Nous trouvons dommageable pour la cause écologique qu’une revue d’objecteurs de croissance entretienne un ostracisme permanent envers la décroissance malthusienne, c’est-à-dire la maîtrise de notre fécondité. Le mensuel « La décroissance » fait par exemple un numéro spécial juillet-août 2014 sur « Les précurseurs de la décroissance ». Pour 28 auteurs, une seule mention sur la décroissance démographique, ce jugement sans appel d’Aurélien Bernier : « Barry Commoner s’oppose à l’écologie conservatrice et anti-pauvres des dénatalistes, dont le pire spécimen s’appelle Paul Ehrlich, un biologiste issu de la bourgeoisie. » Le débat Commoner/Ehrlich mérite mieux que ces accusations sans preuves, voici une présentation plus sereine :
Les premiers écologistes essayèrent d’attirer l’attention sur un éventail de problèmes allant des pesticides au contrôle démographique sans toujours les définir par ordre d’importance. Un des signes avant-coureurs d’une hiérarchie apparut lorsque Paul Ehrlich et Barry Commoner débattirent de l’importance relative de la maîtrise de la fécondité. Ehrlich avait publié en 1968 The Population Bomb, qui plaçait l’expansion de la population comme la menace écologique prioritaire : « Trop de voitures, trop d’usines, trop de pesticides. Pas assez d’eau, trop de dioxyde de carbone, tout peut être attribué à une cause unique : trop de personnes sur Terre. » Commoner lui répondit en 1971 dans L’encerclement que « la dégradation écologique n’est pas la simple conséquence d’un processus unique qui va en s’amplifiant – croissance démographique, augmentation de la demande – mais également des changements importants dans les techniques de production, changements qui eux-mêmes dépendent de facteurs économiques et politiques importants. »
Ce débat entre Commoner et Ehrlich a rapidement dépassé le désaccord scientifique pour fonder deux stratégies radicalement différentes. L’écologie qu’on peut appeler profonde préconise le contrôle de la croissance globale (économique et démographique) parce qu’il ne peut pas exister véritablement d’alternative techno-industrielle écologiquement compatible avec un avenir durable. En effet notre nombre d’habitants multiplié par notre niveau de vie dépasse déjà largement la capacité d’accueil de la Terre. Commoner relève au contraire d’une écologie qui reste superficielle. Il s’appuie sur un pari très optimiste qui croit possible un saut technologique bénéfique. Commoner propose en effet de transformer la technologie moderne « pour satisfaire aux exigences indéniables de l’écosystème ». Cela ne peut que nous faire penser à la croissance verte technologisée que dénonce constamment le rédacteur en chef de la décroissance Vincent Cheynet : « Chaque observation de la Technoscience salvatrice pourrait être contredite… Le livre La reproduction artificielle de l’humain est une arme essentielle face à la barbarie technoscientiste… Le pathético-affligeo-consternant ouvrage technolâtre de Michel Serres, Petite poucette… » S’il n’y a pas, comme Cheynet le pense, de solutions technoscientifiques à la crise, il nous faut agir nécessairement à la fois sur la limitation de nos besoins et de notre fécondité. Des analystes perspicaces comme Dennis Meadows l’ont bien démontré :
« La croissance de la population ou la croissance économique, c’est la même chose. Et il n’y a que deux manières de réduire la population humaine : réduction du taux de natalité ou accroissement du taux de mortalité. Laquelle préféreriez-vous ? … Faites le calcul, prenez la nourriture par personne depuis les années 90. La production de nourriture augmente, mais la population croît plus rapidement. Et derrière chaque calorie de nourriture qui arrive dans les assiettes, dix calories de carburants fossiles ou de pétrole sont utilisés pour la production, le transport, le stockage, la préparation et le traitement des déchets. Plus les réserves de pétrole et de carburants fossiles vont diminuer, plus le prix de la nourriture augmentera… Si nous partagions équitablement, personne n’aurait faim. Mais le fait est qu’il faut des carburants fossiles comme le pétrole, le gaz ou le charbon pour produire de la nourriture. Et ces ressources diminuent… »*
* sur le site Le Noeud Gordien
Tous les objecteurs de croissance ne partagent pas cette opinion, heureusement : http://www.les-oc.info/2011/08/demographie-moissac2011/
La réponse de Laurent sur la page citée est affligeante et digne de la langue de bois d’un politicien. Comment le bon sens cher à Descartes peut-il un instant avaler ce discours?
Dans la même lignée que EELV , des ecolos de carnaval mais de vrais gauchistes : le mot « bourgeois » utilisé par Aurélien Bernier à l’ encontre de P. Ehrlich en est la meilleure preuve !