Voici le résumé d’un article* qui peut vous permettre de passer à l’acte :
Lors du procès du collectif « les Déboulonneurs », jugement devant être rendu le 26 juin, le réquisitoire du procureur a largement reposé sur l’argument d’une atteinte à la liberté d’expression des annonceurs. Mais c’est la publicité qui porte atteinte aux libertés de l’individu ; elle peut aussi avoir des effets nocifs, surcharge cognitive, stress, obésité…
L’un des principaux pionniers de la pub comme « manufacture du consentement », Edward Bernays décide d’utiliser les découvertes de la psychanalyse pour parvenir à une « manipulation des opinions et des habitudes ». La diffusion dans la presse de photos de jeunes femmes fumant des cigarettes appelées « torches de la liberté » va par exemple inciter les femmes à fumer à une époque où ce comportement était réprouvé ; Bernays se vanta d’avoir doublé la taille du marché potentiel de l’industrie du tabac ! Aujourd’hui, à partir de l’imagerie cérébrale, une étude a montré comment l’image de marque construite par la publicité peut biaiser les préférences des consommateurs. Chez des individus invités à goûter deux marques de sodas. Les deux boissons sont autant appréciées lorsque le test se fait en aveugle. Par contre, lorsque les étiquettes sont rendues visibles, l’un des deux sodas active soudainement beaucoup plus le système de récompense et est préféré par la majorité. Le système de récompense est plus vulnérable chez certains individus. Les personnes souffrant d’obésité par exemple voient leur système de récompense activé de façon anormale par des images de nourriture ultra-calorique. La publicité exploite leur vulnérabilité et renforce leurs comportements de surconsommation. Les estimations menées aux Etats-Unis montrent que l’obésité infantile pourrait être réduite de près d’un tiers en régulant mieux la publicité des produits alimentaires.
Ce qui est en jeu s’avère beaucoup plus complexe que la simple liberté d’expression invoquée par un procureur. Car cette liberté-là ne va sans une autre liberté complémentaire de la première : la liberté de non-réception. Il s’agit de garantir à chaque citoyen le droit de choisir où et quand il souhaite accéder à de l’information publicitaire. L’Etat se devrait d’être garant de la neutralité commerciale autant que de la sûreté psychologique de tout un chacun. En 2006, le conseil municipal de la ville de Sao Paulo a voté à une quasi-unanimité une loi « Ville propre » bannissant tout affichage publicitaire dans l’espace public. Pourtant, en France, le politique cède trop facilement aux pressions des annonceurs et afficheurs. Ainsi, loin d’en limiter la présence dans l’espace public, la loi du 12 juillet 2010 issue du Grenelle de l’environnement laisse place, selon le ministère lui-même, à « un développement important de secteurs comme ceux du micro-affichage, des bâches, des dispositifs innovants, des publicités sur aéroports ou gares […], permettant d’envisager une progression de 10 à 30 % des chiffres d’affaires des entreprises investissant dans ces domaines d’activité ».
En barbouillant des publicités, le collectif des Déboulonneurs a osé un acte de désobéissance civile afin d’être entendu par la collectivité et de pousser le politique à accepter une ré-ouverture du débat. A travers eux, c’est la liberté de non-réception des citoyens que nous devons défendre.
Guillaume Dumas, Mehdi Khamassi, Karim Ndiaye, Yves Jouffe, Luc Foubert et Camille Roth, chercheurs en sciences cognitives et sociales
* Le Monde.fr | 26.06.2012 Procès des Déboulonneurs de pub : et la liberté de (non) réception ?
la liberté d’expression contre la pub :
Les Déboulonneurs jouent le rôle d’alerte en procédant à des « dégradations symboliques » contre des panneaux publicitaires afin de « récupérer l’espace public ». Ces actions non-violentes mais se revendiquant de la désobéissance civile ont le mérite de nous rappeler que la publicité nous est imposée.
