Les êtres humains sont capables de s’ajuster à une vitesse surprenante dans leurs orientations morales, leurs valeurs, leurs identifications. C’est en particulier le cas quand des menaces, ressenties ou réelles, paraissent exiger des décisions rapides. Le désir de ne plus avoir peur des périls conduit à rechercher une contrainte imposée de l’extérieur par une instance autoritaire, un leader laïc ou religieux. Des atteintes sont alors constamment portées aux règles en vigueur du langage public normalisé, atteintes qui deviennent sources de mobilisation chez ceux “d’en bas”. C’est pour eux une manière de se façonner une nouvelle identité, un nouveau sentiment du “nous”. Ce qui les unit, c’est la négation de l’intelligence collective au nom d’une civilisation imaginaire portée par des populistes : Bolsonaro, Erdogan, Marine Le Pen,Trump, etc.
Lire, Pourquoi les populistes gagnent la bataille
Sophie Bernard : C’est à partir de l’Israël de Benyamin Nétanyahou, où elle a vécu et enseigné, qu’Eva Illouz isole les quatre émotions principales qui soutiennent les grands récits populistes : la peur, le dégoût, le ressentiment et l’amour de la patrie. Ainsi, « la peur que nourrit Israël pour ses ennemis extérieurs et intérieurs » pousse non seulement à sans cesse nommer ces derniers, mais aussi – et c’est plus grave – à en inventer. Quant au ressentiment, c’est en offrant la possibilité d’une narration dans laquelle chacun est la plus grande victime de tous qu’il permet aux politiciens et aux spécialistes de marketing politique de faire triompher le populisme. Dernier avatar de ce processus, les infox,
Le populisme, cette « tendance préludant au fascisme » menace la démocratie. Comment expliquer que des gouvernements qui aggravent les inégalités sociales soient soutenus par celles et ceux que leur politique affecte pourtant le plus ? La réponse à cette énigme réside dans les émotions. Elles seules ont le pouvoir de nous faire nier les évidences factuelles, voire d’occulter nos intérêts personnels. Elles finissent par occulter la réalité des faits et des situations et ces émotions mettent en danger les démocraties. Suscitées par les populistes dans le but d’offrir un sens au malaise de nombreux groupes sociaux, elles brouillent les notions de « vérité » et d’« objectivité ». « A une époque, ajoute Eva Illouz, où prospèrent les théories du complot les plus fantasques, qui viennent gravement perturber les processus démocratiques de fabrique de l’opinion, nous ne pouvons plus nous permettre le luxe de postuler que tous les points de vue sont égaux ou également bien informés ».
Le point de vue des écologistes
Le populisme et l’écologisme sont deux axes de la pensée humaine incompatibles, si ce n’est complètement opposés. Le slogan « Fin du monde, fin du mois, même combat » est un oxymore, l’alliance des contraires, une forme plus poétique que réaliste. Le réalisme, c’est considérer que nos conditions d’existence ne sont durables que si elles commencent à ignorer les énergies carbonées et à pratiquer les politiques de sobriété. Or le gaspillage des ressources, c’est ce que demande le peuple, et ce qui fait et fera le jeu des populistes.
Il faudrait pourtant savoir que toute dictature, même exercée au nom du peuple ou de l’emploi, mène irrémédiablement au désastre : les manipulations des foules ne sont jamais porteurs de bonne nouvelle. Il reste donc à mettre en œuvre ce que Hans Jonas envisageait incidemment : « Naturellement il serait préférable qu’on puisse confier la cause de l’humanité à une conscience authentique qui se propagerait. »
Lire, L’écologisme contre le populisme, qui va gagner ?
Notre plus ancien article sur la question
culte émotionnel (chez les évangélistes) (juin 2007)
Selon une idée reçue… du fait qu’elles influent sur notre notre jugement les émotions nous rendraient idiots (cons). Voici ce qu’en dit Antonio Damasio ( Professeur de neurologie, neurosciences et psychologie ) :
– « Cette croyance est trop générale pour rendre justice à là complexité du problème. D’abord les émotions sont d’une grande variété. Certaines nous rendent incroyablement intelligents lorsqu’elles sont appropriées à la situation, et d’autres peuvent nous faire agir de manière tout à fait stupide ou dangereuse. Il faut donc distinguer les émotions négatives comme la colère, la peur ou le mépris, par exemple, et les émotions positives, comme la joie ou la compassion, qui nous rendent meilleurs, nous aident à coopérer, et nous font agir plus intelligemment. [etc.] »
Différencions déjà émotions et sentiments. Nous devrions ainsi pouvoir mieux comprendre ce que nous entendons par raison et intelligence.
– « Les émotions et les sentiments ne surgissent pas de manière isolée : la raison est nécessaire pour juger de nos actions. C’est important du point de vue de l’évolution, car notre espèce a d’abord éprouvé des émotions sans même que nos ancêtres en aient conscience. C’est plus tard qu’est venu le sentiment, c’est à dire une part de réflexion sur nos émotions. Tout ceci s’est trouvé chapeauté par la raison, fondée sur la connaissance et la compréhension pertinente des situations. L’intelligence, chez l’être humain, c’est donc de savoir négocier entre les réactions émotionnelles, d’une part, et les connaissances et la raison, d’autre part. Le problème n’est pas l’émotion seule, ni la raison seule. [etc.] » (Antonio Damasio )
– « Le populisme et l’écologisme sont deux axes de la pensée humaine incompatibles, si ce n’est complètement opposés. Le mouvement des «Gilets jaunes» [etc.] » ( Biosphère 14 février 2019 )
Les deux ne sont que des idéologies. Les idéologies n’ont d’intérêt que si elles peuvent être diffusées. La première, de gauche ou de droite peu importe, vise à flatter le Peuple (le gros animal, disait Platon), à titiller ses bas instincts etc. La seconde, je l’ai dit X fois… ne veut plus rien dire. Appelée à tort écologie, elle se conjugue désormais à toutes les sauces, même les plus pourries. Et se retrouve donc noyée dans le populisme. Je ne vois donc pas comment les deux pourraient être complètement, si ce n’est radicalement… opposées.
Faire peur (d’une manière ou d’une autre, un peu beaucoup passionnément etc. ), nous enfumer (mentir, tordre les mots etc.), c’est la stratégie des manipulateurs.
(« tendance préludant au fascisme »)
– « Or le gaspillage des ressources, c’est ce que demande le peuple […] »
Bon courage pour dire ce que veut le Peuple. Je pense plutôt que Biosphère ne fait là qu’une de ces interprétations dont il est coutumier. Par contre quand il s’agit d’un individu, là c’est un peu plus facile. Par exemple, si je dis que suis CONTRE la Taxe Carbone, cela ne veut pas du tout dire que je suis POUR le gaspillage des ressources. Seulement c’est ce que les esprits binaires ou les manipulateurs voudront me faire dire.
– « Il faudrait pourtant savoir que toute dictature, même exercée au nom du peuple ou de l’emploi, mène irrémédiablement au désastre » (Biosphère)
Et même exercée au nom de la planète ou du climat !
La «conscience authentique qui se propagerait» (Hans Jonas) me fait de suite penser à cette «intelligence collective» que cherche à développer Biosphère. Reste à voir ce qu’elle veut dire exactement.