Un texte formidable de Yannick Sencébé qui va tout à fait dans le sens d’une démographie responsable.
En résumé : Dans le débat sur les transitions (économique, écologique, énergétique, agro-écologique, etc.), la dimension démographique, si elle apparaît en toile de fond, fait rarement parti de l’équation des solutions. L’évolution de la population mondiale est laissée à l’appréciation d’un constat apparemment implacable, celui d’une croissance démographique avec laquelle il va falloir faire et s’adapter, au besoin en devenant entomophage ou végétalien…
La décroissance démographique reste un quasi tabou, plus encore que la « décroissance économique » qui, après avoir été un impensable, commence à être envisageable pour certains,… D’où vient ce tabou populationnel présent dans les rapports des instances internationales qui année après année, dévoilent, chiffres à l’appui, l’épuisement des ressources, le changement climatique, les risques de famine, avec pour défi à relever une population toujours plus nombreuse à nourrir ? Pourtant des études scientifiques établissent un lien étroit entre la dégradation de la nature et du climat et la croissance démographique, tout autant que les facteurs liés au mode de vie et de production. Crutzen et Stoermer (2000), à travers leur article court mais fameux « The Anthropocène », vont défendre l’idée que c’est à la fois l’expansion numérique de l’humanité et l’usage des ressources par habitant qui apparaissent comme les facteurs les plus importants dans la crise écologique. Population ET Consommation sont les deux paramètres de l’équation à résoudre pour la transition écologique.
Si, en outre, l’horizon du « progrès » suppose un « rattrapage » (urbanisation, industrialisation, hausse du niveau de vie, etc.) pour les pays « en voie de développement » vis-à-vis du mode de vie des pays les plus riches – ce qui est implicitement présent dans les théories de la transition démographique – on ne voit pas très bien comment une population mondiale plus nombreuse, bénéficiant du confort de mode de vie occidental, pourrait survivre sans entraîner l’effondrement du système Terre et le sien. L’émergence d’une classe moyenne en Chine, en Inde et demain en Afrique, n’est pas à regretter en soi, mais la généralisation du mode de vie urbain, industriel et fortement consommateur de produits transformés, n’augure rien de bon pour la planète et ceux, y compris humains, qui y vivent. Ni la voiture ni même la trottinette électriques ne sauveront le monde, si 12 milliards d’êtres humains, tous pourvus en la matière, y circulent. Même en supposant que toute chasse de loisir soit interdite, ce bipède à station verticale resterait un prédateur terriblement effrayant, efficace (et bruyant) par sa maîtrise des techniques et son organisation sociale. Imagine-t-on pouvoir vivre sereinement au milieu de milliards de dinosaures, fussent-ils végétariens ?
N’est-il pas troublant de constater que nos sociétés qui se sont affranchies du risque de prédation, en éliminant au passage la majeure partie des grands prédateurs, deviennent des proies entre elles ? Et lorsque ce n’est pas la guerre qui décime, la vie, qui a horreur du « plein-unique », s’en charge. Si un virus est capable de se répandre à l’échelle du globe en si peu de temps, n’est-ce pas car la densité et la taille et la globalisation des « sociétés invasives » qui l’ont vu prospérer ont atteint un stade propice à ce genre d’épidémie, qualifiée pour les autres espèces de régulation naturelle ? Et le confinement généralisé de milliards d’individus en quasi-simultanéité ne fut-il pas une expérience profonde de notre condition d’individus innombrables, entassés, dangereux les uns pour les autres, et formant une « population » à gérer dans ses moindres gestes ? Celui dans lequel l’humain, occidentalisé et accompagné de ses esclaves énergétiques et domestiques, sera la seule espèce à peupler la Terre.
Diversité biologique et diversité culturelle vont de pair. Elles ne font pas bon ménage avec la croissance démographique d’une seule espèce et la domination culturelle d’un seul groupe. Décroître non seulement en consommation mais aussi en population, c’est sauver pour nous et les autres – humains ou non – la possibilité de vivre la beauté salvatrice de l’altérité et la sérénité pacifique de la faible densité.
Plus nous approchons des limites, ici démographiques, plus les registres scientifiques et politiques empruntent les voies de l’adaptation plutôt que celles de l’atténuation. Et pourtant, il existe des politiques d’atténuation possibles en termes démographiques. Même si certaines supposent du temps pour agir, l’adaptation à un monde plus peuplé ne peut justifier de ne pas rechercher les moyens d’en atténuer la croissance. Néanmoins la question de l’atténuation de la croissance démographique se pose différemment selon les pays. Là où la croissance démographique est forte et non maîtrisée, l’éducation des filles et le planning familial constituent les mesures les plus efficaces. En outre, ces mesures s’accordent avec les droits humains en permettant aux femmes de s’approprier et maîtriser leur fécondité et sont aussi le moyen d’améliorer les niveaux de vie des populations. Mais force est de constater que les vagues conservatrices et fondamentalistes, qui gagnent du terrain dans certains pays, vont dans le sens inverse : mariage forcé, école interdite aux filles, contraception inaccessible et naissance non désirée, remise en cause du droit à l’avortement marquent l’horizon de beaucoup de femmes dans le monde.