La notion de non-réception est une notion clé dans le combat des Déboulonneurs. En effet, le concept de liberté de réception ou de non-réception se définit par la « liberté de ne pas recevoir les informations commerciales lorsqu’on se promène dans l’espace public ». La liberté d’expression, quant à elle, est définie à l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans le cas déterminé par la loi ». Et si, justement, nous considérions l’envahissement de la publicité dans l’espace public français comme « un abus de cette liberté » ? Car en effet, paradoxe intéressant, alors que la publicité s’adresse aux consommateurs, ceux-ci ne sont jamais consultés sur sa présence dans l’espace public.
Souvent, les publicitaires s’en remettent à la liberté d’expression voire à la liberté artistique pour défendre leur activité. Mais nous tendons à oublier que ces derniers diffusent avant tout un message commercial et, ce, dans un espace public privatisé au profit de leur activité commerciale. Jean Morange, professeur à l’université Panthéon-Assas, a démontré que « la liberté de la publicité ne peut guère relever que par extension de la liberté d’expression. Elle n’a nullement pour objectif de transmettre des idées mais plutôt de faire vendre des produits. Elle a donc pour fondement la liberté d’entreprendre ou la liberté de commerce et de l’industrie, des libertés reconnues mais dont la portée est susceptible de limitations dans l’intérêt général. »
D’autant plus que les messages diffusés entrent parfois en parfaite contradiction avec des messages de santé public : n’est-il pas schizophrénique de dénoncer le risque pour la santé d’aliments « trop sucré, trop gras ou trop salé » tout en attisant l’envie du public avec des publicités toujours plus alléchantes ? Enfin, les conditions esthétiques du cadre de vie affectent ses habitants : d’après l’association internationale Dark Sky, la saturation visuelle peut favoriser le stress et la dépression. La contradiction entre l’intérêt général et la publicité semble évidente. C’est d’ailleurs certainement parce que le lobby publicitaire en a conscience que celui-ci refuse tout débat, depuis 2007, avec des collectifs tels que les Déboulonneurs.
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/573067-proces-des-deboulonneurs-la-publicite-invasive-une-pollution-visuelle.html
Surcharge cognitive, stress, obésité, mais aussi meurtre, cancer, famine, guerre,…
Certains ne savent plus contre quoi se rebeller juste pour se sentir exister. On a les combats qu’on mérite je présume.
Europe Ecologie Les Verts exprime sa vive déception sur le jugement en appel rendu ce jour 26 juin pour les Déboulonneurs de Paris.Les deux militants anti-publicité du collectif des Déboulonneurs viennent d’être condamnés à 200 euros d’amende pour le barbouillage d’un panneau publicitaire.
De tout temps, le rôle de la publicité a été critiqué par les écologistes. Dans la majorité des cas, sur le fond, elle prône la surconsommation, l’immédiateté, le gaspillage. Sur la forme, elle s’impose à nous, s’incruste dans les paysages, dans tous les aspects de la vie collective et quotidienne.
Les combats anti-publicitaires sont donc profondément écologistes. Et les anti-pubs, tout comme les écologistes, ne peuvent que se désoler de ce qui est advenu des engagements du Grenelle de l’environnement, notamment sur la réduction de la pollution visuelle. Rien n’a été fait pour la protection des paysages et la possibilité d’installer des dispositifs de plus en plus imposants dans l’espace public : bâches géantes, écrans numériques, etc….a été laissée aux publicitaires et afficheurs.
En conséquence, EELV demande au nouveau gouvernement de Jean-Marc Ayrault et plus particulièrement à la nouvelle ministre de l’écologie, Delphine Batho, de recevoir ce collectif afin de voir comment concrètement ils comptent faire évoluer la législation en matière d’affichage publicitaire. Pour cela ils souhaitent, et nous les soutenons dans ce sens, l’ouverture d’un débat national sur la place de la publicité dans l’espace public et la réforme de la loi de 1979 encadrant l’affichage publicitaire.