Notre protection contre l’industrie chimique repose sur des procédures et des substances inaccessibles au commun des mortels : REACH, BfR, BEE, ECHA, DEHP, phtalate, bisphénol A, Chrome VI, HAP (hydrocarbure aromatique polycyclique), cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques, perturbateurs endocriniens, etc. Même les institutions censées prendre en charge notre protection se révèlent impuissantes.
Entré en vigueur le 1er juin 2007, le règlement européen Reach (Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals) est inopérant. Pour l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques (BfR), les données fournies par les entreprises sont insuffisantes et un tiers des substances chimiques le plus utilisées en Europe ne respectent pas la réglementation censée protéger la santé et l’environnement. « Ces résultats effarants montrent que les industriels violent les lois européennes en commercialisant des centaines de substances chimiques potentiellement dangereuses et largement répandues dans les produits de grande consommation, commente Tatiana Santos du BEE (Bureau européen de l’environnement). Pourtant, la loi est claire : c’est aux industriels de faire la preuve que leurs produits ne sont pas dangereux. La loi dit : “Pas de données, pas de marché.” Cela signifie que ces substances ne devraient pas être utilisées, tant que leur innocuité n’est pas démontrée. » Basée à Helsinki, l’ECHA (Agence européenne des produits chimiques) croule sous les dossiers d’enregistrement. A ce jour, ils sont plus de 40 000 (sur près de 150 000 molécules en circulation). Mais elle n’a pu « vérifier la conformité » que de 1 780 d’entre eux. Même sur la base de ce très faible échantillon, dans la majorité des cas, la non-conformité d’un ou de plusieurs paramètres a été établie. Cinq pour cent de dossiers contrôlés, cela signifie surtout que 95 % ne le sont pas. C’est très inquiétant. Prenons le cas du DEHP, phtalate toxique pour la reproduction. Le DEHP a été identifié dès 2009 comme « substance extrêmement préoccupante ». Pourtant, près de dix ans plus tard, certains producteurs continuent à bénéficier d’une autorisation pour des usages spécifiques. On retrouve ainsi le DEHP dans les rideaux de douche, les jouets, les câbles électriques, les poches de sang ou encore les sextoys. L’explication de cette insuffisance de Reach tient à son objectif formule Macron, « en même temps » : « Mieux protéger la santé humaine et l’environnement contre les risques liés aux substances chimiques… tout en favorisant la compétitivité de l’industrie chimique de l’Union européenne ».* De plus les nanomatériaux n’entrent pas dans le champ du dispositif qui a un seuil d’une tonne par an, car la moyenne de production ne dépasse pas 750 kg par an. Or une substance sous forme de nanomatériaux possède une réactivité plus forte que sous une forme classique, car elle passe les barrières à l’intérieur de l’organisme.
Le règlement REACH est lui-même d’une complexité insondable, nul n’en connaît tous les recoins. Même inscription sur la listes des molécules interdites, une substance peut être encore maintenue plusieurs années sur le marché dans certains de ses usages « si l’impact économique est supérieur aux risques et qu’il n’existe pas de substitut »**. Autant dire que notre civilisation thermo-industrielle imbibée de produits toxiques va s’effondrer sous le poids de sa propre complexité.
* LE MONDE du 13 octobre 2018, Un tiers des substances chimiques les plus utilisées en Europe non conformes à la réglementation
** LE MONDE du 13 octobre 2018, Le règlement REACH, une usine à gaz
Corruptissima re publica , plurimae leges (Tacite)