Comment parler des chocs écologiques sans renoncer à la complexité et sans ennuyer ? Faut-il rassurer les individus ou, au contraire, les effrayer pour les mobiliser ? Comment répondre aux contre-vérités entendues parfois ? LE MONDE interroge Jean-Marc Jancovici.
Jean-Marc Jancovici : Quand vous avez un incendie quelque part, la bonne stratégie est-elle de dire : « Il y a le feu ! », ou : « Je ne vais pas en parler parce que ça fait peur aux gens » ? Moi, je pense qu’il vaut mieux le dire. Le médecin qui vous annonce que vous avez une saloperie, il pense à la fois qu’il vous est utile et il est certain qu’il ne vous sera pas agréable. Personne n’aime, mais c’est une réalité. Par contre vous ne parlez pas de la même manière à un lycéen ou à des élus locaux. Mais la base physique reste la même pour tout le monde. Ce sont les explications intermédiaires qui ont besoin d’être plus ou moins longues en fonction du public auquel on s’adresse.
LE MONDE : Que répondez-vous à l’argument : « Les humains se sont toujours adaptés à tout, on arrivera bien à s’adapter » ?
Jean-Marc Jancovici : L’espèce humaine peut s’adapter, il n’y a aucun doute. Mais de qui parle-t-on ? De chacun des 8 milliards d’individus qui composent aujourd’hui l’espèce humaine ? La bonne question consiste à se demander si nous sommes prêts à prendre le risque que l’espèce humaine survive avec juste 1 milliard de représentants. Si la réponse est oui, on peut totalement se désintéresser de la question du réchauffement climatique. Si la réponse est : « On aimerait quand même qu’il n’y ait pas trop de dégâts », alors on a raison de se faire des cheveux blancs. Dans la population dans son ensemble, il y a toujours un bon paquet de climatosceptiques. D’une certaine manière, même à 4 °C de réchauffement global, il y en aura toujours ! C’est le vieux proverbe Shadok : « S’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème. » L’idée que tout cela demande des renoncements paraît inacceptable.
LE MONDE : Et l’idée selon laquelle il faudrait avoir confiance dans le progrès, que grâce à la technologie, on va bien trouver une solution ?
Jean-Marc Jancovici : La technique n’a jamais été en soi porteuse d’un projet de société. Ça fait un siècle et demi qu’on fait du progrès technique tous azimuts et ça fait un siècle et demi que les émissions de gaz à effet de serre augmentent. Si le progrès technique était capable de résoudre de lui-même des problèmes environnementaux globaux, on n’aurait déjà plus de problèmes avec les poissons, plus de problèmes avec le climat, plus de problèmes avec l’érosion de la biodiversité, etc. L’essentiel du progrès technique aujourd’hui n’est absolument pas fait pour résoudre les problèmes d’environnement.
La solution technologique, c’est la solution facile parce qu’elle ne nous demande pas de changer nos habitudes. Elle consiste à dire : « On va vous donner une voiture propre, vous allez pouvoir continuer à la conduire sur les mêmes distances et ça ne vous coûtera pas plus cher. » Cela apparaît bien préférable à : « Je vais devoir me lever deux heures plus tôt pour prendre un vélo… »
LE MONDE : Comment répondez-vous à l’idée selon laquelle 2 °C de plus ou de moins, ça ne change rien ?
Jean-Marc Jancovici : Le dernier grand bouleversement climatique que la Terre a connu représente 4 °C d’augmentation en dix mille ans et ça a radicalement changé tous les continents de moyennes latitudes. C’est une explication facilement compréhensible.
LE MONDE : Et quand on entend : « La France, c’est 1 % des émissions mondiales, ça ne pèse rien, ce n’est pas nous qui allons faire bouger les lignes » ?
Jean-Marc Jancovici : Alors, on peut répondre que de Gaulle était un crétin, puisque au moment où il est parti à Londres, il représentait beaucoup moins de 1 % de la population française. Quand un mouvement est émergent, il y a toujours moins de 1 % des gens qui s’en préoccupent, au début. La deuxième manière de répondre à ça, c’est de dire que l’homme est un animal social, donc mimétique. Et donc ce n’est pas parce qu’au début on représente 1 % du mouvement que ce sera toujours le cas, parce qu’on n’est pas à l’abri que d’autres se disent : « Tiens, ce n’est pas complètement idiot ce qu’ils sont en train de faire. » Le troisième argument fait appel à l’énergie. Il consiste à dire que même si les autres se fichent du climat, de toute façon, en Europe, nous sommes déjà sous contrainte en ce qui concerne l’approvisionnement en pétrole et en gaz.
Le point de vue des écologistes
La biosphère a mis au point des mécanismes extraordinairement efficaces, qui gèrent la planète depuis au moins 3,8 milliard d’années ; un tissu complexe, adaptable, rien ne saurait remplacer la dynamique du vivant . Les humains devraient se mettre au service des lois de la nature. N’oublions pas la variable démographique. L’empreinte écologique des 8 milliards de terriens est égale à 1,7 planète Terre, ce qui équivaut à la dilapidation irréversible du capital naturel. Curieusement cet aspect n’est pas étudié par Jancovici. Le marché des ressources naturelles est sous tension, les cours mondiaux vont s’envoler, provoquant la hausse irrémédiable du prix des biens de consommation. Nous allons entrer en décroissance économique, et pas seulement démographique. La solution nucléaire qui a le soutien de JMJ ne fera rien à l’affaire.
