Un carré de 100 mètres sur 100 pour tous nos besoins

« D’un point de vue réaliste, la superficie des terres habitables n’excède guère les 100 millions de km2, ce qui nous laisse une aumône de 1,5 hectare maximum par exemplaire d’homo sapiens. Un minuscule rectangle de 150 mètres sur 100 pour assurer votre subsistance et produire tout ce que vous consommerez durant votre existence : logement, nourriture, chauffage, éclairage, vêtements, meubles, outils, médicaments, vin, bière, tabac, jeux, vélo, voiture, ordinateur, frigo, cuisinière, télévision, lave-linge, lave-vaisselle, téléphone, robots ménagers, appareil photo, caméra, chaîne hi-fi, magnétoscope, imprimante, aspirateur, décodeur, ventilateur, vibromasseur – arrêtons là, la liste serait longue de nos gadgets-prothèses modernes et cette brève énumération fait sauter aux yeux l’évidence que notre hectare de territoire ne peut suffire à assouvir nos « besoins » contemporains, ni même à assurer l’absorption ou le recyclage des déchets que nous produirons par tonnes, même en confinant les abominables couches-culottes jetables hors bilan…

1,5 hectare : voilà qui laisse songeur, d’autant que vous n’êtes pas seul sur ce timbre-poste. Vous êtes le seul primate homo sapiens, c’est entendu, mais… Mais ? Vous avez compris si vous n’êtes ni spéciste ni raciste : l’homme n’est qu’un mammifère parmi d’autres et les autres mammifères ont eux aussi le droit d’occuper votre rectangle de 500 mètres de pourtour, non seulement vos chiens, chats, rats et furets domestiques, non seulement vos vaches, veaux, poules, cochons, brebis, lapins, chevaux et toutes les têtes de bétail qui vous nourrissent, mais aussi les lynx, loups, lions, lamas, léopards, lièvres, taupes, belettes, renards, zibelines, tatous, cerfs, blaireaux, sangliers, phacochères, oryctéropes, bisons, buffles, zèbres, gnous, gazelles, écureuils, wombats, tapirs, capybaras, coatis, gorilles, zorilles, girafes, grizzlis, yaks, rhinocéros – attention reculez un peu s’il vous plaît – hippopotames, élans, gambadants, sautillants, trottinants, galopants et même éléphants. Vous vous sentez à l’étroit ? C’est normal, eux aussi. Encore n’avons-nous parlé que de mammifères, car votre rectangle de poche, il s’agit de le partager avec tous les autres animaux terrestres, reptiles, insectes, oiseaux et batraciens inclus. Diable et démiurge, j’oubliais les espèces végétales, dont ces précieuses forêts de moins en moins primaires que la poésie des technocrates chante sous le charmant nom de « puits de carbone ». Il s’agira donc de ne surtout pas bétonner ou macadamiser votre petit rectangle de rien du tout ni d’y construire usines, hangars, bureaux, hôpitaux et centres commerciaux : où donc allez-vous planter vos choux et laisser s’ébattre les caribous ?

Vous voici à même de saisir physiquement, viscéralement, la cause de l’effondrement actuel de la biodiversité : cette cause n’est autre que le NOMBRE d’homo sapiens sur cette planète scandaleusement inextensible, malgré les efforts conjugués de nos grues, de nos cosmonautes et de nos démographes officiels docilement négationnistes. Votre maigre quadrilatère ne peut suffire à combler tous vos besoins, même si vous y trônez royalement seul : que dire si d’autres animaux le squattent sans titre de propriété, vous conférant ainsi le droit de les abattre à vue afin de protéger votre rachitique espace vital. Et vous tirez à merveille : face aux milliers d’espèces disparaissant chaque année, les scientifiques n’hésitent plus à parler d’extinction de masse. Mauvaise nouvelle en outre pour votre lopin de terre, il fond encore plus vite que la banquise – puisque 360.000 nouveaux-nés viennent chaque jour s’échouer sur notre radeau spatial en lambeaux. Dans le même temps, quelques 150.000 personnes ont la chance de le quitter : le solde net n’en reste pas moins de 210.000 nouvelles bouches à nourrir et corps à loger-chauffer-soigner-vêtir chaque jour. En 2050, avec les 10 milliards d’habitants qui sursatureront la planète, votre microscopique rectangle sera devenu un asphyxiant carré de 100 mètres de côté : quatre minutes de marche funèbre suffiront pour faire le tour du propriétaire. »

Théophile de Giraud

Dans le livre « Moins nombreux, plus heureux (l’urgence écologique de repenser la démographie) »

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2 réflexions sur “Un carré de 100 mètres sur 100 pour tous nos besoins”

  1. Cet argumentation est pleiine de bon sens et fait forcément froid dans le dos. Le gachis monstrueux à l’échelle de la planète semble ne pas avoir de fin. La folie des hommes et leur soif d’accumulation doivent forcément être freinées par des actes politiques au plus au somet des organisations internationales à mon avis.
    On va droit dans le mur en klaxonnant comme disait ma grand mere !

  2. Je ne conçois pas qu’un homme de bonne foi puisse ne pas être instantanément convaincu par l’imparable argumentation de Théophile de Giraud. Ce petit rectangle de 100 x 150 m par habitant est de toute évidence incapable de faire vivre durablement l’humanité et de lui permettre de respecter le reste du monde vivant. Comment peut-on tirer une autre conclusion ? Comment rester nataliste après avoir lu cela ?

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