Il y a des vies qui méritent d’être connues. Né en 1926, le professeur Etienne-Emile Baulieu est un pionnier de la recherche hormonale et l’inventeur de la pilule abortive RU 486, utilisée dans le monde par des dizaines de millions de femmes… et que plusieurs Etats américains tentent actuellement d’interdire.
A 96 ans, il continue de se rendre chaque jour à son laboratoire du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne)… autant dire que la retraite à 64 ans, il ne sait pas ce que c’est. Quelques morceaux choisis de son témoignage.
– J’avais lu Marx, j’étais idéaliste. J’avais côtoyé dans la Résistance beaucoup de camarades communistes, et j’avais soif de participer à une nouvelle phase de la civilisation mondiale. J’ai adhéré en 1942 au Front patriotique de la jeunesse, une organisation satellite des jeunesses communistes clandestines, reliée aux Francs-tireurs et partisans, le mouvement de résistance.
– Mon attachement au PCF – et mon aveuglement – ont duré longtemps. Je me souviens encore de mon émotion le jour de la mort de Staline, le 5 mars 1953. Je suis rentré dans l’amphithéâtre de [l’hôpital] Bichat, où mon patron donnait un cours, et j’ai crié : « Debout ! Staline est mort ! » Et tout le monde s’est levé. J’étais ignorant, alors, des crimes du régime… Il faudra l’invasion de la Hongrie par l’URSS en 1956 pour que je rompe définitivement.
– J’ai tout de suite associé médecine et recherche. chercher, explorer, découvrir, faire avancer la connaissance est devenu une obsession, je dirais même mon oxygène.
– J’ai rencontré en 1961, à sa demande, Gregory Pincus qui aurait mérité le prix Nobel tant il a fait pour les femmes, et donc pour l’humanité. En déconnectant l’acte sexuel de l’acte de reproduire, il a émancipé les femmes et leur a donné un pouvoir nouveau, le plus fondamental. C’était bel et bien une révolution.
– En France, il a fallu attendre 1967 pour que la loi Neuwirth autorise enfin la pilule ! J’avais été nommé dans une commission de treize « sages » chargés de donner un avis. Le cancérologue disait : « Il n’est pas exclu qu’elle donne le cancer. » Le gastro-entérologue disait : « Elle est mauvaise pour le foie. » Le psychiatre prétendait que les maris deviendraient fous. Moi, j’étais résolument pour.
– Un voyage en Inde, en 1970, a été pour moi déterminant. Ou, plus précisément, une scène dont je me souviendrai toute ma vie, sur le pont de Calcutta où mendiaient des dizaines de femmes entourées de grappes d’enfants. L’une d’entre elles s’est avancée droit vers moi, attirant mon regard vers son bras replié, où gisait un bébé mort, tandis qu’un enfant s’agitait à l’extrémité de son autre bras. La fatalité de cette extrême misère m’a bouleversé. Et j’ai décidé de m’attaquer prioritairement à ce problème des grossesses subies.
– Une femme mourait toutes les trois minutes d’avortement mal pratiqué. Comment ne pas vouloir cesser ce carnage et leur venir en aide ? Ce fut l’aventure de la pilule dite « abortive », le RU 486…Un antiprogestérone permettant d’interrompre la grossesse une fois la fécondation faite et évitant aux femmes une chirurgie invasive.
– Mais que de polémiques, de mensonges… et de violences ! J’ai été attaqué par les pro-vie avec une fureur stupéfiante, accueilli aux États-Unis par des pancartes proclamant « Baulieu = Mengele » [en référence au médecin nazi Josef Mengele], tandis qu’en France, le professeur Jérôme Lejeune, adversaire de l’avortement, m’a accusé d’avoir inventé un « pesticide humain » qui ferait plus de morts que « Hitler, Mao et Staline réunis ».
– Toutes ces pressions ont intimidé le laboratoire qui a renoncé, en 1988, à la mise sur le marché qu’il venait pourtant d’obtenir. J’étais outré. Heureusement Claude Evin, le ministre de la santé [1988-1991], a provoqué un coup de théâtre : « Le RU 486 est la propriété morale des femmes », a-t-il déclaré. Et il a mis en demeure le laboratoire d’en reprendre la distribution . C’était un acte politique, au meilleur sens du terme. Des millions de femmes l’utilisent aujourd’hui… Et cela, malgré les menaces qui persistent ou ressurgissent, hélas, dans de nombreux pays.
Le point de vue des écologistes néomalthusiens contre les réactionnaires
Autist Redding : Il a certes aidé les femmes à avoir leur liberté sexuelle mais a-t-il pensé à la liberté de vivre des bébés tués pour ainsi dire dans l’œuf ?
Mad @ Autist Redding : Avez-vous pensé à lire la phrase « une femme mourait toutes les 3 minutes d’un avortement mal pratiqué »? Je vous laisse faire les maths du nombre de mortes évitées depuis 1988.
Gabuzo : Quand je rencontre des gens comme vous, Autiste, je leur montre une photo d’embryon et je leur demande si c’est un être humain. Ils répondent toujours oui, avant que je leur révèle que c’est un embryon de têtard…
ELKA : Un embryon n’est pas un bébé.
Oui mais : Si la mère de Baulieu avait pris sa pilule, le monde aurait été privée de son talent. Petite réflexion à méditer.
GY : Si ce sont celles d’Hitler et Poutine aussi, quelle perte !