En savoir plus grâce à notre blog biosphere
Jean-Marc Jancovici, coming out malthusien (mai 2022)
extraits : « La nature, la planète, n’acceptera pas d’avoir 10 milliards d’habitants sur Terre ad vitam æternam vivant comme aujourd’hui. La seule question c’est comment va se faire la régulation. Ou bien on essaie de la gérer au moins mal nous-mêmes, ou bien ça se fera de manière spontanée par des pandémies, des famines et des conflits. Il vaudrait mieux s’en occuper et en discuter, même si c’est un débat difficile. La France a déjà commencé un peu à faire une réduction de la natalité, avec en moyenne moins de deux enfants par famille….
Tout savoir sur Jean-Marc Jancovici (mars 2022)
extraits : « Le monde dans lequel nous vivons est un monde fini, et croire que nous disposerons toujours des ressources énergétiques à notre disposition aujourd’hui, c’est se bercer d’illusions. L’alternative à ne pas imposer de contrainte, c’est que la contrainte arrivera d’une manière qu’on n’a pas choisie. Beaucoup de gens sous-estiment cruellement “le sang et les larmes” qu’il faudra pour parvenir à la neutralité carbone.J e vais vous donner un seul chiffre : 5 %. Il faut que les émissions de CO2 baissent de 5 % par an. Ce chiffre nous est imposé par la physique, il ne peut pas être négocié en votant une loi au Parlement…
Bibliographie, les livres de Jean-Marc Jancovici
Le plein s’il vous plaît (2006)
C’est maintenant ! Trois ans pour sauver le monde (2009)
Le changement climatique expliqué à ma fille (2009)
Changer le monde, tout un programme (2011)
Dormez tranquilles jusqu’en 2100 et autres malentendus sur le climat et l’énergie (2015)
– « Comment parler des chocs écologiques sans renoncer à la complexité et sans ennuyer ? »
Bonne question. En effet l’écologie c’est complexe. Et encore s‘il n’y avait que l’écologie.
Et quand c’est trop compliqué c’est ennuyeux. Là encore il faut donc trouver la juste mesure. Ne pas faire trop compliqué, au risque d’ennuyer, mais ne pas faire trop simple non plus, et surtout pas simplet, au risque encore d’ennuyer. Voire de faire rire, ce qui n’est pas mieux. Quoique. Et en même temps ennuyer juste ce qu’il faut mais pas trop. Pour compliquer encore un peu plus les choses, ne pas perdre de vue qu’il y en a qui s’ennuient pour un rien, qui passent leur vie à s’ennuyer, les pauvres… et d’autres qui ne s’ennuient jamais.
Vous suivez… pas trop compliqué jusque là, non ? (à suivre)
(suite) Pour moi la chose primordiale dans l’argumentation c’est la logique.
Mais comme là encore il y a logique ET logique, je me dois de préciser laquelle.
J’adoore les Shadocks, et leur drôle de logique. Seulement quand ON discute, dans un débat par exemple, ou quand ON écrit un article, un bouquin, mieux vaut savoir si ON est là pour blablater sérieusement, du moins en donner l’impression, si ce n’est tout connement se le faire croire, ou alors pour rigoler. Fut-ce pour faire réfléchir, quitte à provoquer. 😉 Les Shadocks ne représentent rien d’autre que l’Absurde. Comme bon nombre d’entre-nous, certes.
Bref, la logique des Shadocks ne doit pas être con fondue avec celle d’Aristote.
– « S’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème. » (Shadok)
Et pourquoi pas ? Cette devise est-elle vraiment absurde ?
Après tout c’est quoi un problème ? ( à suivre )
(suite et fin) Par exemple, quel problème y a t-il à ce qu’il soit impossible de diviser un nombre par Zéro ? Personnellement je n’en vois aucun, vu que c’est comme ça ! Ben oui. Et encore s’il n’y avait que ça, d’impossible. Maintenant, suis-je pour autant, automatiquement, logiquement … climatosceptique ?
J’aime bien Janco, notamment quand il parle d’énergie, de watts, de joules etc. Seulement en dehors de ça je le vois trop coutumier de ce genre de logique absurde. Comme bon nombre d’entre nous, certes.
En parlant justement de l’énergie, quand il dit que de toute façon en Europe nous sommes déjà sous contrainte en ce qui concerne l’approvisionnement en pétrole et en gaz (sic), il aurait pu rajouter l’uranium.
Excès de présence de CO2 ou pas , (pseudo) réchauffement climatique ou non , nous sommes beaucoup trop nombreux partout sur la terre , n » en déplaise à Jancovici .
Il me semble que la faune et la flore ont aussi droit au non grouillement invasif du bipède arrogant que certains (écolos de carnaval et humanistes de gauche et fausse droite de la sainte farce) défendent en dépit du bon sens
Il y a qques années , je lui ai adressé un e- mail lui demandant quel était sa position sur la question démographique ; il m’ a fait une réponse « malthusienne » (relation chiffre de population et capacité de charge) non liée à cette fable de réchauffement climatique anthropique Gretacarbonée .
Comme je le dis plus haut (encore coincé dans les tuyaux) Janco est très bien quand il parle de joules, de watts etc. D’énergie quoi. Mais par contre pas du tout quand il sort de son cadre d’expertise. Et ceci n’a même rien d’extraordinaire.
N’en déplaise aux jancophiles nucléocrates et autres «spécialistes» d’IPAT et des capacités de charges des camions, ascenseurs, brouettes et j’en passe, Janco a lui aussi ses limites.