« Rappelons qu’il ne saurait y avoir d’humanité prospère et le moindre PIB bien gras et bien dodu sur une planète dévastée. Si demain nous n’avions plus de pétrole, ni gaz, ni charbon, ce n’est pas 4 % du PIB que nous perdrions (la place de l’énergie dans le PIB), mais près de 99 %. Cette énergie fossile à profusion, c’est la véritable cause de la hausse de notre pouvoir d’achat. Retraites et études longues sont donc « assises » sur des consommations d’énergie importantes, et c’est bien ainsi que se lit la géographie actuellement : il n’y a beaucoup de retraités et d’étudiants que dans les pays qui consomment beaucoup d’énergie. Une journée d’hospitalisation en service de réanimation, accessible à tout citoyen occidental, coûte de 500 à 5000 kWh d’énergie. Lorsque l’approvisionnement énergétique commencera à être fortement contraint, il est logique que l’emploi tertiaire souffre autant que l’emploi productif, puisque le premier dépend du second. Etudiants, enseignants, employés de la Sécu, retraités et vacanciers sont tous des enfants de l’énergie abondante à prix décroissant : rien de tout cela ou presque n’existe dans les pays où l’énergie reste un luxe. Une grande partie des évolutions économiques et sociales vont s’inverser. »
Ce pronostic de Jean-Marc Jancovici* se déroule déjà sous nos yeux en Grèce, non pas à cause d’un blocage énergétique, mais à cause de l’endettement. Depuis 2008, le taux de croissance du PIB est négatif, s’établissant à – 5,2 % en moyenne ces cinq dernières années. Les salaires des fonctionnaires ont été réduits de 7 % à 55 %. Le pays compte désormais à peu près 610 000 fonctionnaires, soit 200 000 de moins qu’il y a quatre ans. Pour cinq départs à la retraite, l’Etat ne procède plus qu’à une embauche. Les pensions des retraités, déjà amputées en 2010, ont encore perdu cette année entre 5 % et 15 %. Neuf hôpitaux d’Athènes et Thessalonique ont été transformés en centres de soins aux prestations réduites. Près de 10 000 lits ont disparu et le recrutement du personnel hospitalier a été gelé. Comme l’assurance-maladie dépend de l’emploi, 2 à 3 millions de personnes ne sont plus assurées dans le pays et sont donc dans l’impossibilité de se soigner. Dans l’éducation, les dépenses ont diminué de 28,3 % entre 2008 et 2013. Dans le privé, le salaire minimum brut est passé de 751,39 euros en 2009 à 586,08 en 2012. 28 % de la population active est au chômage contre 7,5 % en 2009**.
Quiconque réalise ce que signifie, pour le mode de vie occidental, de limiter à la fois le niveau d’endettement et les émissions de gaz à effet de serre tout en faisant face à la descente énergétique comprend que ça ne va pas être simple d’y arriver. La France connaîtra le même sort que la Grèce à plus ou moins longue échéance, avec ou sans changement de gouvernement.
* Changer le monde, tout un programme (Calmann-lévy, 2011)
** LE MONDE éco&entreprise du 9 avril 2014, La crise qui a radicalement changé le visage de la Grèce