Qui se souvient encore qu’il y eu la médiatisation d’une semaine sans écrans ?
C’était autrefois, du 22 au 28 mars… 2010 ! La démarche « une semaine sans écrans » se voulait préventive pour tenter de désintoxiquer des addictions à l’écran. Voici quelques éléments de réflexion tirés de nos écrits de l’époque.
Qui se rend compte que les écrans sont des envahisseurs omniprésents ?
– En janvier 2010, les Français de 4 ans et plus regardent la télévision en moyenne 3h50 par jour.
– La technologie des écrans plats a considérablement accru leur présence. Depuis une décennie, ils ont envahi tous les espaces publics : aéroports, gares, bureaux de poste, salles des professeurs, transports. Le temps de la contemplation du monde, de l’observation des autres, de l’introspection et de la réflexion disparaît.
– Depuis une décennie, les supports se multiplient et nous subissons un véritable déferlement technologique : ordinateur, téléphone mobile, GPS, iPod, Palm Pilot, appareil photo numérique, caméscope, console de jeux, etc.
– Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’y a pas de véritable concurrence entre les différents écrans ; les heures s’ajoutent les unes aux autres, et parfois, les médias se consomment en même temps. Les enquêtes de Médiamétrie concluent que la part des écrans mord surtout sur des activités qui étaient jusqu’à présent dévolues à autre chose : le repos, les déplacements et le silence.
– Défendre des espaces où les relations demeurent physiques et directes, où nos cerveaux ne sont pas parasités par le bourdonnement médiatique, où les prothèses techniques en brouillent pas nos sens, devient un combat permanent.
– Le milieu éducatif utilise de plus en plus de programmes audiovisuels et multimédias et la numérisation de l’école est imminente.
– La télé-réalité et la vidéosurveillance sont les laboratoires de la mise en image généralisée.
Qui prend en compte les effets des écrans sur notre sens des réalités ?
– L’œil s’attache à l’écran avant même toute considération de contenu ; peu d’excitants visuels de notre environnement disposent d’un tel pouvoir de focalisation.
– Quand l’écran ne brille pas, le réel me paraît terne : il ne bouge pas.
– La prolifération des écrans et l’usage immodéré qui en est fait par des enfants de plus en plus jeunes, ne peut que contribuer à les éloigner du monde concret et de la nature pourtant indispensable à leur équilibre.
– Les écrans créent un monde narcissique qui passe la moitié de son temps à fabriquer des images de lui-même, et l’autre moitié à les contempler. Les photos numériques accélèrent ce processus de nombrilisme.
– Des acteurs sociaux à l’individu, tout le monde cherche avant tout à visibilité ses actes plutôt qu’à agir véritablement. Nous assistons à la spectacularisation du monde.
– En réduisant la rencontre avec autrui, la lecture, les perceptions sensitives et corporelles, nous appauvrissons notre approche de la vie et notre perception du monde.
– Le lien qui unité le téléspectateur à son téléviseur ou l’usager à son ordinateur est de nature hypnotique.
– On ne veut plus éteindre son écran par crainte que l’effet de relaxation puisse diminuer. Regarder la télé amène à regarder la télé plus encore.
– Finalement des téléphones portables, pour quoi faire ? « Allô, c’est moi. J’suis dans le bus. J’arrive. A tout de suite. »
Qui mesure les effets des écrans sur notre intelligence ?
– Quand on regarde la télé ou un ordinateur, on constate une baisse de l’activité cérébrale. L’appareil nous met dans un état réceptif passif.
– Les études sur l’encéphalogramme montrent que les stimulations mentales sont moins fortes lorsqu’on regarde la télé que lorsqu’on lit.
– Comme le montrent les expériences, regarder un écran met en sommeil l’intellect, ramollit physiquement et – contrairement à ce que l’on pense communément -, ne repose pas du tout.
– Dans ce monde de connexions électroniques généralisées et d’écrans omniprésents, la brièveté, l’immédiateté et la superficialité dominent. L’objectif social à atteindre est le zéro contestation sérieuse, le lien social proposé étant tellement ténu, si fragile et absolument réversible.
– La réduction du réel à l’image abolit toute distance nécessaire à la compréhension des choses. Les écrans produisent un modèle où tout doit être disponible immédiatement. Or l’accession au savoir ou l’appréhension d’une problématique se font dans le temps, à travers une démarche personnelle parfois difficile.
– Les médias saturent nos perceptions alors que comprendre et analyser nécessite d’être capable de s’éloigner du monde et de sa clameur, dans une certaine solitude.
– Sur le plan politique, la prédominance de l’image a chassé les discours structurés et complexes, fondés sur une vision du monde globale et porteuse d’un projet collectif.
– Le neurophysiologiste Manfred Spitzer explique qu’un cerveau ne s’imprègne correctement des choses que s’il les découvre par le biais de plusieurs sens. Et, de ce point de vue, l’écran est bien pauvre en comparaison avec le monde.
Qui ressent que l’écran pervertit les relations humaines ?
– L’agencement de la salle de séjour se fait autour de la télévision. Ce n’est plus un espace de rencontre, c’est devenu un lieu de projection.
– L’usage de l’écran favorise la communication indirecte. L’échange direct, de visu, la véritable rencontre, se raréfie. Nous vivons de moins en moins dans le monde et de plus en plus dans ses représentations imagées.
– Certains préfèrent téléphoner pour demander leur chemin plutôt que d’interpeller un passant.
– Qu’un ami vous tourne le dos d’un seul coup sans même s’excuser pour parler à son portable vous aurait paru odieux avant que l’intrusion de cette technologie ne rende cette situation banale.
– Vivre le présent dans un lieu donné, avec d’autres, ne suffit plus. Il faut toujours échapper à une réalité qu’on conçoit comme insuffisante.
– Google Earth ! Plus aucun lieu ne doit rester invisible. Nous nous sommes transformés en voyeurs tout-puissants doublés… d’exhibitionnistes.
– Ne pas posséder de GPS pour savoir comment se déplacer devient une tare.
– Le caméscope et l’appareil photo numérique entraînent une tendance à voir le monde au travers d’un viseur plutôt que directement.
– Les jeux vidéos nous font considérer la guerre comme attractive et grisante. Nous ferons sans doute la guerre comme si c’était un jeu vidéo. Il suffit déjà de voir comme les Américains présentent leurs guerres.
Quels écrans pour quel avenir ?
Le quotidien LE MONDE n’avait consacré aucun texte à la Semaine sans écrans (22 au 28 mars 2010). Dommage ! Par contre les écrans étaient présents pratiquement chaque jour dans ses colonnes… En octobre 2014, LE MONDE fait deux pages sur les effets pervers des écrans*. A quand l’appel à jeter tous les écrans par la fenêtre ? Mais il n’y a rien à faire, on ne sort pas d’une addiction collective et mondialisée par la grâce d’une baguette magique. Seule porte de sortie ouverte à nos enfants : enfiler une combinaison munie de tous les bio-senseurs que la loi de Moore saura leur fournir afin de sentir, voir et toucher virtuellement, avaler une bonne dose d’euphorisant et partir chaque week-end pour le pays des songes avec sa star préférée, là-bas sur une plage d’avant la sixième extinction, les yeux rivés aux écrans du casque, les volets fermés, sans passé et sans avenir.
Heureusement que se profile à l’horizon les grandes pannes d’électricité… Heureusement qu’ici ou là des associations diverses organisent des périodes sans écran.
* LE MONDE Science&médecine du 29 octobre 2014, Ecrans, les effets pervers d’une fascination