À lire, Les transformations de l’homme (Lewis Mumford)

Dès 1956, le diagnostic de Lewis Mumford (1895-1990) était radical : jamais auparavant l’homme n’a été aussi affranchi des contraintes imposées par la nature, mais jamais non plus il n’a été davantage victime de sa propre incapacité à développer dans leur plénitude ses traits spécifiquement humains ; dans une certaine mesure, il a perdu le secret de son humanisation. En érigeant en absolu les connaissances scientifiques et les inventions techniques, il a transformé la puissance matérielle en impuissance humaine. « Technologiquement époustouflants, culturellement affligeants », écrivait récemment Nicolas Hulot, un présidentiable écologiquement compatible.

« Plutôt que d’établir une relation riche de sens avec la nature pour obtenir son pain quotidien, L’homme s’est condamné à une vie de bien-être sans effort, pour peu qu’il se contente des produits et des substituts fournis par la machine. Déjà en Amérique, de par sa sujétion à l’automobile, l’homme a commencé à perdre l’usage de ses jambes. Les mères américaines sont désormais encouragées par de nombreux médecins à ne pas allaiter leurs nouveau-nés.

Le destin final de l’homme posthistorique est de se transformer en un homoncule artificiel dans une capsule autopropulsée, voyageant à la vitesse maximale et ayant éliminé toute forme spontanée de vie de l’esprit. Avec le développement à venir des systèmes cybernétiques permettant de prendre des décisions sur des sujets excédant les capacités humaines de calcul, l’homme posthistorique est sur le point d’évincer le seul organe humain dont il fasse quelques cas : le lobe frontal de son cerveau. Un système automatique fonctionne mieux avec des gens anonymes, sans mérite particulier, qui sont en fait des rouages amovibles et interchangeables.

La contradiction la plus évidente est le fait que, dans un monde limité, l’expansion ne peut se poursuivre indéfiniment : il doit arriver un moment où tous les territoires inconnus ont été explorés, où toutes les terres arables ont été mises en culture, où la plus grande ville elle-même doit cesser de s’étendre parce qu’elle s’est fondue avec une douzaine d’autres grandes villes en une masse informe où ne subsiste plus rien de ce qui faisait une « ville ». Si chaque habitant de la planète possédait une voiture, le déplacement rapide, motif rationnel pour utiliser une voiture, deviendrait impossible » (1ère édition 1956, Encyclopédie des nuisances 2008)

extrait du livre« L’écologie à l’épreuve du pouvoir » (Michel Sourrouille aux éditions Sang de la Terre) en librairie depuis le 11 juillet 2016

 

1 réflexion sur “À lire, Les transformations de l’homme (Lewis Mumford)”

  1. Ce qui est tout à fait étonnant c’est de constater que la meilleure connaissance des lois physiques ait par ailleurs conduit l’Homme à ne pas en comprendre un de leurs caractères principaux : elle sont indépassables.
    Nous avons fait l’erreur en voulant les maîtriser (ou plus précisément, les utiliser) de vouloir en même temps les nier. Cette contradiction est à la base de l’échec prévisible de notre civilisation. Au cours de ce siècle probablement.
    Nous sommes sur un monde fini et faisons semblant qu’il ne l’est pas, cela va mal se terminer.

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