étonnant, une vache peut même brouter de l’herbe !

Il faut un hectare d’herbes pour qu’une vache puisse brouter sur l’année. Mais les élevages en batterie ont oublié les préceptes d’antan en faisant croire à une meilleure productivité. Encore faut-il s’entendre sur le sens de productivité en matière agricole. Monique et Martial Le Meur font le point dans un courrier des lecteurs : « Jusqu’aux années 1970, tout était valorisé dans les fermes, il n’y avait pas de gaspillage, on fagotait le menu bois, on ne jetait jamais le colostrum des vaches fraîchement vêlées, il allait à la nourriture des volailles, les herbes dites mauvaises alimentaient les lapins. Une vache de race locale ne produisait que 3 à 4000 litres de lait par an, mais cela pendant douze ans, voire plus alors qu’une prim’Holstein actuelle en produit pas loin de 10000 mais seulement pendant 2,4 lactations, moyenne nationale avec une augmentation des frais de vétérinaires engendrés par ce type de choix. En faisant un calcul simple, on constate qu’une pis noire bretonne produit en fait beaucoup plus dans la durée qu’une Holstein, et un lait de qualité supérieure : il faut environ 16 à 18 litres de lait de Bretonne pour fabriquer un kilo de beurre alors qu’il en faut 24 à 26 pour une Holstein. »*

La famille Le Meur est un couple de paysans adeptes de la simplicité volontaire. Ils décrivent ainsi l’agriculture qu’ils appellent de leurs vœux et celle qu’ils condamnent: « L’élevage a d’abord été pratiquée pour le fumier. Les traités d’agronomie de 1600-1700 conseillaient déjà d’enrichir le sol par les fumures. La viande était presque un sous-produit. Les fermes fonctionnaient en polyculture-élevage, la production était diversifiée. La paysannerie, c’était un mode de vie, il y avait de l’activité locale, les gens se connaissaient tous… Il faut redéfinir le terme « intensif ». Nous, sur notre ferme, on est intensif. Un maraîcher bio est très productif : il n’y a rien de perdu, les déchets sont utilisés pour le compost, les rendements sont très élevés pour des petites surfaces… Eux, dans l’agriculture industrielle, ils ne sont pas en intensif. Ils ont besoin d’intrants, d’engrais, de pesticides. Les bêtes d’élevage sont nourris avec du maïs, du soja OGM importé d’Argentine ou de Brésil. Ils utilisent une énorme surface de terres, de l’énergie, des ressources, de l’eau aussi… » Monique et Martial sont les seuls vanniers professionnels en Loire-Atlantique, ils ont un gros potager, des poulets, des lapins, des veaux, des bovins et ils troquent avec leurs voisins**. Que fera la multitude d’urbains quand il n’y aura plus de pétrole ? Quand il n’y aura plus d’agriculture productiviste et qu’il faudra retourner à la terre ?

Notre civilisation thermo-industrielle nous a mené dans une impasse en pratiquant « le sacrifice des paysans » (L’échappée, 2016). Les auteurs de ce livre reviennent sur cette catastrophe sociale qui ne cesse de s’aggraver à l’heure des fermes-usines et de l’automatisation du travail agricole : « Comme l’a montré l’ethnologue Pierre Clastres, la société industrielle est la plus formidable machine à produire, et pour cela même la plus formidable machine à détruire. Sociétés, nature, mers, forêts, sous-sol, tout doit être utilisé, tout doit être productif, d’une productivité poussée à son maximum. Au début des années 1970, la France rurale et paysanne conservait encore une grande diversité de langues, d’élevages, de paysages, d’outillages ou de techniques favorisant différentes formes de production, de coopération et d’échange entre paysans. Le profond remodelage qu’elle a connu s’est apparenté à un ethnocide si l’on entend par là la dévalorisation et l’empêchement systématique de la plupart des pratiques de leurs habitants. La politique industrialisation forcée de l’agriculture prit appui sur l’abandon du système de polyculture-élevage qui assurait aux paysans autonomie et diversification de leurs sources de revenus. Dorénavant tout ce qu’ils produisaient dans leur fermes se trouva éparpillé dans des exploitations spécialisées et mécanisées, nécessitant de nombreux achats à l’extérieur… La formule « trois petites fermes valent mieux qu’une grande » caractérise bien l’esprit de la Confédération paysanne aujourd’hui... »***

* mensuel La Décroissance n° 138, avril 2017

** mensuel La Décroissance n° 121, juillet-août 2015

*** mensuel La Décroissance n° 136, mars 2017

2 réflexions sur “étonnant, une vache peut même brouter de l’herbe !”

  1. Bonjour Didier Barthès

    Oui,  » En marche… arrière ! Toutes ! « . J’imagine un peu ce que ça aurait donné.
    Ce serait en effet lucide et courageux. Hélas la lucidité et le courage ont été remplacés par le fameux « pragmatisme ».

    Le pragmatisme étant ce soit-disant réalisme de ceux qui veulent changer le Monde.
    Quoi qu’il en soit, on fait toujours ce qu’on PEUT et non pas ce qu’on VEUT.
    POUVOIR sous-entend les limites du possible, les capacités… VOULOIR sous-entend la liberté… Pour pouvoir voler de ses propres ailes, encore faut-il être libre et non pas enchaîné, conditionné, dépendant etc.

    Une vache préfèrera probablement brouter de la bonne herbe verte que des pains de soja aux OGM… mais si elle veut brouter de l’herbe, elle ne pourra le faire que si l’éleveur la met au pré.
    Enfin, je dis ça mais je ne connais pas les goûts de la vache, ou du mouton… et si ça se trouve eux-aussi aiment bien les chaînes et la junk-food. Si ça se trouve la vache non plus n’a pas envie de « retourner en arrière » pour aller vivre avec les aurochs… tout comme ce pitoyable chien au coup pelé (dans la fable), qui n’avait pas envie d’aller vivre avec le loup.
    Oui mais bon… d’un autre côté cette brave vache on peut la comprendre. Parce que elle, elle ne sait pas ce qui lui pend au nez.

  2. C’est pourquoi je pense qu’il ne faut pas hésiter à dire que sur certains points nous devons revenir en arrière. Quand on a fait fausse route, faire demi-tour n’est pas une honte. En tout cas c’est beaucoup plus raisonnable que de continuer tête baissée dans la même direction pour le plaisir d’arborer un fanion de moderniste patenté !

    Aurons-nous un jour un candidat aux élections dont le mouvement s’appellera « : En marche… arrière  » Cela serait lucide et courageux.

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