BIOSPHERE-INFO, le principe de précaution

Pour recevoir gratuitement par Internet le mensuel BIOSPHERE-INFO,

il suffit d’envoyer un mail à biosphere@ouvaton.com

Le principe de précaution a été constitutionnalisé depuis 2005 sous le gouvernement Chirac. Pourtant il s’attire encore aujourd’hui les foudres d’une droite politique excessive, déniant les problèmes et peu soucieuse de l’intérêt public. Ainsi le présidentiable 2017 François Fillon a annoncé sa volonté de supprimer ce principe «dévoyé et arbitraire» de la Constitution. Il suit en cela son maître Nicolas Sarkozy qui en 2014 disait : « Je souhaite clairement que nous réfléchissions aux conséquences du principe de précaution auquel je préférerai toujours le principe de responsabilité. Avec la précaution, on s’abstient de faire, avec la responsabilité, on assume la conséquence de ses choix et on ne se condamne pas à l’immobilisme. » Pour mieux comprendre le fond de ce débat, voici une synthèse.

  1. Définition du principe de précaution

article 5 de la Charte de l’environnement : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».

Le principe de prévention est mis en œuvre sur la base d’expériences théoriques ou pratiques. Le risque est avéré, il peut être démontré par la communauté scientifique. Avec le principe de précaution, le risque est non avéré. Les autorités publiques ont l’obligation d’agir sans que le risque redouté ne puisse être démontré. Le principe de précaution ne se réduit donc pas à une décision d’experts surplombant la population intéressée, mais appelle un processus de participation des personnes concernées. Le principe de précaution ne s’applique évidemment pas à la recherche fondamentale, ni même à la recherche appliquée. Il ne joue que pour la mise en place de nouveaux produits ou de nouvelles technologies susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement et/ou sur la santé humaine. Par voie de conséquence seul le domaine marchand, celui de l’application des technologies, est en cause.

  1. L’opposition au principe de précaution

La France est un pays dans lequel une partie de la droite et du Medef prétendent que le principe de précaution instaure un blocage absolu de l’innovation. Pour argumenter, ils commencent par donner à croire que ce principe envahit tous les domaines. C’est ainsi que l’assimilation de la prévention et de la précaution est constante.

Il faut se rappeler les résistances des « spécialistes » avant même les débats parlementaires sur la constitutionnalisation en 2005 du principe de précaution. Le quotidien LE MONDE traitait dans un éditorial du 26 avril 2004 le principe de précaution de principe de frilosité. Selon l’Académie des sciences morales, ce projet « aurait des conséquences scientifiques, industrielles et même politiques puisqu’il irait à l’encontre des principes qui fondent notre démocratie représentative » ! Cette opposition forcenée n’a jamais cessé et reprise en boucle. L’essayiste Nicolas Baverez prônait une « bonne » écologie qui « se démarque d’une conception absolutiste du principe de précaution pour se réconcilier avec la science et le progrès. (Les Echos du 16 octobre 2007)» Le professeur Michel Godet s’élevait contre les « Khmers verts pour qui la disparition de l’homme blanc occidental serait une bonne nouvelle » et sa conclusion : « Si on appliquait le principe de précaution, on ne ferait pas d’enfants ! (LE MONDE du 13 décembre 2007)»

  1. le point de vue de Dominique Bourg

Ce principe commande de ne pas attendre d’avoir levé toute forme d’incertitude pour prendre des mesures visant à réduire la hauteur des dommages redoutés. Lorsque par exemple les océans se seront trop réchauffés et la composition de l’atmosphère trop altérée, il sera trop tard pour réduire le réchauffement climatique ; c’est d’ailleurs à peu près où nous en sommes. Il s’agit d’agir par anticipation pour éviter ensuite l’impuissance. Ainsi compris le principe de précaution n’est en aucun cas une incitation à tendre vers le risque zéro.

Cela fait au moins deux décennies où le principe de précaution aurait pu être appliqué pour les néonicotinoïdes. Il ne l’a pas été non plus dans l’affaire du chlordécone dans les bananeraies des Antilles. Ces manquements à la précaution nous interrogent sur la représentation politique et parlementaire. Nombre d’élus défendent avant tout les intérêts de quelques industriels et non l’intérêt public. Ils n’ont pourtant pas reçu le mandat de mettre notre santé en danger, encore moins les équilibres de la planète. L’aplomb de gens comme Sarkozy, « L’environnement ça commence à bien faire ! » a quelque chose de troublant et peut faire peur. En réalité ce que cache cette haine contre le principe de précaution est une forme d’attachement fanatique au marché et à l’idéologie du progrès. Il faut fanatiquement croire que le marché débouche nécessairement la meilleure allocation possible des ressources et croire derechef que n’importe quelle avancée technique débouchera nécessairement sur une amélioration de notre condition. Or, le principe de précaution ne s’oppose pas à de réels progrès, il les garantit, tout au contraire.

