Une des tares importantes de la société marchande est la dévalorisation incessante de ce qui existe. Une innovation chasse l’autre, ainsi pour la communication à distance. Les premières cabines téléphoniques apparaissent à Paris en 1881 dans l’enceinte de l’Exposition internationale d’électricité, cinq ans après l’invention du téléphone. Deux ans plus tard le premier réseau de cabines publiques est mis en service à Reims, il y en avait neuf. Fin 1885, Paris compte 35 cabines enregistrant chacune une trentaine de communications hebdomadaires. Comme il faut attendre trois ans en 1966 pour être raccordé au téléphone, l’âge d’or du Publiphone peut commencer. On comptait en France 4700 cabines téléphoniques en 1970, 21000 en 1974, 90000 cabines sur la voie publique en 1980. Mais 35 % des postes publics français sont en permanence hors service par suite d’actes de vandalisme. D’où en mai 1980, l’expérience des publiphones qui fonctionnent non plus avec des pièces ou des jetons mais avec des cartes prépayées. Atteignant le nombre de 162 000 fin 1983, le réseau des Publiphones atteint son apogée, en 1997 avec 250 000 unités. Le parc français est alors le plus dense d’Europe, avec 4 cabines pour 1000 habitants. Depuis, l’histoire du Publiphone ressemble à une lente agonie.
D’abord tous les foyers ou presque ont été équipés de téléphone fixe. Et puis la mode des portables rend inutile la cabine téléphonique, tout le monde balade son mobile dans la rue. Il y a suréquipement, 76 millions de cartes SIM sont en circulation dans l’Hexagone. Les 95 750 cabines téléphoniques encore en service au 1er janvier 2014 sont sous-utilisées. Leurs équipements (lecteur de carte, logiciel) seront bientôt obsolètes, rendus inutilisables du fait des évolutions technologiques. Vendredi 14 février 2014, le mandat qui fait d’Orange le gestionnaire unique des publiphones est arrivé à son terme alors que depuis deux ans cette activité n’est plus rentable*. Le démantèlement des publiphones s’accélère. L’idée de service universel, c’est-à-dire l’obligation pour l’Etat de fournir une cabine publique dans chaque commune (et deux dans celles de plus de 1 000 habitants) devient elle aussi obsolète.
Il arrive un moment où l’évolution technologique devient contre-productive : pourquoi remplacer la téléphonie fixe alors que c’était devenu un service universel ? Il faudrait supprimer la téléphonie mobile pour revenir au service universel, pour ne plus dépendre de ces groupes privés comme SFR, Free ou Bouyges qui nous ont lancé dans une course sans fin aux nouveautés technologiques pour leur plus grand profit. Il nous faut donc agir contre l’exposition aux ondes électromagnétique. Il nous faut agir contre l’obsolescence programmée. Il nous faut anticiper une panne globale d’électricité. Il nous faut vaincre la nomophobie. Il nous faut réévaluer notre échelle de besoins. Quand une technique n’est-elle plus appropriée ?
* LE MONDE du 16-17 février 2014, Le publiphone, une espèce en voie de disparition