dur pour un écolo de refuser de trinquer ?

Hervé Kempf s’interroge : « Ah ! qu’il est dur d’être écologiste ! ». Il imagine les qualificatifs donnés aux écolos qui parlent du vin, graduant les transformations de l’état mental selon la sobriété, l’ébriété, l’euphorie ou l’ivresse. Mais il réconcilie tout le monde, « célébrons l’Europe, et buvons bio » ! Le Comité européen de l’agriculture biologique vient en effet de se mettre d’accord sur les règles concernant le vin biologique : on baisse la quantité admissible de sulfites. Dans cette chronique*, Hervé Kempf n’est à notre goût pas assez écolo. Pas de vin, buvons bio, buvons de l’eau. Pourquoi ?
Une seule goutte d’alcool n’apporte rien à l’organisme : l’abstinence totale n’est donc pas un vice, tout au contraire. Rappelons que l’absence d’alcool est absolument nécessaire pendant la période de grossesse pour éviter un retard mental de l’enfant. Rappelons que l’alcoolisme entraîne 45 000 décès annuels en France et expose 5 millions de personnes à des difficultés médicales, psychologiques et médico-sociales. Et puis la monoculture de la vigne ne prend pas soin du sol, le rendement de la vigne baisse dans certains endroits en France de 2,5 % chaque année. Il s’est formé une croûte calcaire de 20 à 40 centimètres. Tout se passe comme si le processus classique de formation de la terre s’inversait ; au lieu que la roche se transforme sous l’effet de la faune et de la flore, le sol a évolué de façon régressive, s’est durci, est devenu roche. Dernier problème, et pas le moindre, les vignes empiètent tant sur les autres cultures que sur l’espace nécessaire pour assurer la biodiversité.
Oui, il est dur d’être écolo car il nous faut aller à contre-courant en France, pays du vin ! C’est dur, il s’agit de refuser le bio qui ne correspond pas à un réel besoin . C’est dur, il s’agit souvent de renoncer à ses propres habitudes culturelles, inscrites dans son milieu familial : ni vin vieux, ni digestif. C’est dur, il s’agit de refuser l’apéritif offert quand on est invité par des amis. C’est dur, il s’agit d’avoir une pensée élargie, refuser l’alcool dans notre verre et aussi l’alcool dans les moteurs. C’est dur, il s’agit de combattre les lobbies de l’alcool, tellement influents auprès des parlementaires. Mais si c’est dur d’être écolo, c’est d’autant plus palpitant.
* LE MONDE du 11-12 février 2012, chronique écologie, Splendeur et félicité

4 réflexions sur “dur pour un écolo de refuser de trinquer ?”

  1. Merci pour cette réponse.
    Pour autant je ne suis toujours pas convaincu… le vin ne se réduit pas à l’alcool et d’après moi la dépendance est une autre affaire, un autre problème. Les dégâts que vous décrivez sont réels mais si l’alcool n’existait pas ou était interdit, le manque que celui-ci vient combler chez ceux qui en abuse serait comblé par autre chose… le vin ne doit pas porter la responsabilité du vide intérieur, du manque de sens et autres malaises existentiels si répandus dans nos sociétés ! Il ne doit pas payer pour les dysfonctionnements propres au système lui-même et à toutes les pertes de lien qu’il produit. On peut boire du vin ou de la bière de manière raisonnable sans dommage pour le corps. Je maintiens qu’un verre de rouge en cours de repas peut même aider à la digestion grâce à son acidité. Interdire par peur de l’excès me semble être une erreur alors qu’il y a tant à faire en terme de pédagogie… une société malade ne guérira pas par l’interdiction de ce qui lui sert de béquille !

    Par ailleurs, je crois que vouloir définir ce que doit ou ne doit pas faire un écologiste est une manière de se fermer… comme si la règle seule et la discipline pouvaient nous conduire à un nouveau paradigme, être la base d’un nouveau « vivre ensemble » auquel le plus grand nombre souhaiterait se rallier. Je pense que prôner le renoncement à tout prix est réducteur et non fédérateur. Retrouver le sens de la limite est nécessaire mais il faut en même temps cultiver la joie et susciter le désir d’autre chose, envisager un projet de société qui donne envie, ne serait-ce que de se reconnecter avec nos frères humains et si possible avec le reste du vivant… Je crois que la convivialité est centrale au stade où nous en sommes et si celle-ci doit passer par l’usage modéré du vin au cours d’un repas partagé alors je le trouve utile. Si l’alcool détend et joue un rôle dans le renforcement du lien social alors je le trouve utile.
    Pour moi il faut opposer au mode de vie capitaliste (qui notamment rabat le désir sur des objets inutiles et appauvrit l’humain) quelque chose de libérateur, de plus authentique, de plus riche, en lien avec ce qui relève de la qualité. Mais je ne crois pas à l’ascétisme, il n’y a rien à retrancher à l’humain…