Aux pratiques d’agro-écologie, les entreprises préfèrent la course à la puissance des pesticides, au point de créer des insectes omni-résistants. De façon générale, nous substituons à des mécanismes spontanés une techno-nature, même si cela débouche sur une socio-nature plus complexe et plus fragile. Aucune de ces logiques ne saurait être indéfiniment poursuivie, le résultat cumulé aboutira mal, inéluctablement.

(« Le choix du pire » aux éditions puf, 256 pages pour 15 euros)

  1.  le point de vue de Corinne Lepage

La France est l’un des pays dans lequel on parle le plus du principe de précaution et où on l’applique le moins. Cette particularité est liée pour une très large part à la structure du capitalisme français, assez archaïque. Ses gloires ont très largement du siècle passé et les entreprises industrielles qui restent utilisent des technologies à haut risque. Je pense en particulier au nucléaire ou à l’amiante développé par Saint-Gobain.

J’observe qu’en Europe, les problèmes sanitaires les plus importants ont concerné la France : sang contaminé, hormones de croissance, amiante, prothèses PIP, uranium appauvri, pesticides, etc. Aux Etats-Unis, la contrepartie de l’absence du principe de précaution est un régime de responsabilité extrêmement sévère. La liberté des industriels est compensée par un risque financier colossal lorsqu’un problème surgit. Ainsi BP a payé plus de 50 milliards pour la pollution au pétrole du golfe du Mexique de 2010. Les cigarettiers ont payé des sommes astronomiques pour ne pas être poursuivi pénalement. Or en France il n’existe aucun régime équivalent. Le monde industriel a donc tout à gagner à avoir en amont le principe américain (pas de principe de précaution) et en aval le principe européen (pas de responsabilité) pour pouvoir bénéficier d’une tranquillité absolue.

Le cas de la dioxine est extraordinaire. Lorsque je me suis occupé du sujet à mon poste de ministre de l’environnement en 1996, le ministère de l’agriculture m’a affirmé que cette molécule ne posait aucun problème sanitaire, en se fondant sur un rapport de l’Académie de médecine de 1993. En vérité l’Académie de médecine comme l’Académie des sciences n’ont jamais trouvé le moindre problème à aucune technologie et ne peuvent accepter le principe de précaution qui gêne les intérêts industriels. Les membres sont pris dans un système où les conflits d’intérêts sont permanents.

En fait, le vrai sujet n’est pas le principe de précaution, mais la responsabilité, responsabilité au sens le plus large du terme, c’est-à-dire le fait d’assumer les conséquences de ses choix. Or, avec les nouvelles technologies, qu’il s’agisse des OGM ou des nanotechnologies, à un certain seuil, la dissémination rend impossible la recherche des responsabilités. L’objectif des industriels est de faire traîner les choses en longueur jusqu’à ce que ce seuil soit atteint. Or ce stade me semble atteint aujourd’hui. Les nanotechnologies sont très largement utilisées sans aucun contrôle. Nous vivons dans un système dans lequel le monde industriel invente les règles de son irresponsabilité. On est parvenu à vider la précaution de son contenu et à en faire un principe purement virtuel en faisant croire, comble de l’hypocrisie, qu’il est un obstacle au développement.

 Le choix du pire » aux éditions puf, 256 pages pour 15 euros)

  1. Le point de vue de Jean-Pierre Dupuy

La première menace a trait à la complexité des écosystèmes. Cette complexité leur donne une extraordinaire stabilité et une non moins remarquable résilience. Cela ne vaut que jusqu’à un certain point seulement. Au-delà de certains seuils critiques, ils basculent brusquement vers autre chose, formant d’autres types de systèmes qui peuvent avoir des propriétés fortement indésirables pour l’homme. En mathématiques, on nomme de telles discontinuités…des catastrophes. Les signaux d’alarme ne s’allument que lorsqu’il est trop tard. Si l’on se rapproche des seuils critiques, le calcul coûts-avantages devient dérisoire. La seule chose qui compte alors est en effet surtout de ne pas les franchir.

