Fin de vie, ma mort m’appartient

Dans un récent sondage commandé à l’Ifop par l’ADMD (octobre 2022), les Français expriment leur rapport à l’aide active à mourir. 78% des Français attendent de la convention citoyenne sur la fin de vie qu’elle légalise l’aide active à mourir ; 79% des Français se disent confiants dans un médecin qui se déclarerait favorable à l’euthanasie ; 77% des Français se disent confiants dans un médecin qui déclarerait pratiquer des euthanasies ; 82% des Français considèrent l’euthanasie et le suicide assisté comme des soins de fin de vie à part entière. Voici quelques témoignages de spécialistes :

Jacqueline Herremans : En Belgique, nous sommes parvenus en 2002 à respecter l’équilibre de ces trois lois fondamentales en droit médical : celle qui affirme les droits du patient, celle qui propose l’accès universel aux soins palliatifs et celle qui dépénalise l’euthanasie. Le respect de l’autonomie du patient y est le maître mot. Pas une autonomie désincarnée mais bien alimentée par l’information fournie par les professionnels de la santé. Le colloque singulier qui s’instaure entre le patient et le médecin permet d’examiner toutes les pistes possibles, autres que l’euthanasie, en matière de traitements thérapeutiques ou de soins palliatifs. Ce n’est qu’au bout du chemin que le médecin et le patient, convaincus qu’il s’agit de la seule option raisonnable, prendront la décision de l’euthanasie et en fixeront les modalités. Pour les soins palliatifs, le médecin recueille le consentement éclairé du patient, qui a le droit de les refuser sans devoir se justifier. En revanche, pour l’euthanasie, c’est au patient de la demander au médecin qui y consent… ou non. Nul ne peut être contraint à demander l’euthanasie, nul ne peut être forcé à poser l’acte.

La demande doit être volontaire, réitérée, sans pression extérieure, condition sine qua non pour l’euthanasie, mais pas suffisante. Il faut encore que le patient soit atteint d’une affection grave et incurable, d’ordre pathologique ou accidentel, qui lui cause des souffrances physiques ou psychiques inapaisables. Depuis 2014, des enfants doués de discernement peuvent formuler une demande d’euthanasie. Jamais cependant pour des affections psychiatriques ! Pour la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, il doit être particulièrement difficile d’entendre que leurs collègues pratiquant la médecine palliative en Belgique, sauf de très rares exceptions, considèrent que les soins palliatifs et l’euthanasie, loin d’être des frères ennemis, sont complémentaires.

association Renaloo : Delphine nous a quittés le 18 juin, à l’âge de 45 ans, dix jours après avoir arrêté volontairement de se faire dialyser. Elle a fait le choix de mettre fin à cette existence, l’alternance dialyse-greffe durant plus de trois décennies. Cette vie ne valait plus la peine d’être vécue.La mort de Delphine n’est pas un suicide, elle n’attente pas elle-même à sa vie à l’aide d’un moyen actif. Il ne s’agit pas non plus d’un suicide assisté, acte prémédité, connu des proches et accompli par un agent extérieur. L’arrêt de la dialyse s’inscrit à mi-chemin de ces deux fins de vie volontaires. C’est un « laisser-mourir ».

Les malades du rein, et plus largement ceux pour lesquels des traitements permettent une survie longue, au prix de contraintes importantes, ne doivent pas être écartés des réflexions françaises sur la fin de vie. Le respect prioritaire de l’autonomie de la personne s’impose finalement.

François Blot : Quel que soit le choix politique final, la légalisation ou non de l’aide active à mourir ne pourra être que sacrificielle. Il faut s’interroger sur la considération d’une société pour les plus vulnérables, handicapés, dépendants, âgés, malades, déprimés…Il serait tentant, pour des personnes affaiblies de céder à un sentiment d’inutilité que la société leur aura renvoyé, et de se retirer du monde des vivants puisque l’option, si radicale mais si « simple », est là, sous la main. Le philosophe David Hume, au XVIIIe siècle, n’y va déjà pas par quatre chemins : « Supposez qu’il ne soit plus en mon pouvoir de promouvoir les intérêts de la société, supposez que je sois devenu pour elle un fardeau, supposez que ma vie empêche une autre personne d’être plus utile à la société. En pareil cas, mon abandon de la vie devrait être non seulement innocent, mais même louable. »

Face à la fin de vie, l’approche collective et profondément éthique qui prévaut aujourd’hui règle son pas sur un impératif kantien irréductible : une action (ici, donner la mort) n’est morale que si elle est universalisable… Peut-être faut-il donc évoluer, et, selon la formule sartrienne, « se salir les mains » ?

