Facéties du ministre de l’Environnement… en 1972

Question : Les travaux de prospective écologique publiés par le Club de Rome l’Institut de technologie du Massachusetts nous prédisent, si notre taux de croissance se maintient, une catastrophe planétaire. Que pensez-vous de ces calculs ?

Robert Poujade, ministre de l’Environnement et de la Nature : Je paraphraserai Victor Hugo : « Ces choses là sont rudes, il faut pour les comprendre avoir fait des études. » Je ne me sens pas capable, à l’heure actuelle, de formuler un jugement scientifique sur ces questions.

Q : Ces rapports soulignent de manière implicite que la croissance ne peut pas se poursuivre indéfiniment.

R.P. – C’est un problème de physique : celui de savoir combien on peut mettre de billes dans un sac et, si on accroît constamment le poids des billes, combien de temps l’étoffe tiendra. Il est possible qu’il y ait un terme à la croissance sur un espace donné : on aura beau recycler, un jour viendra où les ressources naturelles de la Terre seront épuisées.

Q : Proposez-vous des solutions de remplacement ?

R.P. – Certains diront qu’il faut changer de planète : cela me paraît une idée bien avancée ! Je crois surtout qu’il faut limiter la croissance démographique.

Q : Le développement des centrales nucléaires accroît la production de déchets radioactifs. Le problème de leur stockage n’est pas résolu…

R.P. – Je ne le crois pas, en effet. C’est une impression personnelle, je m’empresse de le dire. Le problème est difficile. Je n’entrerais pas dans le détail des techniques de stockage des déchets. Y en a-t-il une qui soit souveraine ? Je n’en suis pas sûr.

Q : Le directeur de la Commission de l’Energie atomique américaine a conclu que la seule solution était de lancer les déchets dans l’espace.

R.P. – C’est une solution d’une technologie tellement avancée que je ne me sens pas qualifié pour vous répondre !

Q : Vous faites partie d’un gouvernement qui préconise une France de cent millions d’habitants. Comment le justifiez-vous ?

R.P. – La France est parfaitement capable de nourrir et d’abriter dans des conditions convenables cent millions d’habitants. Mais il y a d’autres pays, submergés par l’explosion démographique, où on ne voit pas comment pourront s’établir des relations écologiques convenables.

Q : Les définitions de l’écologie sont nombreuses. Quelle est la vôtre ?

R.P. – L’écologie est depuis longtemps sortie du cadre étroit de ses débuts, qui en faisait une branche de l’histoire naturelle, et ne se limite plus à l’étude des relations entre les différentes formes de vie, entre l’homme et la nature. Elle est devenue une dimension de la conscience. L’écologie moderne devrait englober la psychophysiologie, la psychosociologie, l’étude des relations des hommes entre eux, dans leur milieu. Dans une civilisation un peu trop dominée par le court terme, elle devra, je crois, devenir la science du long terme.

(propos recueillis par Catherine Dreyfus in La dernière chance de la terre (hors série du Nouvel observateur, juin-juillet 1972))