Il y a quelque imposture à faire dépendre la mise en œuvre du principe de précaution de « l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment », ainsi que le fait la loi Barnier. Je parle d’imposture parce qu’il est sous-entendu qu’un effort de la recherche scientifique pourrait venir à bout de l’incertitude en question, qui ne serait là que de façon contingente. Le défi qui est lancé à la prudence n’est pas le manque de connaissance sur l’inscription de la catastrophe dans l’avenir, mais le fait que cette inscription n’est pas crédible. La temporalité des catastrophes réfute l’implication que savoir, c’est croire. Quelle était la pratique des gouvernants avant que l’idée de précaution voit le jour. Mettaient-ils en place des politiques de prévention ? Pas du tout, ils attendaient simplement que la catastrophe arrive avant d’agir.

Alors que depuis vingt ans nous connaissons parfaitement le risque lié au réchauffement climatique, la vérité consiste à dire que nous n’avons strictement rien fait. Non seulement la peur de la catastrophe à venir n’a aucun effet dissuasif ; non seulement la logique économique continue de progresser comme un rouleau compresseur ; mais aucun apprentissage n’a lieu. Hans Jonas écrit dans Le Principe Responsabilité : « La peur qui fait essentiellement partie de la responsabilité n’est pas celle qui déconseille d’agir, mais celle qui invite à agir ». Le débat démocratique au sujet des nouvelles menaces va porter de plus en plus sur les limites que les sociétés industrielles vont devoir s’imposer à elles-mêmes, en coordination les unes avec les autres, ou bien c’est un écofascisme terrifiant qui risque d’imposer sa loi à la planète.

(Pour un catastrophisme éclairé, quand l’impossible est certain – Seuil, 2002)

  1. annexe documentaire

– sur notre blog le 13 août 2008 : principe de précaution

Jean Yves Nau s’interroge dans Le Monde du 13.08.2008 sur la science quand elle est muette. Avec la problématique de l’effet à long terme des faibles doses (radiations nucléaires, ondes électromagnétiques, la taurine dans le Red Bull…), les enquêtes n’aboutissent pas à des conclusions unanimes, le doute s’installe……

– sur notre blog le 21 avril 2010 : Frilosité du principe de précaution ?

Le principe de précaution n’est pas un principe d’anxiété (éditorial du MONDE du 21 avril), il permet au contraire de lutter contre les dérives de notre société thermo-industrielle. Cet éditorial préfère assimiler mesures de précaution et société régressive, diabolisant le principe de précaution……

– sur notre blog le 26 juin 2010 : le principe de précaution contre l’irresponsabilité

Le chlrodécone est un « scandale sanitaire », mais c’est aussi la preuve que sans application du principe de précaution, il y a irresponsabilité des producteurs……

4 réflexions sur “BIOSPHERE-INFO, le principe de précaution”

  1. Bien d’accord avec les remarques de Multis, Si prendre des précautions a bien un sens, élargir à tout et n’importe quoi ce principe indépendamment de toute réflexion appliquée aux sujets concernés conduit à des aberrations, l’histoire des vélos interdits l’illustre au mieux.

  2. Bonjour à tous,

    J’avoue que j’ai toujours eu du mal avec le principe de précaution ; j’ai pris la peine de lire les différents extraits, et il sont assez éclairants, comme celui de Corinne Lepage ; idem pour les commentaires de Didier, en phase avec la non conscience collective de l’espèce humaine, et en phase aussi avec la conclusion de Michel
    Non , ce qui me gêne dans le principe de précaution, c’est son utilisation à toutes les sauces ou à petite échelle, au delà des grandes cause humaines.

    Un seul exemple pour illustrer : Dans mon entreprise, principe de précaution oblige, on a interdit les voitures dans l’enceinte, nouveau parking extérieur, très bien, et puis dans la foulée les vélos ; Il n’y a jamais eu 1 accident de vélo depuis 50 ans que l’entreprise existe, mais voilà, c’est le principe de précaution « en bas de chez moi » ; Car « monsieur, pouvez vous garantir qu’il n’y aura jamais d’accidents de vélo dans l’enceinte ? » ; c’est un discours hypocrite et moralisateur, d’autant que maintenant il n’y a même plus de voitures dans le périmètre..Et moi, pour venir en vélo, je fais 20 km de route, et je traverse un pont, pour au final devoir garer mon vélo 600 m avant d’arriver par précaution, quand les risques ont diminué de 99,9 %.