François Galichet : Qu’est-ce que le fait de mourir délibérément change à notre rapport à la mort ? J’ai accompagné, dans le cadre de l’association Ultime Liberté, plusieurs personnes ayant décidé de quitter la vie pour des raisons graves et longuement réfléchies. Boire un verre de pentobarbital provoque un endormissement semblable à celui que nous connaissons chaque soir ; la mort survient ensuite sans signe de détresse respiratoire ou autre. Rien à voir avec les suicides violents, comme celui de l’écrivain Romain Gary (1914-1980) se tirant une balle dans la bouche, du philosophe Gilles Deleuze (1925-1995) se jetant de la fenêtre de son immeuble, ou de ceux qui se pendent ou se jettent sous un train.

Ce qui m’a particulièrement frappé, c’est le calme et la résolution au moment de boire la potion létale. La capacité de mourir paisiblement à son heure change profondément l’imaginaire de la mort. Habituellement, celle-ci est ressentie, peu ou prou, comme une violence qui peut nous tomber dessus à n’importe quel instant. En devenant non plus une fatalité mais une volonté, non plus un danger mais une capacité, la mort change de sens, elle devient une décision à prendre.

NB : Les membres de l’association Ultime liberté se procurent le pentobarbital à l’étranger. C’est pourtant le produit couramment utilisé en médecine vétérinaire pour l’euthanasie. Mais sa vente aux vétérinaires est hyperréglementée, bien plus que pour les opiacés.

Pour en savoir plus, Fin de vie et suicide, un débat actuel

4 réflexions sur “Fin de vie, ma mort m’appartient”

  1. Qu’on l’aime ou pas peu importe, écoutons ce qu’il dit. En nous rappelant qu’il ne faut pas tuer le messager. Et qu’on n’aille pas dire non plus que Houllebech n’a pas d’arguments.

    – Michel Houellebecq: «Une civilisation qui légalise l’euthanasie perd tout droit au respect»
    ( Le Figaro 05/04/2021 mis à jour le 13/09/2022 )

    – Houellebecq, le bluff euthanasique et sœur Morphine ( fr.aleteia.org 21/0/2021 )

  2. Toute vérité franchit trois étapes. D’abord elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant toujours été une évidence. » (
    Arthur Schopenhauer)
    « Soyez libres » de « vous émanciper des idées reçues, de dire vos doutes, vos désaccords, de partager vos expériences, de vous laisser convaincre, et bien sûr, surtout, de défendre vos opinions, vos convictions, dans le souci du bien commun. La décision médicale est évidemment centrale, mais elle n’est qu’un aspect du débat. La fin de vie, c’est aussi un enjeu d’humanité, une exigence d’anticipation, d’accompagnement, une éthique du soi » », a déclaré Elisabeth Borne, en ouvrant vendredi 9 décembre la convention citoyenne sur la fin de vie,

    1. Biosphère confond Arthur et Jean-Marie (une lanterne et une vessie) :
      – La fausse citation attribuée à Schopenhauer par Jean-Marie Bigard
      ( Le Monde 02 décembre 2020 )
      Par contre celle-là elle est bien de lui : « Cent fous mis en un tas ne font pas encore un homme raisonnable. » (Aphorismes sur la sagesse dans la vie)

    2. Ce passage du discours d’Elisabeth Borne peut sembler très joli, seulement il ne veut rien dire. Du blabla! Dans cette société où le «citoyen» est guidé, assisté, manipulé, endormi, contraint etc. de tous les côtés, comment déjà pourrait-il être réellement libre ? Et libre de quoi, de s’émanciper peut-être ? La bonne blague. Pas de se laisser convaincre tout de même, si ? Et con vaincre par qui, hein ?
      Et pourquoi alors nous parle-t-on d’intime conviction ?
      Les 150 membres de cette convention ne vont pas plancher à huis clos, comme aux Assises, ils seront donc soumis (entre autre) à la pression de l’extérieur, c’est à dire de l’Opinion. De plus ils savent très bien que leur «délibération» n’engage à pas grand chose, pour ne pas dire à rien. Alors en effet, ils sont libres. De participer ou pas à cette mascarade.

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