Acteur absent, élément-clé d’une démocratie écologique

La politique repose sur des « éléments de langage » que les membres de la classe dirigeante s’efforcent de propager dans la presse et d’inculquer à l’opinion publique. Michel Sourrouille propose aux électeurs dans son livre* un lexique pour pouvoir mieux se situer face aux jeux du pouvoir et mieux comprendre les enjeux de la démocratie. Exemple :

Acteur absent (ou tiers absent), acteur qui ne peut prendre la parole lors d’une négociation, ou qui n’est pas invité à la table des négociations. Exemple : milieu naturel, êtres vivants non humains, générations futures. (Dictionnaire du développement durable, AFNOR, 2004).

La démocratie représentative aurait tout à gagner si les citoyens, au-delà des figures traditionnelles de la représentation, intégraient dans leur vision du monde les acteurs absents. Le suffrage universel est une conquête récente qui s’est progressivement élargi à de multiples acteurs, ce qui a permis d’approfondir l’idée de démocratie. Ce serait élargir l’universalité bien au-delà du droit de vote des femmes et de la majorité civique à 18 ans si l’on pouvait inclure dans la participation électorale d’autres acteurs auxquels nous n’avons pas l’habitude de faire référence mais qui sont pourtant incontournables, les acteurs absents ou, selon la politologue Robyn Eckersley, les « affectés ». L’écologiste, élu ou non, doit pouvoir s’exprimer au nom des acteurs absents, en particulier les écosystèmes et leur pérennité, les générations futures et leur avenir. Comment arriver à un tel type de démocratie représentative ?

Notre comportement quotidien découle toujours de représentations, nous reflétons une certaine conception de la réalité. Nous avons tous un système de pensée qui nous incite à devenir personnellement le représentant de causes les plus diverses, notre propre intérêt, les intérêts de « notre » entreprise, les intérêts des Français, les intérêts des peuples indigènes, les intérêts des grands singes, les intérêts de la Terre-Mère. Un avocat représente un client, absent ou non. Un député vote au nom d’un pays, entité abstraite. Des chefs d’État réunis pour traiter du réchauffement climatique ou de l’extinction des espèces ont pour rôle de penser à la place des générations futures et des non-humains.

Pierre Rosanvallon décrivait ainsi la condition nécessaire pour préparer le long terme : « Il n’y aura pas de sortie de la myopie démocratique si les citoyens ne sont pas eux-mêmes les défenseurs d’une conscience élargie du monde. » Un jour, que nous espérons proche, le bulletin de vote des électeurs ira à un candidat qui veut explicitement se faire l’avocat des acteurs-absents. Ce jour-là, la démocratie aura fait un pas de géant, au-delà de l’amour immodéré des politiciens actuels pour le court terme et l’anthropocentrisme. 

L’écologie à l’épreuve du pouvoir » (Un avenir peint en vert pour la France ?)

(éditions Sang de la Terre, en librairie depuis juillet 2016, 370 pages pour 19 euros)