Croire au progrès, un vrai obscurantisme

Emmanuel Macron veut faire passer en force le passage à la 5G. Au lieu d’argumenter, il ironise sur ceux qui préféreraient « le modèle Amish » et le « retour à la lampe à huile » au modèle français incarné par « les Lumières » et « l’innovation ». Mais son « haro sur les écolos » révèle une crainte devant l’émergence d’une alternative à la société thermo-industrielle et à son croissancisme effréné. Loin d’être totalitaire,l’écologie politique est totalisante, elle repense la totalité de l’existence, mettant en évidence nos multiples interdépendances avec le vivant, avec les écosystèmes, avec la planète. Nous sommes Terriens bien avant d’être des humains. L’écologie devient la religion du XXIe siècle, une religion ancrée dans le réel biophysique et non une croyance en un dieu abstrait et invisible, une religion éclairée par l’écologie scientifique qui ne repose pas sur des arguments d’autorité, une religion qui relie et qui rassemble au sens profond du mot « religion ». L’écologie est une alternative au récit bien plus productiviste que progressiste qui a structuré aussi bien le libéralisme que le socialisme. Emmanuel Macron reproche à certains écologistes d’être obscurantistes, anti-Lumières et de prôner un retour en arrière. Mais la religion du progrès s’est transformée en croyance aveugle, tout ce qu’on peut faire techniquement doit être réalisé, peu importe les conséquences. Toute hésitation sur une avancée technologique relèverait d’une tentation nostalgique, toute interrogation sur une technique est vue comme une régression de Khmers verts et autres ayatollahs de l’écologie.

Or qu’est-ce que les Lumières, sinon la définition qu’en donnait Emmanuel Kant en 1784 : « Ose savoir ! » Questionner la pertinence d’une technique, c’est s’inscrire dans l’héritage des Lumières qui prônaient un usage de la raison critique. Les politiciens, toujours en retard d’une guerre à l’image de Macron, montrent leur vrai visage d’obscurantistes patentés : « On ne pourra pas avoir de transition écologique ni rester compétitif sans utiliser les technologies et notamment les objets connectés qui s’appuient sur la 5G » (Laure de La Raudiere, Agir ensemble) ; « On ne met pas assez dans la balance ce que la 5G va représenter en termes d’économies au-delà de l’amélioration des services » (Eric Bothorel, LRM). Les obscurantistes vont de l’avant, les premières enchères pour l’attribution des fréquences 5G débutent dès le 29 septembre avant toute analyse sérieuse avantage/coût de cette technologie.

Au sens des technophiles, si vous n’allez pas tout droit, vous ne pouvez que « revenir en arrière », ce qui veut dire à leur avis « régresser ». Que cet argument soit encore considéré comme imparable, au moment même où le monde brûle parce que le « train du progrès » nous a menés au désastre, a quelque chose de désespérant. Le président Macron et ses sbires feraient bien de se renseigner un peu sur « le modèle amish » qu’on a cru bon de ridiculiser, car lui au moins a l’avantage de faire discuter la communauté concernée sur l’ajout ou non de telle ou telle innovation. L’écologie, c’est la méfiance informée à propos de décisions politiques ou techno-économiques prétendument irréversibles. Faudrait-il cesser de vouloir apprendre ? Faudrait-il s’aveugler volontairement ? Tout se passe comme si les tenants du cliché progressiste ne voyaient derrière eux que le vide et devant eux qu’un mirage. Et c’est vrai qu’ils ont fait le vide en pillant la planète. Comme l’exprimait Jacques Chirac devant l’assemblée plénière du IVe Sommet de la Terre le 2 septembre 2002 à Johannesburg, « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Comment ignorer les faits au moment même de l’année la plus chaude jamais enregistrée à cause d’un réchauffement climatique provoqué par les techniques humaines. A force de continuer comme si le train du progrès n’avait qu’une seule voie, comme l’exprime Bruno Latour, ces gens-là vont finir par nous faire vivre pour de vrai dans des caves éclairées à la bougie… c’est alors que nous regretterons « le modèle amish » autant que « la lampe à huile ».

