Être objecteur de conscience en Suisse

Il serait dangereux de se laisser aller à un antimilitarisme sommaire : un peuple a le droit et le devoir de se défendre contre une agression extérieure. Autrement dit, la remise en question de la défense armée ne peut aller sans la recherche d’une autre forme de défense. Certains préconisent un système de défense qui consiste à armer la population et à fonder la résistance sur des milices populaires. Les partisans de cette défense populaire armée se réfèrent aux divers exemples de guérilla, mouvements de résistance armée sous l’occupation nazie, guerres de libération dans le tiers-monde, etc. Ni la Suisse ni la Chine, pourvu d’un tel système, n’ont eu à faire face à une invasion. Mais si cela arrive, la guérilla n’est possible que si un pays ami ou limitrophe peut servir de sanctuaire, d’appui logistique. De plus les traitements réservés aux populations civiles qui ont eu à subir des années de guérilla, ratissages, massacres, tortures, viols, déportations entraînent un coût humain qui paraît souvent démesuré. Il ne paraît donc nullement déraisonnable d’étudier la possibilité d’une stratégie de défense non armée.

Ce n’est pas la préoccupation de la Suisse où l’objecteur de conscience a longtemps servi de gibier.

Dictionnaire historique de la Suisse

On appelle objecteur de conscience celui qui, en raison de ses convictions, refuse d’accomplir le service militaire obligatoire, inscrit en 1874 dans la Constitution fédérale de la Suisse (art. 18). Une pétition, rejetée par le Conseil fédéral, lança en 1903 le débat politique sur l’introduction d’un service civil. Le Code pénal militaire de 1927 (art. 81) distinguait pour la première fois l’objection de la désertion, mais sans la dépénaliser. La révision de ce Code en 1950 amena des allégements dans l’exécution de la peine pour les cas de refus de servir dus à des motifs religieux ou à une grave détresse morale. La révision de 1967 du Code pénal militaire élargit, en ajoutant aux motifs religieux les motifs éthiques, l’éventail de ce que l’on reconnaissait comme refus de servir pour raisons de conscience. On réduisit pour ces «vrais objecteurs» la durée des peines de prison et on leur facilita la dispense de service armé. Une pétition lancée en 1989 aboutit à l’inscription d’un service civil dans la Constitution (révision de l’art. 18 approuvée en 1992 par 82,5% des voix; art. 59 de la Constitution de 1999). Le principe du service militaire obligatoire fut maintenu, mais la loi prévoyait un service civil de remplacement pour les personnes astreintes au service militaire qui démontraient de manière crédible, lors d’un soi-disant examen de conscience, qu’elles ne pouvaient concilier le service militaire avec leur conscience. La loi sur le service civil et l’ordonnance d’application entrèrent en vigueur en 1996. L’examen de conscience, trop compliqué, fut supprimé en 2009 et remplacé par la «preuve par l’acte». Celle-ci oblige les objecteurs de conscience à effectuer un service civil de remplacement d’une durée une fois et demie plus longue que le service militaire.

Une motion et une initiative visant à réhabiliter les objecteurs de conscience qui avaient été condamnés par le passé, furent rejetées au niveau parlementaire respectivement en 2000 et 2019.

Université de Genève, mars 2019

La Suisse comptait près de 50 000 personnes admises au service civil à la fin de l’année 2017. Pour éviter de porter l’uniforme, il a suffi à ces objecteurs de s’inscrire via le portail internet mis à disposition par l’administration fédérale et de suivre une journée d’introduction obligatoire. Les choses n’ont cependant pas toujours été aussi simples. Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi sur le service alternatif, en 1993, plus de 20 000 jeunes citoyens ont en effet payé de la prison leur refus de porter l’uniforme, avec des peines pouvant aller jusqu’à 3 ans de réclusion. Même si un retour en arrière n’est pas à exclure, le Conseil fédéral affichant clairement la volonté de réduire de façon substantielle le nombre d’admissions au service civil, le recours à de telles extrémités semble désormais appartenir au passé.

Mais ce n’est pas le cas partout. Certains États, comme Singapour, la Turquie, la Corée du Sud ou encore l’Érythrée restent aujourd’hui encore très réticents à mettre en place une alternative au service militaire obligatoire, quand ils ne continuent pas à prononcer de lourdes peines à l’encontre des individus qui refusent de porter les armes pour des questions de conscience.