Notre société de consommation a perdu tous les repères permettant de retrouver une société plus sobre. Il est pourtant certain que nos enfants dans les pays dits développés connaîtront des conditions d’existence moins généreuses qu’à l’heure actuelle. Les contraintes financières et les crises écologiques, en particulier énergétiques, vont nous imposer de revenir à des besoins plus essentiels qu’il nous faudra satisfaire de manière plus simple. Comment s’y préparer alors que les jeunes générations actuelles ne peuvent même pas concevoir qu’à une époque encore récente il n’y avait ni télévision, ni portables, ni jeux vidéos ? Dans son Manuel de transition, Rob Hopkins nous demande d’écouter les anciens, de « rendre hommage aux aînés » (point 10 des 12 étapes de transition). Voici en raccourci quelques extraits :
« Nous avons intérêt à apprendre de ceux qui peuvent se remémorer cette transition qui nous a fait accéder à l’âge du pétrole bon marché et, en particulier, la période entre 1930 et 1960. Dans le cadre de l’initiative de Totnes, nous avons interviewé des personnes âgées. Plus de monde logeait dans les maisons existantes… Totnes importait encore peu de nourriture… Il y avait peu de circulation… Je suis fasciné par le fait que tout le monde jardinait parce que c’était comme ça… Les histoires orales vous aideront à découvrir les savoir-faire que les gens possédaient et qui devraient faire partie de votre programme de requalification… Je pense que l’idée de demander la contribution des aînés est très enrichissante. Cette démarche serait pratiquement instinctive dans plusieurs autres cultures, mais nous l’avons oublié dans la nôtre. »
Si vous voulez diffuser un témoignage pour montrer aux jeunes générations que d’autres modes de vie sont possibles (et parfois nécessaires), vous pouvez en faire un commentaire rattaché à ce billet… Merci.
Je m’appelle Maggy, je suis née en 1930. Peut-être que les générations prochaines connaîtront des conditions de vie similaire à ce que j’ai vécu. Puisse mon expérience pendant la dernière grande guerre leur montrer que la situation était cependant vivable ; on s’habitue à tout ou presque. Nous avions le lait de la ferme voisine, mais rien d’autre. Comme le disait la fermière à maman : « Je n’oserais jamais vous demander le prix que je demande aux Bordelais. » Ces gens ont été clients assidus jusqu’à la fin de la guerre. Après quoi, on ne les a jamais revus. Nous élevions des lapins. Mon frère et moi, nous écumions les bords des fossés afin de chasser pissenlits et chiches pour nourrir les bestioles. Mais nous n’étions pas capables de tuer le lapin, on le portait chez la voisine. Papa avait des ruches. Le miel lui permettait de modestes trocs. Une fois, il s’était procurer un peu de porc qui a été cuisiné dans ma chambre car bien entendu, il fallait se cacher pour côtoyer le « luxe ». Je ne pense pas avoir vu oranges ou bananes. De toute façon, on n’avait aucune possibilité d’acheter fruits ou légumes. Chacun était obligé de cultiver son jardin potager. Pour faire fonctionner sa carte de rationnent, il fallait s’inscrire dans l’épicerie du village. Les hommes (pas les femmes !) avaient des cartes tabac. Mais mon père avait planté des plants de tabac dans son jardin et le faisait sécher au grenier ; çà empestait. Puis il le coupait avec une petite machine qu’il s’était fabriqué.
Par une logique que j’ai toujours eu du mal à comprendre, les J3 (carte de rationnement pour les jeunes) avaient droit à davantage de tickets de beurre si leurs parents étaient agriculteurs que les autres. Mais nous recevions en compensation du « chocolat ». C’était en fait une crème sous forme de boule enrobée d’une très mince couche de quelque chose de marron qu’on pouvait éventuellement assimiler à du chocolat. Les adultes avaient droit à des tickets de café. En fait cela consistait en petits morceaux de gland ou dieu sait quoi d’autre dans lequel on pouvait trouver quelques grains de café que maman triait soigneusement et réservait pour les grandes occasions. Nous, les enfants de l’école de Courgeac, nous étions emmenés par nos enseignants dans les bois pour récolter les glands. Autre « distraction », nous étions réquisitionnés pour « récolter » les doryphores dans les champs de pommes de terre. En bout de rang, nous vidions le contenu de nos boîtes sur des pierres plates et on trucidait allègrement nos moissons avec une autre pierre.
A Blanzac au collège, les élèves internes allaient chercher chaque soir le lait dans une ferme voisine. Seuls les garçons pouvaient partir sans escorte, ils étaient supposés plus raisonnables que les filles ! Nous avions donc du lait chaque matin avec un peu de pain pour lequel nous n’avions pas de beurre. Je n’ai jamais eu un sentiment de faim, mais faire manger quelques dizaines d’adolescents avec pas grand chose ne devait pas être facile. J’ai le souvenir du chou rouge bouilli servi avec l’eau de cuisson ! Ou de haricots en grains où nous pêchions les charançons pour les disposer harmonieusement autour de l’assiette. La cuisine n’était pas très bonne.
Lors du mariage de ma tante en 1946, mon grand-père qui était forgeron avait donné de la farine au boulanger et je garde un souvenir émerveillé de ce pain blanc, véritable friandise qui n’a duré qu’une journée. Par contre les agriculteurs pouvaient fournir régulièrement de la farine et ne manquaient jamais de pain blanc. En 1947, j’étais en première année à l’Ecole Normale au Bourget. Il fallait se contenter d’1/3 de baguette par jour, ce qui était vraiment trop peu pour moi. Quand je revenais chez ma famille à Courgeac, je n’ai pas souvenir d’un manque. Sauf que le pain était très gris. Le pain de maïs quant à lui était d’un beau jaune, délicieux quand il était frais, mais un véritable caillou par la suite dans lequel il était difficile de planter une dent !
