan international. » L’Académie dite des sciences valorise les applications de la science, pas la science elle-même…
Que de grandes applications aurions nous perdues si de « véritables » scientifiques ne s’étaient « compromis » à imaginer le prolongement de leurs travaux par de fantastiques développements – à l’exemple de Pasteur ! Et, inversement, nous n’aurions pas bénéficié de certains développement technologiques si des ingénieurs n’avaient pas été également de « véritables » scientifiques.
En un mot, il ne peut y avoir de cloison étanche entre science et technologie, mais il faut se garder de les confondre, et pour avoir moi-même travaillé dans les deux espaces je sais que l’une ne se fait pas sans l’autre et que « l’industrialisation » n’est pas infamante.
Que penser de ce communiqué ?
Sur les points 1-2-3 et 5, et même 6, je ne vois pas trop ce qu’il y a à redire. Sur le 4 , ce n’est pas parce que quelque chose n’est pas prouvé (démontré) que ça n’existe pas. Et ça tout scientifique le sait. Le 7 découle du 4. Parler de réglementation et d’une «utilisation raisonnée» ne nous avance à pas grand chose. Surtout quand c’est le monde du Pognon qui nous dicte ce qu’il faut penser, faire ou ne pas faire etc. Et que c’est encore lui qui nous définit le sens du Progrès. Justement le point 8 nous le confirme. Comme les conflits d’intérêts (Pognon) sont impossibles à nier (tant les preuves sont nombreuses) ON nous dit qu’il ne faut surtout pas en faire une règle générale. Ben voyons, à l’Académie française peut-être, et encore… mais là ! Le 9 nous enfume. En tordant les mots, le principe de précaution devient le principe de … rationalisation. ( à suivre )
Et bien sûr le Chef a toujours raison. Normal, puisqu’il détient la science infuse.
Autrement dit, la raison du plus fort (Le Pognon) est toujours la meilleure.
Et le 10 enfonce le Clou.
Quant à l’article de Stéphane Foucart, la seule chose que je pourrais lui reprocher (un détail) est cette phrase : «Une information « venant des scientifiques »… mais desquels ? Le texte, non signé, ne le précise pas…» Et quand bien même ce communiqué serait signé, qu’est-ce que ça change ? L’Académie des sciences n’est quand même pas un machin du genre confrérie secrète, son président et ses membres, sont connus. Comme sont connus tous ces scientifiques en désaccord, et qui font entendre d’autres sons de cloches.
Après c’est toujours pareil, c’est ce que je disais précédemment. D’un côté ceux qui disent Y’ABON les OGM et de l’autre ceux qui disent BEURK les OGM !
Il ne s’agit hélas que d’un élément de plus de la fuite en avant technologique qui nous conduira au pire. Cette volonté de soutenir une forme de croissance par tous les moyens au détriment de la prudence et de l’équilibre de la biosphère conduira au contraire à une décroissance brutale, dévastatrice, douloureuse.
Nous nous rendons dépendants de la science dans ses excès, nous nous rendons fragiles en nous croyant puissants. Nos successeurs seront sans doute peu tendres envers nous, et avec raison. Nous aurons été stupides.
Comptez ceux qui s’opposent réellement à la sacro-sainte Croissance, peu importe sa couleur. Comptez ceux qu’ON présente comme des affreux… ceux qu’ON qualifie de technophobes, saboteurs, terroristes et j’en passe. Comptez ceux qui sont capables de penser la Technique comme l’ont fait Ellul, Charbonneau et d’autres.
Comptez tout simplement les penseurs, du moins ceux qui restent.
Dans la plupart des têtes la Croissance (matérielle) est directement associée au Progrès. Lui même associé à la Technoscience. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit, amen.
Cette fuite en avant n’est qu’une suite logique. La logique des Shadocks.
Seulement les Shadoks ne sont pas seulement bêtes. En plus ils sont méchants.
Citez-moi un machin, quel qu’il soit, qui ne soit pas inféodé au monde du Pognon (Business).
C’est le Pognon qui dirige le monde, il est donc normal de le retrouver partout, non ?
En tous cas je ne vois pas là de quoi s’étonner. Certes ON peut le Déplorer.
La Science c’est la Connaissance. Faut-il être CONTRE ? Si oui pourquoi ?
Un progrès scientifique n’est rien d’autre qu’une avancée dans le domaine de la Connaissance. Les connaissances avancent (progressent) notamment grâce à la Recherche, qui nécessite évidemment des moyens (humains + matériels => pognon).
Quel est le problème cette fois ? Que dit ce communiqué de presse de l’Académie des sciences, pourquoi est-il controversé, etc. ? Mais déjà de quoi est-il question, cette fois ?
Des OGM. Eh ben voilà, il suffit juste de prononcer 3 lettres pour provoquer un tsunami.
Remarquez que d’autres font aussi bien l’affaire : ARN, EPR, ITER, IA et j’en passe.
( à suivre )
Face à ce problème, de tsunami, il y a deux solutions. La première consiste à faire disparaître la Cause. C’est à dire ici les 3 lettres problématiques.
Adieu les OGM bonjour les NGT. Avec ça ON est tranquille, pour un certain temps.
C’est à dire jusqu’à ce que le Vulgum Pecus percute et comprenne.
La seconde consiste à expliquer la Chose. Communiquer comme ON dit.
Dans notre affaire il s’agit juste de faire comprendre au Vulgum Pecus ce qu’est un OGM, un gène etc. etc. L’amener au moins au niveau d’un Master de biologie quoi.
Et après tout pourquoi pas ? Sauf qu’il restera un autre problème…
Décidément ON n’en sort pas. Ben oui faut comprendre… tout ça c’est compliqué, ça prend du temps, et puis c’est fatigant.
En plus, entre ceux qui disent Y’ABON OGM et les autres OGM BEURK, eh ben ON n’a pas le cul sorti des ronces. Et c’est pour TOUT (et n’importe quoi) pareil !
La suite poserait t-elle un problème ?