Un peu de théorie pour mieux comprendre l’erreur fondamentale des économistes orthodoxes, tous ceux qui nous bercent d’illusions.
Les tenants de la durabilité faible forment le courant économique dominant (de droite comme de gauche) : le capital naturel peut toujours être remplacé par des éléments fabriqués, donc par du travail et du capital technique. Cette approche promulguée par la Banque mondiale et l’OCDE suppose la substitution toujours possible entre capital humain, capital manufacturier et capital naturel. Ainsi, si l’une des composantes baisse, une autre pourra toujours compenser le manque. Elle repose sur une confiance aveugle dans un progrès technique qui pourrait toujours compenser la déperdition irréversible des ressources naturelles non renouvelables. On dit aussi qu’il y a dans tous les cas substitution possible entre les facteurs de production, y compris le facteur ressources naturelles. Les économistes soutiennent depuis l’origine de la révolution industrielle une durabilité faible, donc considèrent une croissance économique sans se soucier des générations futures ni du reste de la Biosphère puisque, selon leur point de vue, on trouvera sans doute une solution technique à tous les problèmes que la technique a créé.
Une telle pensée, ce que Nicholas Georgescu-Roegen appelle « le sophisme de la substitution perpétuelle », n’est pas durable. Il faut en effet avoir une vue bien erronée du processus économique pour ne pas remarquer qu’il n’existe pas de facteur matériel autres que les ressources naturelles. Plus que l’impact du progrès technique sur la consommation de ressources par unité de PIB, ce qui doit attirer notre attention, c’est l’accroissement du taux d’épuisement des ressources comme effet de ce progrès. Mais les économistes, libéraux ou marxistes, inébranlablement attachés à leur cadre mécaniste, sont restés complètement insensibles aux appels que lancèrent les mouvements pour la conservation de la nature. L’exploitation de la nature reste une fin en soi et les économistes ont mis plus d’un siècle pour prendre en considération la question de l’environnement et du renouvellement des ressources.
Nicholas Georgescu-Roegen : « Quelques organismes ralentissent la dégradation entropique : les plantes vertes emmagasinent une partie du rayonnement solaire qui autrement serait immédiatement dissipée sous forme de chaleur. C’est pourquoi vous pouvez brûler aujourd’hui de l’énergie solaire préservée de la dégradation il y a des millions d’années sous forme de charbon, ou depuis un plus petit nombre d’années sous forme d’arbres. Tous les autres organismes accélèrent la marche de l’entropie et les humains plus que les autres. Le processus économique, comme tout autre processus du vivant, est irréversible mais beaucoup d’économistes ne connaissent même pas la loi de l’entropie. Certains pensent même de façon illusoire qu’on réussira toujours à trouver de nouvelles sources d’énergie et de nouveaux moyens de les asservir à notre profit. Mais on ne peut pas utiliser des schistes bitumineux si leur extraction coûte plus d’énergie que leur apport. Il y a aussi la thèse que nous pourrions nommer le sophisme de la substitution perpétuelle. Ainsi, selon Solow, on pourra toujours substituer d’autres facteurs (travail ou capital technique) aux ressources naturelles. Mais il faut avoir une vue bien erronée du processus économique pour ne pas remarquer qu’il n’existe pas de facteur matériel autres que les ressources naturelles. Plus que l’impact du progrès technique sur la consommation de ressources par unité de PIB, ce qui doit attirer votre attention, c’est l’accroissement du taux d’épuisement des ressources comme effet de ce progrès. Mais les économistes, inébranlablement attachés à leur cadre mécaniste, sont restés complètement insensibles aux appels que lancèrent les mouvements pour la conservation de la nature. »
La biosphère remplit quatre fonctions vis à vis de l’espèce humaine : c’est le support de la vie, un stock de ressources naturelles, un récepteur de déchets et une source d’aménités. Il y a bien des possibilités de substitution aux services environnementaux, le recyclage des déchets permet par exemple de réduire à la fois la demande de services de réception de déchets et la demande de matières premières. Mais ces substitutions sont plus ou moins fortes et le stock de capital physique (par exemple une piscine) constitue un avatar plus ou moins imparfait du capital naturel (lac ou rivière). En effet, l’analyse néo-classique de Pigou (les externalités) ne reconnaît pas l’interdépendance étroite entre économique et environnement. Pour dépasser la pensée dominante, il faudrait utiliser des développements empruntés aux sciences de la nature, en particulier la thermodynamique et l’écologie, il faudrait insérer l’économie dans l’écologie alors qu’on a déjà le plus grand mal à intégrer l’écologie dans l’économie. Comme synthèse de cette analyse, on peut dire qu’une durabilité forte nécessite que le patrimoine naturel reste constant (il est absolument complémentaire de l’activité humaine d’une génération à l’autre). Cette conception repose donc sur la forte complémentarité entre les trois types de capital (technique, humain et naturel) et récuse l’idée de soutenabilité faible. Concrètement la réalisation du développement durable passe alors par une limitation de l’usage du capital naturel, notamment par la décroissance des facteurs de production matériels et énergétiques. Ce soubassement biophysique de l’activité humaine nous amène à repenser le matérialisme historique de Marx.
« Comme synthèse de cette analyse, on peut dire qu’une durabilité forte nécessite que le patrimoine naturel reste constant », ce qu’il ne peut être car tout se transforme et nous les hétérotrophes (animaux) nous dégradons la matière pour manger, se loger, se chauffer…
À moins de vivre comme les autres animaux (ou mieux comme les plantes), notre impact sur le patrimoine naturel est constant et va vers une décroissance inéluctable des ressources .
D’autre part, si nous décidons à partir de maintenant de « garder » notre patrimoine naturel constant, nous aurions alors la gestion d’un petit capital restant au regard de celui qu’il était il y a seulement 2 siècles vu l’état de dégradation quantitatif et qualitatif!
Vous avez raison, un «capital naturel constant» ça n’existe pas. C’est d’ailleurs ce que Georgescu-Roegen s’est appliqué à nous faire comprendre.
Je pense qu’en rajoutant un seul mot, la synthèse de cette analyse serait plus juste : on peut dire qu’une durabilité forte nécessite que le patrimoine naturel reste QUASIMENT constant.