La mise en place de politiques publiques anti-natalistes peut paraître contraire aux libertés individuelles, mais l’État intervient déjà très largement à travers des politiques pro-natalistes dans de nombreux pays développés : Des réductions d’impôts et d’autres bénéfices pour les familles plus nombreuses existent déjà, contribuant à façonner les choix des individus en matière de procréation. La question ne serait donc pas de savoir s’il faut inciter ou non, mais comment il faudrait le faire au mieux. Dans un contexte où la croissance démographique contribue au dépassement de la limite planétaire climatique, des incitations pour des familles moins nombreuses semblent beaucoup plus justifiées que des incitations pour des familles plus nombreuses. Léguer à sa progéniture moins nombreuse un monde moins sur-peuplé ne peut aller contre l’intérêt de ses enfants. Et il en va en matière de procréation comme des autres libertés : elles s’arrêtent à celles des autres. Car ce choix individuel engage le devenir collectif des humains et la possibilité d’autres formes de vie.
Changer de cap, éviter ce monde solitaire, suppose donc que les humains soient moins nombreux et moins dispendieux. Population et consommation sont les deux variables à considérer au Nord comme au Sud. L’illimitisme, qu’il vienne des religions monothéistes, de l’humanisme des lumières ou du capitalisme, revient non seulement à nier le droit des autres espèces à disposer d’un habitat suffisant pour vivre mais aussi notre possibilité d’habiter la Terre non seulement à travers une descendance humaine mais aussi en tant que partie du vivant en métamorphose perpétuelle.
Yannick Sencébé est maîtresse de conférences en sociologie à AgroSup Dijon
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Ben si sur la démographie on peut faire quelque chose ! On maîtrise la contraception sur toutes ses formes ! Pilules, stérilets, préservatifs tant masculins que féminins, et même vasectomie… Au Moyen orient aussi, ils maîtrisent car ils ont su faire des eunuques depuis plusieurs centaines d’années. Alors les options pour maîtriser la natalité, y compris l’éducation ou plus exactement l’instruction des femmes, alors les options ne manquent pas, puisqu’on peut même appliquer plusieurs options simultanément. On peut aussi réduire le poids du religieux sur les populations afin d’y parvenir aussi, ou discuter avec ses religieux pour infléchir leurs positions natalistes En l’occurrence tout ce qui est possible de faire, il FAUT LE FAIRE ! Çà sera moins pire de vivre à 8 milliards qu’à 9 , ça sera moins pire de vivre à 10 milliards qu’à 12 ! D’ailleurs, les espèces sauvages elles aussi vivront mieux dès lors qu’on sera le moins possible !
C’est tellement évident qu’on est effrayé que ce point de vue ne soit pas général. A quoi nous mènera la surdité sur le sujet ?
Oui, il n’y a pas un problème qui ne serait plus facile à résoudre si nous étions moins nombreux.
– « L’évolution de la population mondiale est laissée à l’appréciation d’un constat apparemment implacable, celui d’une croissance démographique avec laquelle il va falloir faire et s’adapter, au besoin en devenant entomophage ou végétalien…
La décroissance démographique reste un quasi tabou, [et blablabla] »
On peut toujours se lamenter, rabâcher, en faire une obsession, et/ou une dépression, il est évident qu’il va bien falloir faire avec. Et s’adapter.
Comme avec le réchauffement climatique et la montée du niveau des océans.
Selon les projections : +2 à +7°C en 2100. Ce qui n’est évidemment pas pareil.
De +0,3 à + 2 mètres, voire plus, selon les divers scénarios. Là encore ce n’est pas pareil.
Quoi qu’on fasse, et même si on arrêtait ce soir d’émettre (des GES), ça va continuer à chauffer et à monter. On appelle ça l’inertie. Et on est obligé de faire avec.
Pour le Nombre, quoi qu’on fasse ce sera environ 10 milliards en 2050. Pour moi le refus de cette évidence n’est que du déni de réalité. Mais bien sûr, c’est celui qui l’dit qui l’est.
2100 c’est évidemment plus loin. Du coup là aussi les prévisions sont moins précises.
On nous dit 11 milliards… peut-être 8 milliards, ou peut-être moins…
Quoi qu’il en soit rien ne laisse sérieusement présager que ce sera 20 , 50 ou 100 milliards. L’Exponentielle et l’Explosion, c’est donc de l’histoire ancienne.
– « Et pourtant, il existe des politiques d’atténuation possibles en termes démographiques. Même si certaines supposent du temps pour agir, l’adaptation à un monde plus peuplé ne peut justifier de ne pas rechercher les moyens d’en atténuer la croissance. […]
La question ne serait donc pas de savoir s’il faut inciter ou non, mais comment il faudrait le faire au mieux.» (Yannick Sencébé)
Une fois avoir dit ça, en quoi sommes-nous plus avancés ?
Désolé, je ne vois pas. Quelles politiques ? Quels moyens ?
L’éducation des filles et le planning familial, OK. Et même OK pour discuter avec les curés et leurs homologues, bon courage. Mais qu’est-ce ça va changer à ces quelques 10 milliards en 2050 ? Et qu’est-ce ça va changer au vieillissement de la population mondiale ?
Quand on évoque la démographie c’est généralement pour parler du (sur)nombre et de ses conséquences. Or la démographie c’est aussi le vieillissement des populations, notamment occidentales. Or cette réalité a aussi des conséquences sur le Développement (l’économie, le PIB etc. le tout durable bien entendu).
Là encore on parle d’adaptation :
– Vieillissement de la population : une adaptation nécessaire (vie-publique.fr)
Là encore le Développement c’est le numérique, la sécurité, la mobilité…
À méditer : « Il faut aujourd’hui cultiver un terreau favorable qui ne soit pas ancré dans un discours misérabiliste, mais dans un discours positif, qui permette la réalisation d’une société future au sein de laquelle les valeurs fondamentales qui structurent nos sociétés sont exprimées : équité de traitement, justice distributive, solidarité, etc. »
( Défis du vieillissement et enjeux de santé publique – 2018 – cairn.info )