L’impératif socio-écologique est dans tous les esprits. L’Association pour le contrat naturel a élaboré une approche intégrée construite sur les écrits de Michel Serres (1) et la notion de santé inclusive, la « santé commune ». Cette approche permet de repenser les défis entrelacés auxquels nous sommes confrontés, d’imaginer les solutions les plus à même d’y répondre et de cibler les moyens permettant de les mettre en œuvre. Cette tribune présente ce cadre conceptuel et esquisse les enjeux d’une transformation sociétale : au-delà du climat, ressources et territoires, santé et démocratie alimentaire, nature et agriculture, la pollution globale. Le Contrat naturel est le cadre de pensée d’une nouvelle coexistence avec la terre et les vivants : « Nous dépendons de ce qui dépend de nous« , dit Michel Serres. La santé est l’expression d’une symbiose: le soin renoue les liens, fait passer de la « bataille universelle à la sollicitude rare ». Cela appelle une philosophie de l’action et suppose de reconnaître, dans un souci de justice sociale et de responsabilité écologique, toute leur place à des territoires sur lesquels se forment des socio-écosystèmes à dimensions plurielles aux multiples valeurs partagées et nécessaires à la vie sociale de ces territoires. La santé commune. La modernité a cru pouvoir, par démesure, renoncer à penser dans un même monde global les relations infinies entre la santé humaine et la santé de la Terre. Une approche inclusive de la santé affirme au contraire qu’il existe une communauté de destin entre l’épanouissement de la santé personnelle, la santé des sociétés et celle des milieux naturels. Ainsi, la santé commune incite à fonder la paix sociale sur l’inséparabilité du bien-vivre des gens et du soin des ressources dont ils dépendent. Prenons l’alimentation et la santé. En partant de la fourchette à la fourche et non l’inverse, la démocratie alimentaire permet de dire comment les gens souhaitent se nourrir et partant qu’elle agriculture et quelles politiques publiques ils veulent pour relier alimentation, santé et nature. Cela revient à votez avec l’ assiette (2).
Priorités et moyens. L’urgence climatique, le soin d’une biodiversité en détresse, la transition énergétique qui occupent des agendas politiques et sociétales disparates, laissent dans l’ombre des défis plus englobants. Deux de nos publications s’attachent à définir une approche systémique des grands défis du présent mettant en lumière des facteurs interdépendants d’une intensification du dumping social et écologique. Ils engagent des décisions politiques vitales en matière de santé commune, sécurité alimentaire, etc. La première (3), pose les fondements juridiques et politiques permettant de relier la gestion responsables des ressources et la santé commune. Dans la deuxième publication (4), le système de « seuils planétaires » a été disséqué pour identifier les processus qui concentrent les grands enjeux pour les 5-10 années à venir: il s’agit de l’agriculture et du dérèglement physico-chimique global. Ce dernier concerne les pollutions dans leur ensemble (eau, sols, air) qui exposent tous les êtres vivants à des cocktails chimiques dont la composition change avec l’espace-temps. L’intensification chimique correspondante affecte quotidiennement les sociétés à grande échelle: l’industrie chimique et autres activités humaines représentent 144 000 produits distincts libérés dans la nature, dont les volumes ne font qu’augmenter. Ainsi chaque individu vit en intimité (à table, au travail, à l’école, en vacances) avec des cocktails fait d’antibiotiques, pesticides et herbicides, perturbateurs endocriniens, sans oublier des matières plastiques, des métaux lourds et micro-particules. La caractéristique principale de cette boite noire est la nature insidieuse des risques qu’elle comporte pour la santé des personnes et des milieux. La solution proposée: une simplification chimique visant à réduire massivement, à repenser le design, à recycler autrement nos molécules et particules.
Utopie concrète. Notre approche est l’amorce d’une réaction en chaîne visant la purge du système actuel. Elle voit dans les multiples initiatives citoyennes les briques d’un nouveau contrat social et écologique au service de l’intérêt général, des communs. Celui-ci exige une compréhension approfondie du fonctionnement des milieux naturels dans des territoires divers, et donc des connaissances locales nécessaires à la mise en œuvre des transitions écologiques et solidaires contextualisées. Une synergie de terrain des expérimentations « écotopiques » engagées en France et à l’international devient possible, avec comme objectif politique l’émergence par le bas d’un socle universel de protection sociale. Une pièce essentielle dans la matérialisation d’une santé commune assumée et partagée. C’est ce projet fondé sur une relation pacifiée avec la nature que porte l’Association pour le contrat naturel (5).
Texte réunissant des idées formulées par François Collart Dutilleul, Patrick Degeorges, Gérard Escher, Olivier Hamant, Ioan Negrutiu (ioan.negrutiu@ens-lyon.fr)
Lyon, 10/02/2019
(1) 1990, réédité en 2018, éd. Le Pommier
(2) http://institutmichelserres.ens-lyon.fr/spip.php?article290; http://institutmichelserres.ens-lyon.fr/spip.php?article528; http://institutmichelserres.ens-lyon.fr/spip.php?article512; http://institutmichelserres.ens-lyon.fr/spip.php?article446
(3) Acunzo D, Escher G, Ottersen OP, Whittington J, Gillet Ph, Stenseth N, Negrutiu I (2018) Framing planetary health: Arguing for resource-centred science. Lancet Planetary Health 2: e101-e102 et http://institutmichelserres.ens-lyon.fr/spip.php?article570
(4) Arguello Velazquez J, Negrutiu I (2019) Agriculture and global physico-chemical deregulation / disruption: planetary boundaries that challenge planetary health. Lancet Planetary Health 3 (2019) pp. e10-e11 (https://www.thelancet.com/action/showPdf?pii=S2542-5196%2818%2930235-3)
(5) http://institutmichelserres.ens-lyon.fr/spip.php?article585