L’idée de constitutionnaliser la thématique démographique est absolument nouvelle en France, mais c’est déjà une réalité en Chine. Sur une planète de 8 milliards d’habitants, il n’est que temps de reconsidérer ce qui devrait nous paraître fondamental. Voici un échange qui pèse le pour et le contre d’une telle proposition.
David : Personnellement je ne suis pas favorable à l’introduction d’orientation démographique dans la constitution et cela pour deux raisons. La première est que cela ne me semble pas le rôle de la constitution qui est plutôt de définir les grande règles et principes et de fonctionnement de la République : le rôle des institutions, la répartition des pouvoirs et non de définir la politique menée dans le cadre de ces règles.
Michel : Une constitution ne règle pas seulement les rapports des instances politiques (exécutif, législatif, etc.), elle pose les grands principes qui régissent une société. Ainsi dans le préambule de la constitution française : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme définis par la Déclaration de 1789, complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004. » La préoccupation écologique est bien constitutionnalisée. Rappelons son article 2 : « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. » La Constitution française dans son article premier indique aussi que « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. » Le féminisme est bien constitutionnalisé. On a même constitutionnalisé la thématique de la peine de mort : ARTICLE 66-1. Nul ne peut être condamné à la peine de mort.
Les révisions constitutionnelles suivent les évolutions politiques. Rappelons cette annonce du Premier ministre du président Macron en date du 4 avril 2018 : « Le projet de loi constitutionnel inscrira l’impératif de lutte contre le changement climatique à l’article 34, qui définit le domaine de la loi ». On a même ajouté par la suite la protection de la biodiversité. Rappelons que lors de la campagne présidentielle 2017, Jean-Luc Mélenchon voulait établir une Assemblée constituante pour changer de fond en comble la Constitution de 1958. Tout est donc possible, une Constitution est un texte très généraliste qui évolue. Les rapport entre démographie et écologie méritent d’être constitutionnalisés et c’est possible.
David : Voici ma deuxième analyse. Ce serait prendre un risque énorme, car tous les partisans d’un militantisme particulier pourraient alors être tentés d’inscrire dans la constitution ce qui leur tient à cœur. Par exemple, à l’inverse de l’association Démographie Responsable, certains groupes pourraient vouloir inscrire la nécessité de favoriser l’accroissement démographique et le soutien à la politique familial.
Michel : Le problème d’une phrase constitutionnelle est qu’elle doit être formulée en termes qui ne prêtent pas à confusion. La question démographique est bien prise en compte par la constitution chinoise (article 25, « L’État encourage la planification familiale pour assurer l’harmonie entre la croissance démographique et les plans de développement économique et social »). Qu’on soit nataliste ou malthusien, on pourrait être satisfait d’une telle approche car l’essentiel n’est pas un parti pris, mais l’idée d’harmonie entre population et développement. Tout cela dépend d’une action politique de « planning familial » et de « développement » qui ne sont pas définis précisément par la Constitution, mais qui donneront lieu ensuite à législations parlementaires.
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Débattre du contenu de la Constitution est un des axes d’action auprès des médias et des parlementaires. L’idée de constitutionnaliser une problématique liant démographie et écologie doit être mise en œuvre dans un contexte de surexploitation de la planète. Il existe un intérêt collectif essentiel que tout le monde se doit de partager, celui de préserver l’écosystème qui rend la vie humaine possible, et donc de maîtriser la fécondité humaine en fonction du milieu qui nous fait vivre. La Chine a déjà fait une bonne partie du chemin. Sa Constitution de 1982 (version consolidée au 11 mars 2018) indique dans son Chapitre premier / Des principes généraux :
Article 25 : L’État encourage la planification familiale pour assurer l’harmonie entre la croissance démographique et les plans de développement économique et social.
Article 26 : L’État protège et améliore le milieu dans lequel les gens vivent et l’environnement écologique et mène la lutte contre la pollution et les autres nuisances. L’état organise et encourage la plantation d’arbres et le reboisement et protège les arbres et les forêts.
Démographie et écologie sont bien considérés en Chine, mais dans deux articles différents. On pourrait proposer pour notre pays la formulation suivante :
» Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré. La France tend à assurer l’harmonie entre le niveau de la population et les possibilités durables du milieu naturel. »
Conclusion : Constitutionnaliser un nouvel élément n’est pas simple. Rappelons que le 16 mars 2021, les députés ont voulu inscrire dans l’article premier de la Constitution, « la France garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». Les sénateurs de leur côté ont exigé que le mot « préserver », beaucoup moins ferme que « garantir », soit validé ; le désaccord ente les deux chambres a clos cette tentative constitutionnelle. Mais au moins le débat a eu lieu et la prise de conscience de l’urgence écologique a fait son chemin.
La Chine comme modèle … bof ! Je suis quand même content d’apprendre que la protection des arbres est inscrite dans leur constitution. Ceci dit, et quand bien même la formule (magique ?) serait introduite dans notre constitution, en quoi serions-nous plus avancés ?
Comme David je pense que ce serait prendre un risque énorme que de rajouter une orientation démographique dans la Constitution. Même formulée comme le suggère Biosphère. Notamment quand le Conseil constitutionnel n’en a plus, lui aussi, que le nom. Avant d’en rajouter exigeons déjà le respect ce qui est inscrit dans la Constitution, depuis maintenant pas mal de temps, en commençant par les Droits de l’Homme.
La démographie et les droits de l’Homme ( Persée )
Auteur : L. Lohlé-Tart, Bruno Remiche* – Publié en 1996
Accessible sur persee.fr – Temps de Lecture Estimé: 7 min
*Publié initialement dans Les sciences humaines et les droits de l’homme – 1984