Cela ne se mange pas, mais les chaussures ont été un vrai problème pendant la guerre. Des souliers à semelle de bois, même doté, perfection des perfections, d’une semelle articulée, ce n’est pas le sommet du confort. Ma tante s’était fait de belles sandales avec une semelle découpée dans un pneu, denrée très recherchée. Je ne sais pas comment cela tenait, mais j’ai beaucoup admiré. On se procurait des vêtements avec des tickets spécifiques. Leur qualité était médiocre, mais de toute façon sur le marché « libre », c’était pure cochonnerie, fabriqué en fibranne, rétrécissant au lavage. Le linge était lavé à la main dans la cuisine et rincé à la rivière. La vaisselle était faite simplement à l’eau chaude. Le savon était fabriqué par papa, avec de la graisse, de la cendre et, je crois, de la soude. Cela ne sentait pas bon ! Aucune pièce de la maison n’était chauffée, seul fonctionnait la cuisinière au bois. On se déplaçait uniquement à pied ou à bicyclette, exceptionnellement avec une voiture à cheval. Il y avait un seul téléphone pour toute la commune.
Il est absolument scandaleux que Maslow soit toujours enseigné dans nos écoles et nos universités comme étant l’unique théoricien des besoins. Pour une réévaluation des besoins, voir Manfred Max-Neef et un très bon résumé de sa pensée par Thierry Groussin que vous pouvez trouver ici http://socioeco.org/bdf/_docs/le_developpement_et_les_besoins_humains_fondamentaux.pdf
Un extrait:
[Ce que le modèle de Manfred Max-Neef rend évident, c’est que la satisfaction des besoins humains fondamentaux ne peut être réellement assurée de manière simple en fournissant des biens et des services à ceux qui sont dans le manque.
Vouloir résoudre les pénuries d’une manière mécaniste, spécialisée et extérieure – médicaments contre les épidémies, boîtes de conserve contre la famine, argent contre la pauvreté, gendarmes contre l’insécurité… – ne permet pas d’enclencher de véritables dynamiques de développement. Vouloir pallier l’insatisfaction des besoins fondamentaux par une course à la productivité non seulement est illusoire mais peut même se révéler destructeur. Et vouloir parachuter les solutions comme on parachute des vivres ou des médicaments, sans ouvrir un espace à la parole de l’autre, sans lui donner la possibilité d’élaborer à travers cette parole sa propre conscience de sa situation, revient à nier la nature humaine, une partie de son système de besoins et de ses ressorts.
Les formes d’organisation, les structures politiques, les valeurs, les règles, les espaces, les contextes, les pratiques sociales, font aussi partie des réponses aux besoins fondamentaux de l’être humain. De ce point de vue, Manfred Max-Neef pense que les structures sociales «moléculaires », à taille humaine, sont les plus propres à créer le contexte du processus de développement. La possibilité y est plus faible que la tentation de l’avoir se substitue à l’être, au faire et à l’interagir et que les leurres et les réponses univoques prennent le pas sur les réponses justes et synergiques, notamment parce que, paradoxalement, ces micro-sociétés peuvent être plus riches, du point de vue expérientiel, que les sociétés dites « évoluées ».
Une fois de plus la démonstration est faite, et cette fois par un modèle de développement, que la logique du « tout marchand », qui a déjà fait bien des dégâts, reste la solution d’aujourd’hui qui prépare les problèmes de demain.]
Il est absolument scandaleux que Maslow soit toujours enseigné dans nos écoles et nos universités comme étant l’unique théoricien des besoins. Pour une réévaluation des besoins, voir Manfred Max-Neef et un très bon résumé de sa pensée par Thierry Groussin que vous pouvez trouver ici http://socioeco.org/bdf/_docs/le_developpement_et_les_besoins_humains_fondamentaux.pdf
Un extrait:
[Ce que le modèle de Manfred Max-Neef rend évident, c’est que la satisfaction des besoins humains fondamentaux ne peut être réellement assurée de manière simple en fournissant des biens et des services à ceux qui sont dans le manque.
Vouloir résoudre les pénuries d’une manière mécaniste, spécialisée et extérieure – médicaments contre les épidémies, boîtes de conserve contre la famine, argent contre la pauvreté, gendarmes contre l’insécurité… – ne permet pas d’enclencher de véritables dynamiques de développement. Vouloir pallier l’insatisfaction des besoins fondamentaux par une course à la productivité non seulement est illusoire mais peut même se révéler destructeur. Et vouloir parachuter les solutions comme on parachute des vivres ou des médicaments, sans ouvrir un espace à la parole de l’autre, sans lui donner la possibilité d’élaborer à travers cette parole sa propre conscience de sa situation, revient à nier la nature humaine, une partie de son système de besoins et de ses ressorts.
Les formes d’organisation, les structures politiques, les valeurs, les règles, les espaces, les contextes, les pratiques sociales, font aussi partie des réponses aux besoins fondamentaux de l’être humain. De ce point de vue, Manfred Max-Neef pense que les structures sociales «moléculaires », à taille humaine, sont les plus propres à créer le contexte du processus de développement. La possibilité y est plus faible que la tentation de l’avoir se substitue à l’être, au faire et à l’interagir et que les leurres et les réponses univoques prennent le pas sur les réponses justes et synergiques, notamment parce que, paradoxalement, ces micro-sociétés peuvent être plus riches, du point de vue expérientiel, que les sociétés dites « évoluées ».
Une fois de plus la démonstration est faite, et cette fois par un modèle de développement, que la logique du « tout marchand », qui a déjà fait bien des dégâts, reste la solution d’aujourd’hui qui prépare les problèmes de demain.]