Bassines, un combat à mort

La manifestation contre la bassine de Sainte Soline, interdite par la préfecture, a rassemblé entre 6 000 personnes, selon les autorités, et 30 000 selon les organisateurs. Plus de 3 000 gendarmes et policiers ont été mobilisés pour défendre l’agro-industrie. Le choc a été violent. les forces de l’ordre ont tiré plus de 4 000 grenades et utilisé des LBD (lanceur de balle « de défense ». Deux cents manifestants ont été blessés, dont quarante grièvement, et les jours une personne sont en danger. Le dernier bilan des autorités fait état de vingt-huit blessés chez les gendarmes, dont deux graves.

Lire, FNE, le combat des mégabassines

Stéphane Foucart : La débauche de moyens dépêchés par l’Etat pour empêcher les manifestations contraste cruellement avec la tranquillité opérationnelle dont jouissent les tenants de l’agro-industrie lorsqu’ils malmènent des journalistes ou des opposants à leurs projets. Ces mégabassines sont le paradigme d’une « maladaptation » au changement climatique. Au lieu d’aider les territoires et les exploitations à évoluer, elles les enferment dans l’idée dangereuse qu’il va encore être possible de maintenir des systèmes agricoles dont nul n’ignore plus qu’ils sont condamnés à brève échéance. La guerre de l’eau (des bassines) est intéressante car elle jette une lumière crue sur les partis pris de l’Etat et sur l’asymétrie radicale de son action dans les situations de conflits sur l’usage de la nature et des biens communs en général. Le productivisme y semble l’emporter sur toute autre considération, qu’elle relève de la science ou même du droit. L’autorisation d’une bassine est accordée par le préfet et ce nouvel arrêté se soit derechef annulé par la justice administrative !

L’Etat de droit est, paraît-il, un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit et où l’égalité de traitement de chacun est garantie. Que le simple rappel de cette définition puisse ces jours-ci sembler tout à coup si subversif : cela devrait tous nous inquiéter.

Le point de vue des écologistes

PHemptinne : Avec ces mégabassines, ne voit-on pas purement et simplement une nouvelle enclosure, aussi radicale et violente que celles qui fondèrent le capitalisme? Soit, une privatisation d’un bien commun, l’eau aujourd’hui, les terres autrefois, au profit de quelques-uns au service d’un système productiviste qui détruit, (pas seulement les haies!), mais notre planète.

Enclosure : Longtemps, une partie des terres est restée bien commun. En Angleterre, ce sont les lois d’enclosure qui firent disparaître les communaux de 1700 environ à 1845. C’était la condition pour « libérer » une main d’œuvre qui allait servir dans le processus d’industrialisation naissant. Détacher l’homme de la terre a été un moyen de faire « circuler » les hommes et la terre. Selon l’idéologie libérale c’est l’appropriation individuelle qui permet la croissance économique. Une société, une entreprise ou un individu sera d’autant plus efficace que le droit de propriété a défini de façon précise la protection de ses gains. Par exemple avec le mouvement des enclosures en Angleterre, les propriétaires fonciers étaient certains de recueillir personnellement l’intégralité des bénéfices entraînés par les nouvelles méthodes d’élevage et de culture, d’où la révolution agricole, puis l’instauration des manufactures. La révolution industrielle n’est en fait qu’une immense expropriation qui éloigne les humains de la Nature et du bonheur en leur faisant croire à la propriété individuelle. Les humains ne sont propriétaires que par convention, dans le réel ils partagent la planète avec le reste de la Biosphère.

Michel SOURROUILLE : Nous sommes entre 1811 et 1813, au cœur de l’Angleterre. Cette région rurale est alors le centre de la production de textile du pays ; depuis peu, des métiers à tisser automatiques bouleversent la société. Les patrons se passent des artisans et de leur savoir-faire, qui sont remplacés par des ouvriers « isolés et interchangeables ». La naissance du « premier système de production industrielle » ne se fait pas sans heurts : partout à travers le pays, des ouvriers brisent ces métiers à tisser, et se fédèrent sous la bannière d’un personnage mythique, le « commandant » Ned Ludd. Face à ce mouvement luddite, le gouvernement anglais avait préféré la croissance industrielle à la vie humaine en allant jusqu’à punir de la peine de mort quiconque brisait une machine dans une manufacture. Deux siècles plus tard rien n’a changé, les gouvernements soutiennent le croissancisme destructeur de nos vies… et maintenant de la planète.

Néo-luddite : Les néo-luddites ne sont pas opposés à toutes les bassines, mais à « toutes les bassines préjudiciables à la communauté ». Pour l’introduction d’une nouvelle technique d’irrigation, les critères suivants peuvent servir de guide : ce nouvel outil de travail devrait être moins cher, plus petit et plus efficace que celui qu’il remplace, avoir besoin de moins d’énergie et utiliser de l’énergie renouvelable, être facilement réparable ; il ne devrait pas faire obstacle à quelque chose de bien qui existe déjà, relations communautaires incluses. Il faut ajouter bien entendu le respect de la stabilité des écosystèmes dans lesquelles s’insèrent ces bassines. Et ne pas impacter de façon négative la biodiversité, cela va de soi.