    1. bonjour Paglia Orba
      Loin de nous l’idée d’interdire quoi que ce soit. La prohibition américaine s’est révélée impossible. Loin de nous l’idée d’imposer la quantité d’alcool que chacun se permet car cela relève du choix de vie, même si cela aboutit au coma éthique. Notre choix d’écolo est de ne pas avoir de manque de plaisirs frelatés (alcool, match de foot, alcool ET match de foot…), mais un plein de sagesse. Le plaisir est donné de surcroît à qui fait ce qu’il doit.

      D’ailleurs l’essentiel n’est pas de savoir si on boit plus ou moins, mais de savoir ce qu’on fait de son argent si on ne boit pas… voir notre article suivant, « plaisir écolo contre plaisir consumériste ». Le plaisir ne doit pas venir de l’extérieur, soumis aux diktats de marchands, mais de l’intérieur, occupé à vaquer à l’essentiel. Rien ne vaut une bonne séance de méditation, même pas le millésime le plus cher du monde.

  2. Je ne suis pas d’accord avec ce post. Je me demande même si l’écologie n’a pas tout à perdre en versant dans l’ascétisme et en valorisant à ce point la difficulté et le renoncement… Si les changements nécessaires sont vus comme un chemin de croix, il me semble que nous n’irons nulle part.
    le vin rouge (qui peut en outre être cultivé et élevé autrement : voir à ce sujet le travail qui est réalisé sur les vins naturels) lorsqu’il est bu à doses raisonnables, est considéré comme bénéfique pour l’organisme, notamment au niveau digestif et cardio-vasculaire. Par ailleurs, le vin est un vecteur de lien social et de convivialité : deux ingrédients indispensables au renouveau…
    D’après moi il n’y aura aucun bouleversement, aucun changement de paradigme si cela n’est pas fait dans la joie et le plaisir…

    1. bonjour Paglia Orba
      Le plaisir ressenti est subjectif, nous pouvons prendre beaucoup de plaisir dans le renoncement. Rappelons ce qu’est réellement le vin comme « vecteur de convivialité » :
      L’alcool n’est pas digéré, il passe directement du tube digestif aux vaisseaux sanguins. En quelques minutes, le sang le transporte dans toutes les parties de l’organisme avec pour seul avantage de détendre et désinhiber. L’alcool est à égalité avec la cocaïne, les opiacés et la nicotine, il libère de la dopamine dans le cerveau qui provoque le sentiment de plaisir ET la dépendance ! En France, il y a un million et demi à deux millions de personnes qui sont dépendantes de l’alcool, donc toxicomanes et cet abus d’alcool provoque 40 à 50 000 morts par an (accidents, rixes, suicides…).
      L’alcool consommé longtemps et à fortes doses est aussi un toxique, numériquement plus destructeur que l’héroïne et plus lourd de conséquences que le tabac. Une toxicité chronique porte atteinte à l’appareil digestif et au système nerveux. A partir d’une consommation moyenne de 14 verres par semaines chez les femmes et de 21 verres par semaine chez les hommes, l’espérance de vie diminue à mesure que croît la consommation d’alcool ; l’alcool réduit de 12 ans en moyenne l’espérance de vie d’un homme alcoolique à 25 ans.

      L’alcool est une drogue qui devrait être combattue, son absence d’utilité physiologique et la dépendance psychique qu’il entraîne nécessite la condamnation de son usage. Nul besoin d’un interdit religieux comme dans la religion musulmane ou d’un interdit légal comme la prohibition américaine en 1919 quand on est conscient des conséquences de ses actes. Un écologiste devrait avoir le sens des limites, pour l’alcool comme pour tout le reste… Le plaisir sera donné de surcroît à qui fait ce qu’il doit.

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