    Cette déclinaison en dogme à toutes les sauces est insupportable ; j’ai l’impression que avant on avait peur de mourir, et que maintenant, grâce aux principes de précautions croisés partout dans notre quotidien, on a peur de vivre.

    Et au final, je me dis que la multiplication de ces « précautions », c’est en lien avec notre nombre sur terre ; Par précaution , ou plutôt prévention là (c’est avéré) on ne pourra bientôt plus faire de feux de cheminée, pollution de l’air etc. ;
    Moi j’aimais bien les feux de cheminée.., mais voilà, comme dis Michel, c’est ma petite personne ; Nostalgie

  3. Le principe de précaution est selon moi un principe de sagesse. Je dirais qu’il est la moindre des sagesses.
    Déjà le mot « précaution » pose problème. Tous nos actes sont des paris sur l’avenir. Même les actes les plus anodins que nous accomplissons quotidiennement sans nous poser de question, sont des paris. Quand je dis « j’arrive, je suis là dans une heure », je ne peux rien garantir. Dans une heure je serais là, ou pas.

    Or si nous nous arrêtions au moindre doute, nous ne ferions plus rien. Et comme nous devons agir, et comme nous ne sommes pas tous faits du même bois, que nous n’avons pas tous les mêmes lunettes pour voir le Monde… chacun appréciera à sa façon les risques, les dangers, bref le sens de ce principe de précaution.

    Le surfeur prudent n’ira pas se livrer à son jeu favori sur certaines plages réunionnaises, le surfeur très prudent ou peureux restera sur les petites vagues landaises. Deux surfeurs pourtant informés ont dernièrement bravé le danger à la Réunion, et se sont fait bouffer par les requins. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ces deux-là n’ont pas pris assez de précautions.

    Certains (prudents, peureux ou pessimistes, ou lucides ou sceptiques …) refuseront ce que d’autres (inconscients ou optimistes, confiants ou entreprenants …) accepteront. Les premiers pensant généralement que les seconds ne sont pas raisonnables ou qu’ils se fichent de tout, les seconds pensant que les premiers ne sont que des froussards ou des réacs, et que s’il fallait les écouter nous serions encore vêtus de peaux de bêtes en train de courir derrière les mammouths.

    Ces paris sur l’avenir, nous les faisons d’abord dans l’intérêt de notre petite personne. Mais heureusement le bien-être de notre petite personne repose aussi sur l’intérêt de l’Autre, donc sur son bien-être. La conscience que seul nous ne sommes rien, la morale (dictée par une culture), la spiritualité… tout ça intervient dans la balance et entre en compte lors de ce fameux pari : « Que dois-je faire ? »

    Celui qui ne se soucie pas particulièrement de l’Autre, encore moins des générations futures, celui qui a fait le pari de croire en la toute puissance de l’Homme et de sa Technique, celui qui a placé toute sa confiance dans ce monde qui tourne au toujours plus… celui-là verra tout à fait logiquement le principe de précaution comme un frein à son sacro-saint Progrès.

  4. En complément à ces réflexions je placerais celle qui consiste à se demander si l’humanité forme une collectivité, si le concept de volonté commune à une réalité et si celui d’action collective et globale a la moindre chance de se réaliser ?

    Nous faisons comme si, mais tout cela n’est pas certain. Après tout c’est un point de vue qui échappe sans doute à toutes les espèces, Y a t-il un seul lion au monde qui s’interroge sur le concept de « l’espèce lion » et sur la nécessité de la sauver ou le sens d’un avenir commun à tous les lions ?
    Nous sommes peut-être bien présomptueux de penser qu’il en va différemment pour nous. Notre pouvoir global ne s’accompagne en rien (à part quelques écrits bien impuissants face aux réalités) d’une conscience et d’une volonté collective. Nos intérêts de court et moyens termes sont d’ailleurs loin d’être communs entre humains, ce n’est qu’à long terme et sur certains plans, mêmes si certains de ces plans, notamment la survie, sont essentiels.
    Or, une telle perspective n’a jamais été sélectionnée par la nature pour être pris en compte par ses créatures (sauf au niveau local comme par exemples certaines populations qui réduisent leur reproduction quand les ressources menacent de manquer).

Les commentaires sont fermés.