En finir avec la religion du progrès

Je rencontre fréquemment des personnes pourtant bien éveillées intellectuellement qui ne s’inquiètent nullement de l’avenir malgré les menaces écologiques qui s’amoncellent : ils croient dans le progrès qui sauve, si ce n’est pas aujourd’hui ce sera demain, on trouvera bien quelque chose, un substitut énergétique, une invention qu’on nous a caché jusqu’à présent, etc. Ils sont victimes d’un bourrage de crâne, leur optimisme est devenu une religion. Un livre* relate cet état de fait, voici un résumé du dernier chapitre, un entretien avec John Michael Greer :

« La recherche d’un substitut au christianisme a rapidement conduit à la naissance de plusieurs religions séculaires, comme le nationalisme, le marxisme et la religion du progrès. Comme pour celui qui a foi en Jésus Christ, le progrès est omnipotent, omniscient, totalement bénéfique, et son triomphe final est certain. Si quelqu’un suggérait à un dévot du progrès que sa divinité de substitution n’était pas une loi toute puissante de la nature, mais seulement une condition historique temporaire, il obtiendrait exactement la même réponse que s’il essayait de dire à un paysan du Moyen Âge que Dieu, ses saints et ses anges ne se trouvent pas dans le ciel. Au coeur de la logique du progrès, il y a le postulat que n’importe quel changement doit être poursuivi indéfiniment : si nous avons confié une partie de notre intelligence aux ordinateurs, nous devons toujours plus nous en remettre aux ordinateurs. Parce que c’est le progrès ! Cette conception est profondément détraquée. Dans le monde réel, à distinguer du monde des abstractions intellectuelles et économiques qui guident les politiques actuelles, avancer toujours stupidement dans la même direction, c’est le meilleur moyen d’aller vers un désastre inévitable.

Les religions surnaturelles peuvent se permettre de promettre tout et n’importe quoi, parce qu’elles livrent le paradis dans le monde d’après. En revanche les religions séculaires comme la religion du progrès ont de quoi s’inquiéter si elles échouent à tenir leurs promesses. Leur royaume est entièrement de ce monde, et si elles ne peuvent pas tenir leurs promesses, tôt ou tard les gens vont chercher autre chose. Combien de personnes croient encore aux promesses du marxisme classique ? Quand j’étais enfant (ndlr : John Michael Greer est né en 1962), les médias annonçaient comme une évidence que d’ici l’an 2000, il y aurait des villes sur la lune, que nous vivrions tous jusqu’à 120 ans, que la misère serait éradiquée, etc… Un doute s’immisce, on se demande si c’est vraiment une bonne idée d’accélérer la trajectoire sur laquelle nous sommes. De moins en moins de gens prendront de telles allégations au sérieux. Finalement, j’en suis venu à penser que choisir délibérément la décroissance technologique, ce pourrait être l’un des meilleurs projets politiques pour notre époque. »

* «Le progrès m’a tuer», ouvrage collectif coordonné par «la Décroissance»
(éditions Le pas de côté, 230 pages pour 20 euros)