Agribashing, ras-le-bol de l’écologie

L’ambiance change, le ras-le-bol contre l’écologisme se généralise. Nous avons rencontré hier un petit éleveur de volaille bio, il est considéré maintenant comme un méchant alors que son intention était l’inverse. Voici la synthèse d’un article du MONDE qui fait le point sur l’agribashing, une formule de manipulation qui a marché. Et bien sûr notre approfondissement sur ce blog biosphere.

Stéphane Foucart : Une centaine d’agriculteurs murent l’entrée de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), dont ils demandent la fermeture. Au même moment, d’autres font de même devant l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Dans un tweet stupéfiant, la ministre de l’agriculture, Annie Genevard, a apporté un soutien de fait à ces actions : « En manifestant tôt ce matin devant l’INRAE et l’ANSES, dans le calme et avant l’arrivée des salariés, les agriculteurs ont exprimé leurs attentes immenses vis-à-vis de la recherche et des scientifiques pour trouver des solutions aux défis gigantesques de notre agriculture. Je partage leur sentiment d’urgence face au changement climatique et à l’impérieuse nécessité de continuer à nourrir les Français avec le produit de nos fermes. »

Au lieu d’engager les transformations nécessaires du modèle agricole dominant, le pouvoir politique n’a eu de cesse de se défausser et de reporter la responsabilité des difficultés rencontrées sur des tiers. Qui montre-t-on du doigt ? L’Union européenne, les écologistes, la police de l’environnement, les « surtranspositions » de règles communautaires édictées par l’Anses, l’orientation des travaux de l’Inrae vers une agriculture « bio-bobo », etc. C’est le gouvernement d’Edouard Philippe qui a gravé dans le marbre, en octobre 2019, cette stratégie de la distraction en reprenant à son compte un concept forgé par les communicants de l’agro-industrie, l’« agribashing ». Ce terme et son utilisation abusive ont eu un effet performatif. Tout est devenu « agribashing ». Toute remise en question de certaines pratiques, le simple constat de leurs graves externalités comme la disparition des insectes, des oiseaux, des paysages, la contamination généralisée des ressources d’eau potable : tout est perçu comme une forme de dénigrement des agriculteurs. Ces discours sans cesse martelés maintiennent le monde agricole dans une posture d’éternelle victime des défenseurs de l’environnement, tout en occultant le fait que la technologie ne fera pas de miracles dans un monde au climat détraqué, où les pollinisateurs ont été décimés, où les sols, lessivés et contaminés, ont perdu leur fertilité et leur capacité à filtrer l’eau et où les épizooties, dopées par la perte de diversité génétique dans les élevages, sont vouées à se répéter.

Non seulement les normes protègent l’environnement et la santé (et d’abord celle des exploitants), mais elles sont l’unique argument pour s’opposer à un accord entre l’Union européenne et le Mercosur. Lorsque les normes auront disparu, plus rien ne s’opposera à un libre-échange débridé, et les agriculteurs réaliseront, mais un peu tard, qu’ils ont été trompés.

Le point de vue des écologistes

Un commentateur sur le monde.fr, Jessv, pose le problème de fond : « Les agriculteurs conventionnels attendent impatiemment le jour où un politique dira aux citoyens : « Nous allons rehausser les normes pour le bien être animal et l’élevage des poulets. Ceci aura plusieurs conséquences : nos exportateurs vont être en difficulté, car ils seront en concurrence avec des pays producteurs moins regardants qui exportent vers des pays consommateurs moins regardants. Pour les consommateurs sur le marché intérieur, le poulet va nettement augmenter car bien entendu nous allons interdire les importations des pays tiers ne respectant pas nos normes, y compris pour la fabrication des plats préparés. Certains consommateurs ne pourront plus se payer de poulet. Il leur faudra se rabattre vers d’autres sources de protéines, plutôt végétales, voire les insectes ». Voilà un vrai discours de politique qui assume ses choix. On attend toujours… »

Les menaces qui deviennent des réalités, réchauffement climatique, stress hydrique, stérilisation des sols, épuisement des ressources fossiles nous obligent à faire l’inverse des politiques précédentes : moins de libre-échange, moins d’agriculture productiviste, plus d’efforts, plus d’agent consacré à se nourrir, sobriété énergétique, limitation des besoins, etc. Ce n’est pas d’une transition écologique dont il s’agit, mais d’une rupture totale avec le système thermo-industriel.

Nos articles antérieurs sur le bashing

Eva Joly, bashing* ou chance pour la France ?

extraits : Le Eva bashing fait rage cette femme subit vacheries après vacheries lors de la présidentielle en 2012, sur son accent, sur ses lunettes, sur son origine… Cet ostracisme envers Eva Joly est en fait une manière de se venger des écologistes. Comme le discours de vertu de l’écologie paraît légitime, on le discrédite indirectement en raillant la personnes d’Eva. Une forme de racisme, de recherche du bouc émissaire pour se laver de ses propres péchés. Et puis il y a le défaut originel des médias, chercher la petite phrase qui va faire le buzz, cultiver l’insolence pour mieux cacher son propre côté ringard….

* Bashing, Expression anglaise venant du verbe « to bash » signifiant « frapper » ou « cogner ». Par exemple le Québec bashing est une attitude systématique de dénigrement du Québec.

HULOT-BASHING, une dure épreuve

extraits : On m’a reproché beaucoup de choses, d’avoir conseillé à Jacques Chirac de constitutionnaliser la Charte de l’environnement, d’avoir poussé Nicolas Sarkozy à engager le Grenelle de l’environnement, d’avoir été pendant trois ans l’envoyé spécial de François Hollande pour la planète, d’avoir piloté des émissions grand public tournées vers l’amour de la nature et la considération des sociétés premières, d’avoir tenté de sensibiliser de grandes entreprises à agir pour l’écologie, d’avoir affirmé que l’écologie n’était ni à droite ni à gauche, mais bien au-delà, d’avoir rencontré Bayrou, le pape François… ou Macron. Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage ! Je suis sidéré par la violence étalée sans vergogne…. 