Clovis d Harcourt : Certains ont préféré exercer réellement le métier de médecin plutôt que « chercher ». On a parfaitement le droit de préférer des créneaux porteurs et à la mode, mais de là à faire de Baulieu saints hommes, mais c’est quand même franchement dégueulasse pour ses confrères.
Mad @ Clovis : Au contraire, leurs confrères aux urgences ne voient plus arriver de femmes se vidant de leur sang et impossibles à recoudre. Moins de traumatismes induits par la profession, tout le monde est content, même ceux qui ont des réserves à titre personnel sur la pratique de l’avortement. Il n’y a rien de plus insupportable pour un médecin que de voir des morts évitables jour après jour. Si vous prétendez que c’est une mode alors vous ne comprenez pas le monde, ni la médecine, ni ce que vivent les femmes. Commentaire misogyne, rétrograde et qui n’est en rien à votre honneur.
Rose : Clovis, vous préférez sans doute voir les médecins faire leur voyage au bout de la nuit et exercer leur impuissance : « Je n’avertis point la mère sur la mare de sang que je voyais se former sous le lit ni les gouttes qui tombaient toujours ponctuellement… Je ne discernais presque plus les mains de la fille posées sur les draps, à cause de la pâleur semblable. Je revins pour sentir son pouls, plus menu, plus furtif que tout à l’heure. Elle ne respirait que par à-coups. J’entendais bien, moi, toujours, le sang tomber sur le parquet comme à petits coups d’une montre de plus en plus lente, de plus en plus faible. Rien à faire. » (Céline)
Umberto : Monsieur n’a pas souhaité continuer à donner des soins aux malades, c’était probablement beaucoup moins rémunérateur que de se lancer dans des recherches à la mode du temps. Pas sûr que (son) dieu soit content qu’on bricole ainsi sa création. Il faudrait lui demander, c’est gratuit…
chatlibre @ Umberto : « Pas sûr que dieu soit content qu’on bricole ainsi sa création ». Vous semblez avoir de bon rapport avec Lui, demandez lui et informez nous.
richardauguste : pour combien d’hommes dans le monde, encore aujourd’hui, la virilité se mesure au nombre d’enfants qu’ils ont ?
Je suis biologiste, conscient de ce qu’est la vie dans ses ressorts.
la vie est d’abord une cellule qui n’a pas encore été reproduit par l’humain et pour cela la vie doit être respecté et protégé.
La vie d’un bébé depuis sa conception doit être respecté. Cependant ce bébé arrive incomplet donc il ne doit arriver qu’à la condition que l’environnement soit favorable.
La mère et le père sont des êtres accomplis qui mérite encore plus le respect que le bébé.
le RU 486 est donc une avancée mais on oublie trop souvent que la gestation est un bouleversement physiologique et psychologique pour la mère.
Donc merci infiniment Monsieur Beaulieu, mais cela ne suffit pas, il faut respecter la vie et éviter qu’elle se développe n’importe comment, il faut en plus éduquer les gens à la contraception, à la gestation des bébés et à son développement.
Professeur de pharmacologie, c’est en 1973, soit voici 50 ans, que j’ai rédigé mon livre » Pharmacologie et thérapeutique anticonceptionnelles » . Cela correspondait à l’époque à un immense besoin d’être correctement informé. Les travaux du Pr Beaulieu sur le RU 486 sont remarquables dans la mesure où ils permettent d’éviter la nidation stabilisée d’un oeuf fécondé et d’envisager un avortement « pharmacologique » très précoce, évitant toutes ces manipulations médico-chirurgicales d’autant plus pénibles ou risquées que la durée de grossesse augmente . J’ai moi-même proposé dès 1991 qu’on associe le misoprostol ( prostaglandine de synthèse) pour faciliter l’expulsion en stimulant des contractions de l’utérus. C’est bien ce qui se pratique à présent ! A côté de la « pilule contraceptive » et de la « pilule du lendemain », le RU 486 (mifépristone) a sa place comme « emménagogue » sûr et efficace utilisé dès le retard de règles.
Bonjour Professeur,
j’enseigne les sciences de la vie et je connais un peu les techniques d’interruption de grossesse mais étant un homme j’ai peu l’occasion de pratiquer.
Cependant, je n’arrive pas à savoir de façon claire dans quelles limites de temps le RU 486 est utilisé pour les interruptions de grossesse et quand une intervention mécanique est utilisée. J’ai l’impression qu’il existe un certain libre arbitre de l’obstétricien et que les méthodes utilisées ne sont pas toujours clairement dites aux mères. Pourriez-vous m’éclairer?
Cordialement
Là encore, ni néomalthusien ni réactionnaire ! Le choix entre la peste et le choléra, merci mais pas pour moi. Pour moi la pilule abortive RU 486 est aussi bénéfique que la péridurale ou n’importe quelle drogue anti-douleurs. Quelque chose de révolutionnaire. Et qui pour le coup va dans le bon sens. Ce qui ne veut pas dire qu’ON pourrait, ou qu’ON, devrait en abuser. Pour moi Etienne-Emile Baulieu est un grand Monsieur. Comme beaucoup d’autres, chacun avec son histoire personnelle, son parcours, ses passions etc. Sans oublier bien sûr les grandes Dames.
– Etats-Unis : un juge fédéral suspend la prescription d’une pilule abortive dans tout le pays
( francetvinfo.fr – 08/04/2023 )
Là par contre, je ne vois pas comment ça pourrait aller dans le bon sens. Comme beaucoup de choses, pour moi tout n’est qu’une question de juste mesure.