En Inde, l’échec de la révolution verte

Grand architecte de la « révolution verte » indienne des années 1960, le généticien et agronome Monkombu Sambasivan Swaminathan est mort le 28 septembre 2023. Il ne pouvait réussir son pari de nourrir tous les Indiens, il avait oublié la variable démographique. Car le défi ne cesse de croître : l’Inde dénombrait 398 millions d’habitants en 1955, 623 millions en 1975 et 1,4 milliard en 2023… Comment nourrir durablement la « plus grande démographie » de la planète ?

Bruno Philip (nécrologie en 2023) : M. S. Swaminathan jeta les bases, dès la fin des années 1950, de cette « révolution » agricole dont le principe consistait en l’implantation de nouvelles variétés de céréales (blé et riz), susceptibles de s’adapter au climat du pays tout en garantissant des rendements bien supérieurs. L’Inde produisait 50 millions de tonnes de céréales par an dans les années 1960, elle en a produit 330 millions en 2022, tout en étant devenue pays exportateur. Le premier ministre indien, Narendra Modi, a salué la mémoire de l’agronome : « A une période très critique de l’histoire de notre pays, son travail révolutionnaire dans l’agriculture a transformé la vie de millions de personnes et a assuré la sécurité alimentaire de notre pays. »

Mais pour aussi spectaculaire qu’elle ait été, la réussite du professeur Swaminathan a cependant emmené son pays sur la voie d’une exploitation agricole intensive particulièrement dommageable pour l’environnement et les paysans ; ils se sont surendettés pour avoir les moyens d’acheter des semences et autres intrants dans un contexte agricole qui a vu la taille des terres diminuer drastiquement : moins de 1 hectare aujourd’hui en moyenne. Le désarroi du monde paysan indien a provoqué ces dernières années une vague de suicides sans précédent de fermiers et d’ouvriers agricoles, une dizaine de milliers en 2020. « La “révolution verte” a certes permis aux Indiens de ne plus mourir massivement de faim comme en 1943, mais qui n’a pas garanti pour autant une alimentation saine et équilibrée, tant s’en faut. en 2022, l’Inde figure aux derniers rangs dans l’indice mondial de la faim, derrière même le Soudan, ceci alors qu’elle s’est aussi hissée parmi les tout premiers importateurs mondiaux de pois, lentilles et huiles végétales, variétés complètement délaissées par la “révolution verte”, tout comme les fruits et légumes riches en fibres, vitamines et minéraux ».

Récemment, Monkombu Sambasivan Swaminathan avait même convenu, devant la presse indienne, que, finalement, « la “révolution verte” est insoutenable ».

Monkombu Sambasivan Swaminathan en 2011 : « La sécurité alimentaire est assurée à trois conditions : la disponibilité de la nourriture, qui est actuellement assez bonne ; l’accès des consommateurs aux marchés, qui n’est pas assuré ; la qualité nutritionnelle de l’alimentation, aujourd’hui très insuffisante. Pour lutter contre cette « faim cachée », il faut réhabiliter ce que l’on appelle, à tort, les céréales secondaires, comme le millet, qui sont par ailleurs plus résistantes aux accidents climatiques et exigent moins d’eau que le riz ou le blé. Face à la crise actuelle, on cherche des macrosolutions, au niveau global, alors que nous avons besoin de solutions locales.

Nous devons aussi protéger la Terre comme notre mère, en plaçant l’environnement au cœur des technologies qui nous aideront à produire davantage. C’est la différence avec la révolution verte, qui n’avait pour but que d’augmenter les rendements. »

Le point de vue des écologistes sur notre blog biosphere

Norman Borlaug aurait, paraît-il, sauvé un nombre incalculable de vies humaines en contribuant à vaincre les famines par ses semences à haut rendement (« révolution verte »). Soulignons que Borlaug lui-même était bien conscient de la relation perverse entre démographie et alimentation. Lors de son discours de réception du prix Nobel de la paix en 1970, Borlaug s’est exclamé :

« Nous sommes face à deux forces contraires, le pouvoir scientifique de la production alimentaire et le pouvoir biologique de la reproduction humaine. L’homme a acquis les moyens de réduire avec efficacité et humanisme le rythme de la reproduction humaine. Il utilise ses pouvoirs pour augmenter le rythme et l’ampleur de la production alimentaire. Mais il n’exploite pas encore de façon adéquate son potentiel pour limiter la reproduction humaine. »

7 réflexions sur “En Inde, l’échec de la révolution verte”

  1. Bien sûr que c’est un échec, c’est un excellent exemple de l’effet rebond.
    Toute fuite en avant technologique qui nous permet, sinon de régler un problème, du moins d’en amoindrir le prix à courte échéance, ne fait que l’aggraver plus tard en nous permettant d’être plus et de consommer plus.
    Il est terrible que ce principe général soit autant ignoré dans tous les débats sur l’écologie.
    Grâce à la révolution verte, nous serons 10 milliards et 10 milliards à mourir de faim plus tard quand seront épuisés les sols, détruites les forêts, morts les animaux et épuisées les réserves d’énergie fossiles, beau succès !

