Il y a une réalité des temps présents où le déni de la catastrophe gagne du terrain, et une optique à plus long terme où ce sera la catastrophe qui servira de pédagogie.
Dominique Bourg et Nicolas Bouleau : « Plus la planète se dégrade, plus il est politiquement payant de dénier la situation. Comment comprendre un tel état de choses ? Les notions quotidiennes sont comme « saturées » car liées à une expérience directe et récurrente ; elles s’imposent comme une évidence. Il en va autrement avec les concepts « insaturés », ils ne sont illustrés par aucune expérience directe, mais renvoient à des concepts abstraits. En matière d’écologie, divers concepts scientifiques comme « dérèglement climatique » ou « extinction de la biodiversité », restent insaturés. Le dérèglement climatique exige de réduire nos émissions, de manger moins de viande, de prendre le vélo et de ne plus prendre l’avion ; et le tout pour des raisons étrangères à nos expériences présentes. Les propos compliqués et abstraits des scientifiques ne font pas le poids. Ce décalage est politiquement mis à profit par les populistes et l’industrie…. »
Le point de vue des écologistes
La mise en garde n’est pas nouvelle. Lors d’une allocution à l’ORTF, le présidentiable René Dumont constatait le 19 avril 1974 : « Nous les écologistes, on nous accuse d’être des prophètes de malheurs et d’annoncer l’apocalypse. Mais l’apocalypse nous ne l’annonçons pas, elle est là parmi nous, elle se trouve dans les nuages de pollution qui nous dominent, dans les eaux d’égout que sont devenues nos rivières… »
Depuis, nous avons vécu 50 ans de déni, et dans 50 ans la catastrophe sera notre expérience quotidienne, elle sera « saturée », complètement saturée ! Aujourd’hui en 2024, la sensibilité écologique a certes progressé, mais les politiques croissancistes restent suicidaires. Alors ce sera l’accumulation de catastrophes qui servira de pédagogie.
Prenons une récente étude de l’Université du Michigan (22 août 2024) qui nous projette en 2070 : « Avec la croissance de la population humaine, plus de la moitié des terres de la planète ressentira une augmentation de la superposition entre humains et animaux d’ici 2070. Cette superposition accrue entre humains et faune pourrait engendrer plus de conflits. Cette superposition sera principalement entraînée par la croissance démographique des humains, plutôt que par le changement climatique. Les chercheurs ont remarqué que les zones avec une forte superposition humain-faune en 2015 et 2070 sont concentrées dans des régions à forte densité de population humaine, notamment en Chine et en Inde. En Amérique du Sud, la richesse en mammifères devrait diminuer de 33 %, celle des amphibies de 45 %, des reptiles de 40 % et des oiseaux de 37 %. En Afrique, on prévoit une baisse de 21 % pour les mammifères et de 26 % pour les oiseaux. Une réponse serait la création de zones protégées avec un accès humain restreint. Cependant, cela devient de plus en plus difficile à réaliser, car ces endroits se font rare… »
En savoir plus grâce à notre blog biosphere
pédagogie de la catastrophe (2007)
extraits : En ce qui concerne le grand public, le message qui résulte du tumulte médiatique est sans doute que personne ne sait vraiment plus ce qu’il sait. Certains se moquent des « prophètes de malheur » en invoquant le bon sens et la sagesse populaire. D’autres sont joyeusement irresponsables et ne retiennent que les perspectives positives du réchauffement global de la planète. Pour répondre à la nature chaotique des discours, et notamment pour les campagnes à destination du grand public, le changement climatique doit être considéré comme quelque chose d’indiscutable et de réel, les actions individuelles comme efficaces. Ensuite, le gouffre entre le gigantisme du phénomène et les petits gestes doit être comblé….
Pédagogie de la catastrophe n’est pas catastrophisme (2014)
extraits : « Le terme de « pédagogie de la catastrophe » me semble trop fort et peu adapté. Je suis globalement inquiète sur l’avenir mais le catastrophisme ne peut, selon moi convenir pour les enfants ou même les jeunes à qui nous laissons un monde difficile, ce n’est pas à eux de porter ce fardeau que nous n’avons su assumer; alors pédagogiquement, pour moi, il ne s’agit pas de masquer les choses mais de voir aussi le verre à moitié plein. Leur avenir professionnel est déjà tellement sombre… »
Serge Latouche et la pédagogie des catastrophes (2018)
extraits : « Lorsque j’ai commencé à prêcher la décroissance, j’espérais que l’on puisse bâtir une société alternative pour éviter la catastrophe. Maintenant que nous y sommes, il convient de réfléchir à la façon de limiter les dégâts. En tout cas, la transition douce, je n’y crois plus. Seul un choc peut nous permettre de nous ressaisir. Je crois beaucoup à la pédagogie des catastrophes – dans ces conditions, le virage peut être très rapide. L’histoire n’est pas linéaire… »
Catastrophisme inopérant, catastrophe advient (2024)
extraits : Aujourd’hui on préfère parler dans les pays développés de « la fin du mois » (le court terme) plutôt qu’aborder « la fin du monde » (le long terme). La catastrophe écologique actuellement en œuvre a pour cause essentielle cette incapacité de l’espèce humaine à raisonner sur l’avenir, à anticiper les drames à venir. Le réchauffement climatique, la déplétion des ressources fossiles, le stress hydrique, l’épuisement des ressources halieutiques, la chute de la biodiversité, on n’en parle jamais de telle façon qu’on se sente personnellement concerné. Les impacts des changements écologiques sur nos vies se font encore peu sentir, nos démocraties représentatives restent donc de marbre. La seule chose dont on peut être certain est que le long terme finit toujours par l’emporter sur le court terme….