Agribashing et retour à la paysannerie

extraits : « Agribashing » , le mot n’est pas vieux, deux ans à peine, une mise en cause massive et généralisée qui revient à contester en bloc les pratiques agricoles, l’utilité sociale des agricultures et jusqu’à leur existence agro-industrielle. Car disons-le tout net, l’agriculture industrielle est devenue démentielle… Mais comment faire passer en quelques années seulement la population active agricole de 2 % comme actuellement à 36% comme cela était en 1946 ? Tel est le dilemme posé par la conversion écologique et le retour à une paysannerie de polyculture….

Nos articles antérieurs sur la paysannerie

9 février 2016, pour un retour des paysans contre l’agriculture industrielle

15 mars 2014, semences paysannes contre marchandisation de la vie

26 janvier 2013, Un modèle pour l’écologiste, le paysan Paul Bedel

24 novembre 2012, Paul Bedel, Testament d’un paysan en voie de disparition

22 août 2009, tous paysans en 2050

25 mars 2009, le retour des paysans

9 octobre 2008, paysans de tous les pays, unissez-vous

6 réflexions sur “Agribashing, ras-le-bol de l’écologie”

  1. Esprit critique

    – Agribashing : un terme à proscrire pour comprendre la relation agriculture et société
    ( chambres-agriculture.fr 24 juillet 2024 )
    – Vocabulaire : le terme “wokisme” est à proscrire (actualitte.com 14/02/2024)
    – Le « wokisme », déconstruction d’une obsession française (Le Monde 23 juin 2023)
    – L’« islamogauchisme » n’est pas une réalité scientifique (myscience.fr 17 Février 2021)

    Et combien d’autres comme ça … Mais ça ne fait rien, ON continuera à les utiliser, pour raconter n’importe quoi. Et ON les conjuguera même à toutes les sauces, les plus pourries.
    Misère misère !

  2. Esprit critique

    Ce ras-le-bol contre l’écologisme peut-être associé à cette nouvelle maladie, identifiée et étudiée depuis un moment déjà, l’écoloscepticisme. Une mutation de ce virus qui grouille dans les caniveaux et les fosses septiques, le climatoscepticisme. Une mode et en même temps, juste pour être dans le vent, du populisme le plus crasse que je ne nommerais pas. Misère misère !

    – « L’écologie, ça commence à bien faire » : la montée de la menace « climato-populiste »
    (nouvelobs.com 14 décembre 2023)
    – Les nouveaux visages européens de l’écoloscepticisme d’extrême droite et comment le combattre (lagrandeconversation.com 28 février 2024)

  3. Une partie de la réaction anti écolo est liée à l’attitude déplorable du principal parti (dit) écologistes français, qui au lieu de parler d’écologie nous fait essentiellement la promotion d’un islamo-gauchisme aussi désespérant que dangereux. Sa soumission au wokisme (qui curieusement s’oppose à l’islamisme) ne fait bien entendu qu’aggraver les choses.
    Les gens n’en peuvent plus de cette attitude et, hélas, rejettent pour cela l’écologie qui est pourtant si nécessaire.

    1. Parti d’en rire

      Vous voulez rire, je suppose. Mais qui donc sont ceux qui parlent d’ «islamo-gauchisme» et de «wokisme» ? Par hasard ce sont les mêmes qui parlent d’ «agribashing». Quand ce n’est pas d’ «ayatollahs», de «pastèques» et j’en passe. Des réacs, il faut appeler un chat un chat !
      Des binaires, des gros bœufs, pour qui TOUS les écologistes sont à mettre dans le même sac. Rien à foot qu’ils soient encartés EELV ou MEI, défenseurs des baleines ou des papillons, amis des paysans ou pas … les écologistes faut TOUS les pendre à des grues !
      – « Et les dealers et les chômeurs, les communistes, psychanalystes, tous des pédés dégénérés ! Au temps pour moi. » ( Chanson Pour Moralès – Didier Bénureau)

  4. Agribashing : néologisme pour amuser (abuser) les gogos.
    À mettre dans le même sac que les fumeux Wok(ism)e et Islamo-gauchisme.

    – « Pour les journalistes Stéphane Foucart et Stéphane Horel, l’agribashing fonctionne comme le point Godwin de la critique du système agricole productiviste, et sert de levier d’influence pour une partie du monde agricole » (Wikipedia)

    – « … les agriculteurs ont exprimé leurs attentes immenses [et blablabla] » (le tweet d’Annie)
    Le truc (la ficelle) est gros comme le nez au milieu de la figure, mais ça ne fait rien ça marche à tous les coups. Simplifier, à l’attention des simplets. Généraliser, et pour ça dire LES.
    Quand ce ne sont pas LES agriculteurs ce sont LES chasseurs, LES écolos, LES Gilets, LES routiers, LES fonctionnaires, LES Français, LES Arabes et j’en passe. (à suivre)

    1. (suite) Sans oublier LES gogos et LES simplets chez qui LE monde agricole se réduit à CES (quelques) agriculteurs qui se font tristement ou brillamment remarquer ici ou là.
      Pas que le monde agricole bien sûr. Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?
      Simplifier, généraliser, pour légitimer les revendications (les attentes), la colère… des uns ou des autres. Ou au contraire pour la ridiculiser, la condamner, la criminaliser.
      En fait ça ne dépend que de l’air du temps. Et justement aujourd’hui l’ambiance change…
      le ras-le-bol contre l’écologisme se généralise (sic). Misère misère !

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