Contre la culture du clash, argumentons

La « culture du clash », c’est un climat social marqué par la polarisation extrême et l’absence de dialogue ; les désaccords ne se règlent plus par la confrontation d’arguments mais par le rapport de force.

Ariane Ferrand : « Dans nos sociétés, les débats d’idées semblent omniprésents, débat télévisé, délibération parlementaire, sur ce blog biosphere… Pour autant, débat-on vraiment ? « On ne se parle plus, on se confronte » : tel est le constat amer dressé par le philosophe Antoine Vuille dans Contre la culture du clash. Débat d’idées et démocratie. Les désaccords ne se règlent pas par la confrontation d’arguments mais par la caricature ou les attaques ad hominem. Le philosophe identifie deux attitudes hostiles au dialogue : le relativisme (tous les avis se valent) et le dogmatisme (j’ai raison, tous les autres ont tort). Dans les deux cas, le débat est mort : inutile de justifier ses idées. Il faut également se méfier du biais de confirmation, qui consiste à donner plus de poids aux informations allant dans son sens. Autre vice dialectique majeur : la mauvaise foi, sorte de mensonge que l’on fait aux autres. »

Les réflexions d’Antoine Vuille sont d’autant plus utiles que le bon fonctionnement de notre vie démocratique dépend de la qualité du débat public. Antoine Vuille fait l’apologie de l’écoute de l’autre et du compromis. Reste que la mise en œuvre des principes défendus par le philosophe est plus périlleuse quand on aborde des questions politiques clivantes comme la reconnaissance de l’État palestinien ou l’âge du départ à la retraite… Prenons un exemple actuellement brûlant la confrontation entretenue par certains entre antisémitisme et antisionisme. Pourtant il devrait être facile de se défaire de ses préjugés pour argumenter à bon escient.

Volker TürkHaut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme : L’ONU continuera de faire tout ce qui est en son pouvoir pour prévenir et mettre fin à l’antisémitisme, et pour rappeler à tous les peuples les leçons de la Shoah. Mais le fait de déplorer des opérations militaires qui soulèvent de graves préoccupations quant aux violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains ne constitue pas de l’antisémitisme. Le fait de demander à Israël de rendre des comptes pour les dizaines de milliers de personnes tuées à Gaza depuis le 7 octobre 2023, dont plus de 250 membres du personnel des Nations unies, ne constitue pas de l’antisémitisme. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme continuera à résister à l’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme.

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Les « biais cognitifs » ne constituent pas une découverte révolutionnaire de la philosophie, c’est littéralement le sens du mot préjugés, l’ensemble de nos a priori. Une des premières tendances est d’attribuer plus de confiance aux informations qui confirment nos propres croyances plutôt qu’à celles qui les contredisent… Ce biais de conformisme (de confirmation) facilite l’intégration à des groupes d’appartenance, le biais de négativité incite à trop de prudence, etc. Les biais cognitifs, qu’on peut définir comme des déviations inconscientes de la réflexion, façonnent notre rapport à la réalité telle que nous voulons la voir.

Voici un panoramique de tout ce qui nous fait prendre les vessies pour des lanternes et les fake-news pour la post-vérité.

L’effet de loupe, le fait qui fait diversion

extraits : Les médias nous défrisent, les réseaux sociaux encore plus, ils cultivent ce qu’on appelle en sociologie l’effet de loupe. Ils montrent une réalité qui existe, certes, mais qui est tellement minoritaire qu’elle ne nécessiterait même pas une brève. Normalement le journalisme, c’est l’art de trier entre l’anecdotique et l’essentiel, sinon les pages d’un média se remplissent de vide. Mais à force d’être diffusés en boucle sur les réseaux de communication, un micro-évènement sature l’espace public et devient la dernière question à la mode dont il faut causer. Le problème, c’est que cela nous détourne de l’essentiel, nous rentrons dans le domaine du commérage et en oublions de réfléchir. C’est le règne des faits divers. Une spécialité des journaux télévisés qui en ouverture nous disent qu’il fait très chaud…

Le biais d’ancrage : quand la première information éclipse la suite

extraits : Le biais d’ancrage est un des moteurs principaux de la désinformation et du complotisme. Pour schématiser, le cerveau fonctionne de deux façons : de manière rapide et intuitive ou sur un autre mode, plus lent et réflexif. Le mode rapide cherche, par association d’idées, des éléments permettant de se rapprocher de la donnée qui a été « ancrée » dans notre cerveau. Ce n’est que dans un second temps que le système de traitement de l’information plus réflexif tente, par un ajustement, de trouver des raisons de s’éloigner de l’ancre, le plus souvent sans grand succès. Notre cerveau doit en effet lutter contre son fonctionnement premier, intuitif. Couplé au biais de confirmation (face à la contradiction, perçue comme insupportable, le cerveau humain cherche à confirmer ses croyances), le biais d’ancrage se révèle particulièrement robuste pour geler les jugements et figer les croyances… Nous limitons nos sources d’information à quelques médias, site, blogs ou publications qui viennent renforcer nos idées (biais de confirmation).