8 réflexions sur “Bassines, un combat à mort”

  1. site reporterre

    Agathe, médecin urgentiste : Le gouvernement fait de la lutte contre les mégabassines un symbole de l’autorité de l’État. Je suis venue manifester, dans mon sac à dos des compresses, du désinfectant, des antalgiques, des bandes, quelques kits de sutures si nécessaire. Le niveau d’intensité a été maximal d’emblée , pluie de grenades lacrymogènes, assourdissantes, désencerclantes. Un homme est au sol il est trop calme, plaie hémorragique en arrière de l’oreille. La fréquence cardiaque serait à 160, la tension artérielle systolique à 85. Le shock index est à presque 2. J’insiste auprès des secours sur le fait que cet homme a besoin d’un Smur [service d’aide médicale urgente], sans résultat. Le coma est de plus en plus profond. Des médecins des gardes mobiles arrivent…
    les ambulances sont bloquées par les gardes mobiles en amont.

  2. Rappporterre

    La brutalisation des interventions est aujourd’hui au cœur de la stratégie française de maintien de l’ordre : détournement de la garde à vue afin d’empêcher les citoyens de défiler, gazages rapprochés. violences physiques contre des personnes désarmées au sol, non-assistance aux personnes en danger, nassages systématiques,Autant de comportements interdits ou strictement délimités par le droit, ce dont le pouvoir semble fort peu se soucier.
    Ce texte provient d’une analyse de sociologue Olivier Fillieule, elle s’applique particulièrement au ministre de l’intérieur Gérard Darmanin qui voit de l’écoterrorisme partout et l’urgence écologique nulle part.

  3. Didier BARTHES

    Pour une fois tous les écologistes sont d’accord, ces bassines sont une aberration
    surfaces naturelles artificialisées, effroyables bâches de plastique pour imperméabiliser les fonds du réservoir, eau perdue en quantités énormes via l’évaporation, assèchement des nappes phréatiques, (à qui on ne rend pas l’eau en plus). Tout cela est une folie.
    Est-ce que le gouvernement pourrait entendre la sagesse autrement que via la violence ? Pourquoi refuse-t-il d’écouter ?

  4. La terre fertile de la région éveillait des convoitises. De nombreux exploitants agricoles, des « fazendeiros », viennent s’nstaller à Tiningu et ses 3 857 hectares pour cultiver des céréales et développer la pisciculture, des activités voraces en eau. Avec cinq sources naturelles, se retrouvent au cœur d’un conflit entre villageois et grands propriétaires terriens, dont les activités se sont particulièrement développées sous le mandat de l’ex-président du Brésil, Jair Bolsonaro, en l’absence d’une politique de protection des peuples indigènes.En 2018, Haroldo Betcel a été assassiné à l’âge de 34 ans, transpercé d’un tournevis dans le dos, pour avoir défendu l’accès à l’eau de son village.

    Haroldo Betcel figure dans la liste des 1 733 défenseurs de l’environnement tués depuis dix ans, selon le dernier rapport de Global Witness publié le 29 septembre 2022.

    1. Même si le Brésil est un peu loin de nos bassines, on peut toujours espérer que Lula parviendra à freiner le désastre.
      – Brésil : Quel avenir pour l’Amazonie avec Luiz Inácio Lula da Silva au pouvoir ?
      ( 22 NOV. 2022 – nationalgeographic.fr )

  5. Cette fois je partage le «point de vue de écologistes». La comparaison avec les enclosures est intéressante. En plus, ou avant, d’être une immense expropriation qui éloigne les humains de la Nature et du bonheur, la révolution industrielle reste étroitement liée au Capitalisme. Comme pour la poule et l’œuf, on ne peut pas penser l’un sans l’autre. Et aujourd’hui, deux siècles plus tard, ça craque de partout. Et ça chauffe de tous les côtés. Le Climat et le climat, les retraites, les bassines etc. de toute façon tout est lié. Chauffe Marcel, chauffe Manu et Jean Pass !
    Le 17 MARS 2023 À 19:32 (“FNE, le combat des mégabassines”) je disais qu’il y avait de quoi s’inquiéter. Ce qui ne m’empêche pas de faire mes nuits, en attendant. Je ne vais quand même pas culpabiliser de dormir comme un bébé, si ? En tous cas je ne crois pas que notre jeune roitelet puisse en dire autant. Même si sa Brigitte lui chante des berceuses.

    1. – « […] entre 6 000 personnes, selon les autorités, et 30 000 selon les organisateurs.
      Plus de 3 000 gendarmes et policiers ont été mobilisés pour défendre l’agro-industrie […]»

      L’agro-industrie et l’Ordre Établi et en même temps ! Et là encore les uns et les autres qui ne sont déjà pas foutus de s’entendre sur les chiffres. Si encore le delta n’était pas si important, si ridicule, passe encore.. Mais là c’est de 1 à 5 ! Parfois ON ose même aller plus loin, avec un rapport de 1 à 10. Et comme par hasard, là encore, c’est toujours du même côté qu’ON en compte le moins. C’est quand même un peu bizarre, non ?
      Et rien que ça, déjà… si ce n’est pas de la provocation… du foutage de gueule, et donc une forme de violence… alors c’est quoi ? ( à suivre )

      1. Nos autorités, avec ou sans « », en tous cas garantes de l’Ordre Établi, n’ont quand même pas peur du ridicule. C’est d’ailleurs à ça qu’on les reconnait. Sur ce coup elles annoncent «plus de 3 000 gendarmes et policiers».
        Selon leurs chiffres, et s’ils savent compter, ça fait donc 1 flic pour 2 manifestants !
        Comment se fait-il alors, qu’avec un tel rapport de force, ils n’aient pas été foutus d’empêcher toute cette violence ? De deux choses l’une, soit ces flics sont des tocards… ou alors fatigués, vieux, bons pour la retraite… soit en face ils avaient 6000 black blocs.

Les commentaires sont fermés.