« L’esprit humain participe de deux logiques : la logique du vérifiable dans l’expérience concrète, et la logique posant que l’impossible est tout de même possible. »* La deuxième option est extrêmement dangereuse. C’est celle qui nous a fait inventer des dieux abstraits tellement indémontrables et non négociables que chacun pouvait combattre et tuer l’autre au nom de son propre dieu. Aujourd’hui ces massacres inter-religieux se poursuivent, mais se doublent d’une autre croyance, la croissance économique indéfinie dans un monde fini. Tout devient possible, même l’impossible ! Si avec ce truc les agressions inter-sociétés se font sous formes plus subtiles, concurrence exacerbée et compétitivité internationale conquérante, il n’empêche que cette croyance entraîne la dilapidation de notre capital naturel, le réchauffement climatique ou l’épuisement des ressources non renouvelables.
Quelques intellectuels commencent à en prendre conscience, ainsi Marc-Olivier Padis** : « Que signifie cette attente quasi-messianique de la croissance ?… Comment s’affranchir de l’appel incantatoire au retour de la croissance ?… Il est illusoire d’attendre d’un retour de la croissance la résolution de nos équations budgétaires (l’endettement)… » Donc que faut-il faire de concret ? Marc-Olivier ne croit pas à la décroissance : « Il ne s’agit pas ici de plaider pour la décroissance, une sorte de millénarisme à l’envers, qui inverse le positif en négatif. » Mais Marc-Olivier croit à un autre mythe des temps qui viennent, une nouvelle croissance qui « réduirait l’empreinte écologique de nos activités », « une croissance de bas niveau qui ferait diverger le niveau d’activité et la consommation d’énergie ».
Croissance petite, mais propre ! Marc-Olivier Padis croit toujours à la croissance, à l’impossible dépassement d’un monde clos et saturé d’humains. Il ne se rappelle plus que notre système économique a déjà connu concrètement des croissances négatives, autrement dit des récessions, et même une grave dépression comme en 1929, mettant beaucoup de monde au chômage et provoquant des guerres. Il ne sait pas que la décroissance du PIB est notre destin, la disparition des énergies fossiles cassant complètement notre système économique mécanisé. Il ne sait pas qu’une production implique une destruction, il ne sait pas que l’économie n’est qu’une sous-partie du social, lui-même dépendant des possibilités concrètes de la biosphère. Nulle trace dans le discours de Marc-Olivier de ce qui fait le triste pendant de toute croissance, même infime. Il croit encore que l’impossible est possible. Mais son discours n’est plus aussi certain, même dans ce journal croissanciste qui se nomme LE MONDE …
* LE MONDE des livres du 25 avril 2014, « l’esprit humain déborde à tout instant les limites du concret »
** Marc-Olivier Padis, directeur de la rédaction de la revue « Esprit »
in LE MONDE éco&entreprise du 25 avril 2014, La croissance, un objectif trompeur