Peut être fais-je preuve de déni de catastrophe quand j’envoie ce message qui ne changera pas l’opinion de la plupart des gens … et qui coûte sur le plan écologique (mon ordi qui tourne, serveurs et entretien gestion du réseau net, …) ?
Le problème est bien plus grave aujourd’hui compte tenu de la gravité de la situation et de l’omniprésence de l’homme sur la Terre, il n’y a plus d’échappatoire.
Pour autant, sur le fond il me semble assez rare que les humains aient donné globalement la priorité au long terme (dans la plantation de forêts pour la marine des temps futurs, dit-on parfois, et l’on trouvera sûrement quelques autres exemples) mais globalement on agit à court terme.
Déjà qu’il n’est pas facile de prévoir le court terme, alors pensez donc le long terme. Mais est-ce là quelque chose de typiquement humain ?
L’écureuil, par exemple… engrange des noisettes uniquement pour l’hiver prochain.
Je ne crois pas qu’il lui viendrait à l’idée d’en engranger comme s’il devait vivre 1000 ans. Pourtant c’est ce que font certains d’entre nous, qui du coup ne peuvent plus grimper aux arbres. Vu qu’ils ont les bourses bien trop grosses. 🙂
– « Plus la planète se dégrade, plus il est politiquement payant de dénier la situation. Comment comprendre un tel état de choses ? »
Si ce n’est que ça, pour moi ce n’est pas très compliqué. Politiquement, ce qui «paye»… c’est de brosser le «citoyen» (électeur) dans le sens du poil. De ne pas trop le contrarier, ni lui faire trop mal, fût-ce pour son bien.
– « La distinction entre connaissances « saturées » et « insaturées » […] permet par analogie de comprendre la puissance du déni évoqué. […] Nous en comprenons immédiatement l’usage sans pour autant les comprendre en tant que concepts […] sans être capable de l’expliquer dans toutes ses configurations. »
Eh ben, si c’est ça qui doit nous permettre de comprendre le phénomène du déni… toute sa puissance etc. eh ben déjà pour moi c’est pas gagné.
Quant à vous l’expliquer, alors là je vous dis pas ! Mais essayons quand même. (à suivre)
(suite) Si j’ai bien compris (même pas dit)… la connaissance (le savoir) c’est comme le cholestérol. Ou plutôt la graisse, LES graisses. D’un côté les mauvaises, dites saturées, de l’autre les bonnes dites insaturées. Ou l’inverse peu importe. Bref tout ça pour dire quoi ? Tout simplement qu’il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Et de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Saturées ou pas, ces vieilles formules ne sont pas bien difficiles à comprendre. Partant de là, à quoi bon en rajouter ? Et cela vaut également pour moi. Que les psys et les spécialistes du cerveau continuent de plancher sur le phénomène du déni c’est une chose. Normale je dirais, et même une bonne chose.
Et cela vaut bien sûr pour tous les domaines de recherche, scientifique. (à suivre)
(suite) Toutefois je pense que les scientifiques devraient éviter de diffuser (vulgariser, démocratiser) trop vite certaines théories. Qui ne l’oublions pas, ne sont d’abord que des théories. Comme par exemple celle de Sébastien Bohler et son fumeux «Bug humain» qui ne peut qu’en rajouter à la confusion et/ou à la résignation, et donc au grand n’importe quoi.
Que ce soit au sujet du déni, comme du climat, de la biodiversité (de son déclin), du Nombre et tout ce qu’ON voudra, j’estime que le vulgum pecus (vous et moi) en sait déjà largement ASSEZ. Surtout pour ce qu’ON en FAIT, de bon. C’est à dire rien ou pratiquement, ou certainement pas assez, peu importe.
Partant de là tout ce qu’ON peut raconter de plus ne fait qu’augmenter ce problème de saturation, de ras-le-bol ! Et là je ne vois pas non plus comment ça pourrait être bon. (à suivre)
(et fin) Seulement voilà, comme ON ne peut pas rester sans rien FAIRE… sans rien dire et bien sûr sans (y) penser, en attendant… alors que faire quand la coupe est pleine ? Ne serait-ce que… et nous en avons déjà parlé, c’est fou ce qu’ON rabâche… pour parler d’écologie sans emmerder tout le monde. 😉