Pour en savoir plus sur les techniques appropriées face au techniques délétères :

8 octobre 2007, techniques douces

23 décembre 2008, techniques douces contre techniques dures

1er novembre 2019, synthèse : Biosphere-Info : l’écologie, technophobe ?

10 réflexions sur “Croire au progrès, un vrai obscurantisme”

  1. Stéphane Foucart « On va expliquer, débattre, tordre le cou à toutes les fausses idées, a dit Emmanuel Macron, devant un parterre d’entrepreneurs du high-tech. Mais oui, la France va prendre le tournant de la 5G… » Le président fait ici le pari d’un rapport stable et résolument enthousiaste d’une grande part de la population au progrès technique…
    Pourtant il y a un décalage de plus en plus marqué entre la gravité de la dérive climatique et de l’épuisement de la biodiversité, et les ressources considérables mobilisées par nos sociétés pour des objectifs futiles, comme la perspective d’interconnecter les objets du quotidien, de développer des véhicules autonomes, etc. Toutes choses qui finiront sans doute par se payer en gaz à effet de serre émis dans l’atmosphère, en surconsommation de terres rares et de métaux précieux, en pressions accrues sur l’environnement.

    1. D’un côté nous avons Macron, qui se sait soutenu et qui donc en profite, qui dit «On va expliquer, débattre, tordre le cou à toutes les fausses idées». De l’autre nous avons ceux qui essaient de lui expliquer que c’est lui qui a tout faux, qu’il y a des limites, que la 5G, la Croissance etc. ne font qu’en rajouter au désastre.
      Mais comme le monde n’est pas binaire, nous avons aussi ceux qui ont compris que dans ce genre de situation ça ne sert à rien de «débattre». Que ce n’est pas la peine d’essayer d’expliquer quelque chose à quelqu’un qui ne veut (ou ne peut) pas entendre. Et donc comprendre. Et que ce n’est même pas là une question de diplômes ou de Qi.
      Parmi ceux qui ont compris cela nous en avons qui continuent malgré tout, malgré eux, à «débattre», à occuper la scène etc. C’est leur problème, ils ont certainement leurs raisons d’agir ainsi.

  2. Ben déjà la première étape serait de mettre d’accord tout le monde sur la définition de Écologie et de Progrès ? Pour le monde, 95 % des individus se disant écologistes, sont dans le green-washing, dans le  »je veux consommer toujours plus, je veux toujours ma bagnole, je veux un pavillon individuel avec une piscine, des vacances dans les 4 coins du monde et tout ça en faisant carrière et en souhaitant préserver l’environnement » Je n’ai qu’une chose à dire Bon courage !

    1. C’est clair qu’une vraie définition de l’écologie est impossible à dire dans un programme politique car ça implique mécaniquement la décroissance ! La croissance verte ça n’existe pas, ou ça n’existe plus depuis des millions d’années. Car une vraie croissance verte, ça voudrait dire une croissance des surfaces végétales qui empièteraient sur les routes et constructions en béton et une croissance de la faune sauvage, dont les insectes. Je ne vois rien de tout ça ! Je vois surtout des pavillons avec piscine et des entrepôts de marchands pousser de plus en plus partout en France et même le monde, ainsi que les parkings tant de voitures, de vélos, de camions et d’autocars. Alors quelle croissance verte dont on parle ?

      1. Et puis je n’ai pas encore parlé du nombre de ports de plaisances qui ont été bâtis en France pour accueillir de plus en plus de bateaux de plaisance des bourgeois UmPs qui ne vont naviguer qu’une semaine par an en moyenne, histoire de frimer quelques jours au mois d’aout. Mais il n’empêche que ça a saccagé le littoral français, tout en empiétant une fois de plus sur le territoire de la faune sauvage. Et tout ces bateaux sont parqués dans ces ports le reste de l’année, sans compter les coûts d’entretien à perte de ces ports sur le dos des contribuables. Évidemment la pollution des eaux marines n’inquiètent pas trop ces bobos à ce qu’on se doit de l’ingérer dans notre alimentation par ces poissons et mollusques contaminés (et qui se répercutent aussi sur nos frais de santé)

