fin du fordisme

Selon Le Monde du 21.06.2008, « Le choc pétrolier bouleverse l’automobile ». Il suffirait de produire la Logan ou la Nano pour « prendre un coup d’avance sur ses concurrents » et pour « conquérir des marchés émergents à pouvoir d’achat réduit ». Malheureusement cette analyse est fondamentalement déficiente. C’est oublier complètement l’amont du carbone, c’est à dire le baril de pétrole de plus en plus rare et de plus en plus cher, donc de plus en plus inaccessible aux pouvoirs d’achat réduits ! C’est oublier aussi l’aval du carbone, les perturbations climatiques provoquées par les gaz d’échappement. Le Monde nous induit en erreur en nous faisant croire que « rendre l’automobile abordable à des populations de plus en plus larges suffira à devenir les Big Three de demain ».

 Ce n’est pas à la fin des années 1990, quand les trois constructeurs américains ont cru qu’il suffisait de produire des 4×4 pour survivre, que le fordisme s’est trompé. Le fordisme s’est trompé dès l’origine, dès la construction en chaîne des Ford T dans les années 1910. La construction automobile a toutes les qualités, c’est un vecteur de croissance qui fait appel à la production de branches-clés, c’est une industrie de main d’œuvre et donc créatrice d’emploi, c’est une facilité pour le déplacement individuel. Mais cela nécessite l’aliénation par le travail à la chaîne et repose sur la productivité qui crée le chômage, cela facilite l’urbanisation sauvage, la stérilisation des terres par un réseau routier sans limites, la multiplication des déplacements par la distance que l’automobile a mis entre domiciles et lieux de travail, entre zones de production et centres commerciaux, entre espaces de vie et destinations du tourisme. Cela implique aussi l’épuisement du pétrole, ressource non renouvelable, et l’augmentation de l’effet de serre, donc un changement climatique. Le paradigme fordiste, c’est-à-dire cet équilibre entre la production de masse grâce au travail à la chaîne et la consommation de masse autorisée par l’augmentation des salaires, repose sur l’hypothèse absurde d’une humanité hors sol, disposant de ressources naturelles illimitées et gratuites. Le fordisme, production de masse par la division du travail et consommation de masse par l’augmentation des salaires a été la plus grande catastrophe du XXe siècle. Malheureusement les effets négatifs ne s’en feront sentir qu’au XXIe siècle: le mal s’est fait sans que quiconque s’en aperçoive, même pas l’analyste du Monde Stéphane Lauer ce jour.

4 réflexions sur “fin du fordisme”

  1. Réponse de Michel Sourrouille à Stéphane Lauer
    Cher analyste,
    merci de ta réponse, je sais dorénavant qu’un lecteur peut discuter directement avec un journaliste du Monde, c’est très bien. Néanmoins, il ne faut pas se méprendre sur le sens des mots : l’analyse est toujours un commentaire. Tu analyses les difficultés de l’industrie automobile dans un contexte de pétrole cher du point de vue micro-économique et sur une période courte. C’est un choix délibéré, une certaine vision de l’avenir proche, donc un commentaire.

    Je me place personnellement du point de vue du durable, l’idéal n’est pas de ce monde. Renault lance son premier 4×4 alors que les Big three abandonne les 4×4. Cette tactique (faire comme les autres, segmenter le marché) n’a pas d’avenir durable, c’est donc une erreur stratégique, ce que tu reconnais toi-même. Mais Renault qui lance la logan à bas prix et Tata la nano alors que le baril devient une denrée si rare et si chère que le pétrole pourrait (devrait ?) servir uniquement à des utilisations durables est une autre erreur stratégique. Je viens ainsi de décrire le monde tel qu’il pourrait évoluer dans un proche avenir, tu décris le monde tel qu’il devrait être du point de vue des constructeurs automobiles : inonder les marchés de modèles automobiles à bas prix et écraser la concurrence.

    Ton analyse est un choix d’avenir, celui des constructeurs automobiles, c’est donc un commentaire engagé dans un certain sens. Toute analyse est un choix, c’est donc un commentaire.

  2. Réponse de Stéphane Lauer

    Cher lecteur,
    merci de ton intérêt pour le journal et pour tes remarques. Néanmoins, il ne faut pas se méprendre sur cette analyse. Le but n’est pas de dire ce que devrait faire les constructeurs dans un monde idéal, comment ils devraient s’y prendre pour bâtir un système différent, mais simplement de voir comment ils vont anticiper les difficultés qu’ils rencontrent actuellement. Je ne me prononce pas sur la justesse de ta façon d’aborder la question, simplement, l’analyse n’était pas sur le sens de la vie mais sur les difficultés de l’industrie automobile dans un contexte de pétrole cher. Il ne m’a pas échappé que le fordisme a fait des erreurs dès le départ, qui se sont prolongées durant tout le XXe siècle et qui continuent encore puisque les constructeurs ont encore un train de retard sur la problématique des énergies renouvelables. Plus modestement, je me place sur un plan micro-économique et sur une période courte. Par ailleurs tu dis que je pense que la Nano ou la Logan va sauver le monde – désolé, mais ce n’est pas ce que je dis – simplement, du point de vue des constructeurs, c’est une stratégie qui est en train de changer la donne: ceux qui continue à fabriquer des voitures toujours plus chères et plus sophistiquées vont, comme les autres tout droit à l’échec, mais ils y vont deux fois plus rapidement. Voilà juste, pour te dire que cette analyse n’avait d’autre ambition de décrire le monde tel qu’il est et comment il pourrait évoluer dans un proche avenir, du fait de la rupture énergétique et non décrire le monde tel qu’il devrait être. C’est la différence entre une analyse et un commentaire.
    Bien à toi

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