L’interaction spéculaire, on fait comme les autres

extraits : S’il est une nature humaine, elle se réalise dans l’interaction avec autrui. S’il est une société, elle émerge des interactions entre les individus. Cette hypothèse s’appelle l’interaction spéculaire (« relatif au miroir »). Je me réalise en échangeant avec autrui des modèles du monde formés par ces échanges et qui contiennent un modèle de ces échanges. La société est un système de représentations croisées entre individus : je me représente la manière dont les autres se représentent les choses et moi-même. L’individu soumis à une dictature ne se demande pas s’il veut renverser le régime, mais seulement s’il le ferait au cas où un certain nombre d’autres le feraient aussi. Chacun étant placé dans la même situation que les autres, le dictateur s’effondrera non en fonction de la volonté de tous, mais de leurs représentations croisées, c’est-à-dire en fonction des anticipations que chacun effectuera sur la capacité effective de ceux qui l’entourent à se révolter…

Psychologie cognitive et souvenirs recomposés

extraits : Elizabeth Loftus jugeait la mémoire humaine si malléable que son idée en 1991 est d’induire un souvenir fabriqué de toutes pièces en situation expérimentale : « Comme s’être perdu dans un centre commercial quand on était enfant »…

Nous sommes des moutons et fiers de l’être

extraits : Au début des années 1950, le psychologue américain Solomon Asch étudie les capacités de résistance de l’individu. Il avait espéré que son étude montrerait les capacités de résistance de l’individu. Il ne connaissait pas encore la psychologie humaine ! 76 % de ses cobayes se rallièrent au moins une fois – et 11 %, toujours – à l’avis incorrect de la majorité..

Fake news dans la fenêtre d’Overton

extraits : Forgée dans les années 1990 par Joseph P. Overton, alors vice-président des lobbyistes du Mackinac Center for Public Policy, l’idée centrale de la fenêtre d’Overton est que les idées jugées « acceptables » par le plus grand nombre au sein d’une société particulière constituent un ensemble, une « fenêtre ». Pour réussir à emporter l’adhésion du public, il est préférable de se situer d’emblée à l’intérieur de la “fenêtre” d’Overton. Or, cette fenêtre se modifie en fonction des normes sociales et morales dominantes…

4 réflexions sur “Contre la culture du clash, argumentons”

  1. Parti d’en rire

    – Est-il encore possible de débattre aujourd’hui ? Tentative de réponse avec Alain Caillé (marianne.net)
    – Dans les médias comme sur internet, il est devenu impossible de débattre (slate.fr)
    – L’art du débat se meurt (ledevoir.com) etc. etc.

    De toute façon tout le monde le dit, tiens la Preuve :
    – L’un des problèmes de notre démocratie, c’est l’impossibilité de débattre sans s’insulter selon Nicolas Sarkozy : a-t-il raison ? – 23/08 (rmc.bfmtv.com)
    Même pas besoin d’en débattre ! Allez va, cass’toi pov’con !

  2. Esprit critique et moqueur

    Sur ce blog nous avons toujours aimé le Débat. II nous parait seulement légitime de préciser que les autres points de vue sont tous faux, biaisés, malhonnêtes, moches, bêtes et méchants. En un mot ce ne sont pas des arguments.

    1. Certes, monsieur ou madame l’anonyme, trop souvent sur ce blog biosphere certains commentateurs ne veulent parler que de leurs obsessions au lieu de réfléchir à la thématique que nous présentons chaque jour sur ce blog. Leurs messages sont parfois éliminés par la modération qui se fait a posteriori, mais la tâche s’avère difficile : où commence la liberté d’expression et où finit le droit de dire des conneries. Et ne vaut-il pas mieux en rire, de la connerie humaine ?

  3. Je me souviens dans mon enfance, il n’y avait pas d’inondations, pas de sécheresses, pas de tempêtes et pas d’incendies, tous les jours alternaient de jolies averses et de belles éclaircies, des libellules se posaient sur mon épaule et je croisais des lynx à chaque promenade, je ne pouvais même plus prendre ma voiture tant il y avait d’insectes sur le pare-brise. A cette époque, je m’en souviens encore, les pauvres étaient heureux, les fonctionnaires étaient efficaces, les commerçants étaient honnêtes, les riches étaient généreux, on trouvait un emploi en traversant la route, presque personne n’avait de maladie, le niveau du certificat d’études valait au moins un doctorat, une sorte d’harmonie paradisiaque régnait dans la société. Ah, les plus jeunes n’ont pas connu cela, mais moi je m’en souviens très bien.

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