« Nous disposons aujourd’hui d’un immense faisceau de preuves et d’indices qui suggèrent que nous faisons face à des instabilités systémiques croissantes qui menacent sérieusement la capacité de certaines populations humaines – voire des humains dans leur ensemble – à se maintenir dans un environnement viable. C’est ce que le prince Charles appelle un « acte de suicide à grande échelle ». Mais a-t-on vu un réel débat, par exemple sur le climat, en termes de changement social ? Non, bien sûr. Trop catastrophiste. D’une part on subit des discours apocalyptiques, survivalistes ou pseudo-mayas, et d’autre part on endure les dénégations « progressistes » des Luc Ferry, Claude Allègre et autres Pascal Bruckner. Les deux postures, toutes deux frénétiques et crispées autour d’un mythe (celui de l’apocalypse vs celui du progrès), se nourrissent mutuellement par un effet « épouvantail » et ont en commun la phobie du débat posé et respectueux, ce qui a pour effet de renforcer l’attitude de déni collectif qui caractérise si bien notre époque.
Ne pensez-vous pas qu’il y a un vide à combler, un trait d’union à faire entre les grandes et rigoureuses déclarations scientifiques et la vie de tous les jours, qui se perd dans les détails et la chaleur des émotions ? C’est précisément ce vide que tente de combler ce livre*. Faire le lien entre l’Anthropocène et votre estomac. Nous proposons les bases de ce que nous nommons, avec une certaine autodérision, la collaposologie, du latin collapsus, « qui est tombé en un seul bloc ». Prendre un tel chemin ne laisse pas indemne. Le sujet de l’effondrement de la civilisation est un sujet toxique qui vous atteint au plus profond de votre être. Nous avons même fait l’expérience de voir la colère d’un proche se projeter sur nous. C’est un énorme choc qui dézingue les rêves. Commencer à croire en l’effondrement, au sens d’Yves Cochet « processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, etc.) ne sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi », revient à renoncer à l’avenir que nous nous étions imaginé.
Au fil des ans, nous nous sommes clairement éloignés de la doxa, c’est-à-dire de l’opinion générale qui donne un sens commun aux nouvelles du monde. Faites l’expérience : écoutez les informations avec la perspective d’un collapsus, et vous verrez, cela n’a rien à voir ! C’est une sensation étrange que de faire partie de ce monde, mais d’être coupé de l’image dominante que les autres s’en font. »
* extraits de « Comment tout peut s’effondrer » de Pablo Servigne & Raphaël Stevens
(Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes)
Edition du Seuil, collection Anthropocène, 304 pages, 19 euros
De la part d’un des auteurs du livre, Pablo Servigne
Je suis content que ce livre t’ai plu, nous y avons mis toutes nos tripes. La tournée de lancement a été un vrai succès, toutes les conférences étaient remplies, les gens bouleversés, et on a réussi notre pari : emmener les gens sur le terrain des émotions et de l’imaginaire (tout en blindant le côté scientifique/raison/tête). Le but du livre est que l’on fasse monter la pression pour que le thème, l’idée et le mot d’effondrement soit bien présent dans tous les esprits pour la COP21. Le gouvernement met le paquet et investit désespérément des millions pour ce sommet, faisons-en une caisse de résonance ! Comme un dernier cri avant de crever 😉
Pour l’instant, il n’y a que les Echos (Fr) et l’Echo (Be) qui ont recensé/encensé le livre (bizarre, non ?), on attend encore les médias généralistes et même écologistes (« biosphere », tu es le premier !).