      2. Le mot «progrès» est bien plus problématique. Ce concept a fait couler beaucoup d’encre, et depuis un moment déjà. Ce mot vient du latin «progressus» qui désigne l’action d’avancer.
        Seulement pour avancer, pour pouvoir dire «en avant» ou «en marche», encore faut-il savoir où est l’Avant. Autrement dit, encore faut-il avoir un but, un cap, voire un projet, ici un projet de société.
        Or quel est le cap ? L’iceberg ? Qu’avons-nous comme projet de société ? Un projet qui tienne réellement la route, le cap, bien sûr. Un projet qui tienne compte de la réalité, des lois de la physique etc. Aucun !
        Aucun projet de société, aucune utopie ! Là encore ce mot a été dévoyé, il n’est plus utilisé que dans son sens péjoratif. Rien que là nous avons déjà une idée de l’énorme boulot pour décoloniser les imaginaires, autrement dit pour déconstruire. Déconstruire pour pouvoir construire autre chose de solide, durable etc.

    2. La définition du mot «écologie» est très claire. Comme son étymologie l’indique c’est avant tout une science, l’écologue est un scientifique etc. Maintenant s’il y en a encore qui confondent écologie et écologisme, écologue et écologiste, politicien et politologue etc. etc. c’est juste un problème de manque de connaissances, donc un problème d’éducation.

  3. Même si je comprends l’idée, pour moi c’est d’une erreur que de dire l’écologie est (ou doit être) une religion. C’est aller dans le sens de ceux qui justement usent et abusent de termes religieux pour dénigrer les écolos les plus radicaux (obscurantistes, prophètes, de malheur ou d’Apocalypse, intégristes, ayatollahs etc. et maintenant Amish), c’est leur donner le bâton pour se faire battre.
    L’écologie reste avant tout une science, c’est donc d’écologisme dont il s’agit là, c’est à dire d’une idéologie (système d’idées). Or il n’y a pas UN écologisme mais il y en a autant qu’il y a d’écolos. Avant de parler de religion je préfèrerais qu’on parle de spiritualité, et je préfèrerais encore qu’on dise que l’écologie est une philosophie. Ce mot entendu là aussi dans son sens premier, l’amour de la sagesse. Vaste programme pour l’enseigner, la sagesse, pour la démocratiser comme on dit.

    1. – « Emmanuel Macron reproche à certains écologistes d’être obscurantistes, anti-Lumières et de prôner un retour en arrière. Mais la religion du progrès s’est transformée en croyance aveugle [etc.]»

      Les uns et les autres ont mille raisons pour qualifier de religieuses les croyances et les postures de leurs adversaires. Nous avons donc bien affaire là à une guerre de religions. D’un côté le culte du Progrès et des sacro-saintes innovations, de la Croissance, de la Compétition, du Pognon, de la Vitesse, de la sacro-sainte Bagnole etc. et de l’autre le culte de Sainte Greta, de Saint Nicolas, de la Lampe à Huile, huile sainte 100% Bio végétale-équitable ça va de soi. Nous voilà bien avancés.

      1. Le problème ici encore c’est cette vision binaire et simpliste (simplette) des choses (du monde). Là encore, d’un côté le Bien et de l’autre le Mal (le Beau et le Laid, le Vrai et le Faux).
        Cette idée de 2 camps (2 religions) radicalement opposés est fausse. Du seul fait qu’il n’y a pas 2 camps mais autant de camps, de points de vue, de croyances, d’idéologies etc. qu’il y a de croyants, de non croyants, d’agnostiques, de penseurs tout simplement.
        Le monde est bien plus complexe que beaucoup voudraient nous le faire croire. Cette simplification va dans le sens du novlangue (Orwell), dont le but est de réduire le nombre de concepts (d’idées) jusqu’à en arriver à «bon» et «inbon». Attention donc à ne pas tomber dans ce piège.

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