    1. 1) Quel effet rebond ?
      – 1960 : 450 millions d’habitants … et 50 millions de Tonnes de céréales /an.
      – 2020 : 1,4 milliard d’hab (x 3,1) … et 330 millions T céréales / an (x 6,6)
      Cherchez l’erreur …

      2) « Grâce à la révolution verte, nous serons 10 milliards et 10 milliards à mourir de faim plus tard quand seront épuisés les sols [etc.]»
      Si par «révolution verte» vous entendez pesticides, engrais chimiques, productivité, export, business as usual… je suis d’accord avec vous. En attendant, rien ne vous empêche d’imaginer une véritable révolution verte, cette fois respectueuse de l’environnement (lire À 11:47)

  2. – « Au moment de son indépendance en 1947, la situation alimentaire de l’Inde était très mauvaise, et beaucoup d’observateurs prévoyaient une évolution catastrophique du pays.[…] Le pays a cependant déjoué ces sombres pronostics, parvenant à mettre en œuvre une révolution verte qui, par une agriculture à haut rendement, a pu apporter en quelques années l’autosuffisance alimentaire au pays. » (Wikipedia : Révolution verte en Inde)

    Qui osera nier qu’un gouvernement, quel qu’il soit, se doit avant tout d’assurer les besoins de base à sa population ? Qui osera dire que la «révolution verte» indienne a été un échec ?
    Pas quand même ces millions d’indiens qui grâce à elle (et à Monkombu Sambasivan Swaminathan) auront échappé aux famines. Alors un minimum de décence SVP !
    ( à suivre )

    1. Alors bien sûr, le vert de cette révolution agricole n’a rien d’écologique. Au contraire il rime avec pollutions, pertes de biodiversité etc. Remettons déjà les choses dans leur contexte, qui se souciait d’environnement dans les années 50 ? Mais qui ne voit pas qu’il rime aussi avec BUSINESS AS USUAL ?
      – « L’Inde produisait 50 millions de tonnes de céréales par an dans les années 1960, elle en a produit 330 millions en 2022, tout en étant devenue pays exportateur.» (Bruno Philip Le MONDE )
      – « L’exemple indien est éclairant sur ce point : à la suite de la révolution verte, le pays est devenu légèrement exportateur de céréales en un peu moins d’une décennie. L’accroissement des disponibilités alimentaires n’empêchait cependant pas, en 2000, 300 millions d’Indiens de continuer à souffrir de la faim, du seul fait de la faiblesse de leurs revenus.» (Wikipedia : Révolution verte)
      ( à suivre )

      1. Comme si ON ne savait pas que les famines ne sont pas seulement causées par une insuffisance de la production agricole, et/ou un trop grand nombre de bouches à nourrir. Quand un pays exporte des céréales (base de l’alimentation), c’est qu’il en a trop, non ? C’est donc qu’il n’a aucun problème de malnutrition, théoriquement. Pareil quand il consacre des surfaces énormes de ses terres agricoles à produire du café, du cacao, du coton et autres marchandises de ce genre. Bref, encore une fois le Surnombre a bon dos.
        Rien ne nous empêche d’imaginer une véritable révolution verte, cette fois respectueuse de l’environnement. Seulement quand ON refuse d’entendre ceux qui disent que la Terre peut nourrir tout le monde, quand ON se moque de ces agronomes (qu’ON ose même les traiter de fumier), quand ON tire à boulets rouges sur tout ce qui est rouge, quand ON part du postulat que de toute façon il y a trop de monde… alors bien sûr ON ne risque pas d’avancer.

    2. Michel C., la vertu de décence n’a jamais nourri son monde. Et ne pas relier sécurité alimentaire et évolution démographique, c’est faire injure à Norman Borlaug, inventeur de la révolution verte.
      Le ralentissement actuel de la fécondité en Inde ne doit pas cacher que l’Inde a déjà 470 hab./km2. Comme plus de 40 % de sa population a moins de 25 ans, cela veut dire que la croissance démographique est loin d’être terminée.Créer des emplois pour 15 millions de nouveaux Indiens chaque année, c’est impossible. Les nourrir durablement devient difficile
      Relisez par exemple ce que dit Swaminathan lui-même quant aux déséquilibres alimentaires…

      1. RAPPORTERRE, si vous aviez attendu la suite ( À 11:47), peut-être auriez-vous mieux compris ce que je veux dire. JAMAIS je n’ai soutenu que le Nombre ne pouvait pas être un problème, JAMAIS je n’ai dit que la Terre pouvait porter (nourrir etc.) 30 voire 100 milliards (et toujours plus) de terriens. Non, ça c’est juste ce que certains veulent me faire dire, ce qu’ils interprètent, traduisent…
        Partant de là vous pouvez penser ce que vous voulez, que je suis totalement déconnecté de la réalité etc. Mais à ce moment là moi aussi je pourrais vous renvoyer la Baballe (ping-pong ping-pong, «non c’est pas moi c’est toi», etc. etc.) Et bien sûr tout ça ne nous avancera à rien.

Les commentaires sont fermés.