Les pesticides, destinés à tuer, ont été adroitement rebaptisés « produits phytosanitaires » par l’industrie chimique. Comme si l’arme chimique, c’était la santé ! Aujourd’hui nous payons le prix de notre dépendance au système industriel. L’éditorial du MONDE est cinglant : « C’est un échec si patent et prévisible qu’il en devient presque risible. Depuis 2008 et les engagements du « Grenelle de l’environnement », les gouvernements successifs n’ont pas réussi à faire baisser l’usage des pesticides en France. Le plan Ecophyto, mis en place en 2009, prévoyait une baisse de moitié du recours aux produits phytosanitaires en dix ans. Or, non seulement l’usage de ces substances n’a pas baissé de moitié, ni baissé du tout, mais il ne s’est même pas stabilisé : il a continué à grimper : l’année 2014 apparaît comme la plus noire jamais enregistrée, avec une hausse de 9,4 % de l’usage des phytosanitaires par rapport à 2013, année ayant elle-même connu une augmentation de 9 % par rapport à la précédente… Il a été décidé fin 2015 un plan Ecophyto-II sans rien changer à une recette qui a démontré son inefficacité : aucune contrainte, mais des mesures de « pédagogie » qui misent sur la « bonne volonté » des acteurs de l’agrochimie et de l’agriculture. C’est ignorer volontairement les causes profondes de l’inflation chimique de la « ferme France »… L’agroécologie voudrait que l’exploitant descende de son tracteur et redevienne attentif aux besoins du sol. »*
Il est vrai que le lobby des « phytosanitaires » manipule de façon éhontée les politiques qui nous gouvernent. Ainsi de la controverse européenne sur le pesticide Round Up. Bruxelles prévoyait un renouvellement de l’autorisation du glyphosate, principe actif du désherbant Roundup de Monsanto – jusqu’en 2031. Les enjeux économiques sont considérables. L’adoption rapide des cultures OGM dites « Roundup Ready » (résistantes au Roundup) a tiré vers le haut la production mondiale de glyphosate : de 600 000 tonnes en 2008, elle atteignait 720 000 tonnes en 2012. La Commission s’appuyait sur l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) qui estimait « improbable » que le glyphosate soit cancérogène pour l’homme. Les demandes d’interdiction du produit reposent sur un avis diamétralement opposé, celui du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pour le CIRC, le glyphosate est un « cancérogène probable pour l’homme », mutagène (toxique pour l’ADN) et cancérogène pour l’animal. L’EFSA n’a pris en compte que les études réalisées par les industriels eux-mêmes, et tenues confidentielles. Cette démarche est « scientifiquement inacceptable ». Au contraire, le CIRC n’a tenu compte que des études publiées dans la littérature scientifique. La Commission européenne a déjà été condamnée le 16 décembre 2015 par le Tribunal de l’Union européenne pour son inaction sur le dossier des perturbateurs endocriniens.** Mais la Commission a refusé de confirmer le report du vote sur le glyphosate, en expliquant que « les services de la Commission et les Etats membres [avaie]nt discuté de la façon d’aller de l’avant à ce sujet »***.
Tous ces atermoiements sont lamentables, nous avons perdus plus de cinquante ans. En 1962, Rachel Carson expliquait dans son livre Le Printemps silencieux : « Nous avons à résoudre un problème de coexistence avec les hordes d’insectes peuplant notre planète. Le tir de barrage chimique, arme aussi primitive que le gourdin de l’homme des cavernes, s’abat sur la trame de la vie, sur ce tissu si fragile et si délicat en un sens, mais aussi d’une élasticité et d’une résistance si admirables, capables même de renvoyer la balle de la manière la plus inattendue. Ces extraordinaires possibilités de la substance vivante sont ignorées par les partisans de l’offensive chimique, qui abordent leur travail sans aucune largeur de vues, sans le respect dû aux forces puissantes avec lesquelles ils prétendent jouer. Vouloir « contrôler la nature » est une arrogante prétention, née des insuffisances d’une biologie et d’une philosophie qui en sont encore à l’âge de Neandertal. »
* LE MONDE du 10 mars 2016, Editorial « Pesticides : un échec accablant »
** LE MONDE du 8 mars 2016, Bataille sur l’avenir du glyphosate en Europe
*** Le Monde.fr | 08.03.2016, Bruxelles reporte un vote sur le glyphosate, désherbant soupçonné d’être cancérogène