Sébastien Arsac a souvent raconté comment, petit-fils d’éleveur et de boucher, un viandard impénitent qui cachait des saucissons sous son oreiller, il a renoncé un jour de 1993 à la viande. Le Lama blanc, bande dessinée d’Alejandro Jodorowsky qu’il lisait en mâchant un morceau de lard, lui fit prendre conscience que des peuples ne mangent pas de chair animale. Sébastien Arsac et Brigitte Gothière ont étoffé leur réflexion théorique en fréquentant à Lyon les fondateurs des Cahiers antispécistes, pionniers de la cause végane en France. L’antispécisme est aux animaux ce que l’antiracisme est aux hommes ; cette conception affirme que l’espèce humaine ne saurait discriminer, exploiter voire tuer un autre être vivant qui éprouve douleurs, plaisirs et émotions. Le couple dirige l’association L214, célèbre pour ses vidéos sur les violences infligées aux bêtes d’élevage. Ils ont imposé le débat sur la condition animale à des politiques qui avaient jusque-là d’autres chats à fouetter.
En 2008, Arsac et Gothière ont baptisé leur association en s’inspirant du film de Bertrand Tavernier L627, « un titre qui claquait bien ». Le cinéaste faisait référence à l’article du code de la santé publique qui prohibe les stupéfiants. Le nom L214 renvoit à celui du code rural : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. » Ce qui n’est pas vraiment le cas dans les batteries industrielles ou les abattoirs. Avec deux millions d’euros de dons reçus cette année et plus de 24 000 adhérents, l’organisation compte désormais vingt-trois salariés, qui touchent tous le même salaire, patrons compris.Outre le site de L214, l’association anime les sites Politique & animaux, qui propose des dossiers et note le personnel politique ; Viande. info, qui dit tout le mal que causent l’élevage et la pêche sur l’environnement et la santé ; Vegan Pratique, qui donne conseils et recettes afin de se passer de tout produit d’origine animale ; VegOresto, qui recense les tables françaises réservées aux légumes. L214 organise aussi des « Vegan places » dans les villes pour sensibiliser les passants et mène des campagnes d’affichage dans le métro parisien, quand la RATP ne les censure pas. Les militants pratiquent ce que les Anglo-Saxons appellent Name and Shame (« nommer et faire honte ») : ils donnent le nom des entreprises accusées de maltraitance, mais aussi celui de leurs clients, grandes surfaces comme chefs étoilés. Le succès de L214 s’explique en partie par ce message qui désigne les coupables. Les vidéos de L214 sont un catalogue de l’horreur. Ainsi, Palme d’or du sordide, celle tournée à Limoges, dans le plus grand abattoir public de l’Hexagone.
Brigitte Gothière et Sébastien Arsac constituent un étrange mélange de convictions véganes radicales (refus de la consommation de tout produit animal), de méthodes militantes très directes (images volées souvent gore, dénonciations, manifestations), mais aussi de modestie et de tolérance pour ceux qui ne partagent pas leur vision du monde. Mais pour ce couple, la question est tranchée : « Toute forme d’élevage engendre de la souffrance chez l’animal » et L214 lutte pour une abolition pure et simple.
source : LE MONDE du 24 février 2017, Les coulisses de l’association L214
L’écologie en ce moment se situe beaucoup plus du côté des associations que des partis