Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode sur ce blog biosphere tout au cours des mois de juillet et août.
Ma tentative d’écologiser la politique
Quelques idées générales : Si un ouvrier peut passer directement de la défense de son salaire à la lutte pour le progrès économique de l’humanité, il n’y a pas de solidarité de classe avec une nature de plus en plus extériorisée et artificialisée. Si l’individu participe facilement à la défense de son jardin contre l’implantation d’une bretelle d’autoroutes, il ne ressent pas du tout que la cause de ses problèmes réside dans l’existence de son garage. La prise de conscience de la nécessaire insertion des individus dans la Biosphère n’est pas « naturelle », comme il est aussi peu naturel que les individus décident « librement » du fonctionnement du marché. Toute réalité mentale résulte d’un apprentissage et la socialisation, aujourd’hui pervertie par le système techno-industriel, devrait rapidement remplacer l’économisme par le sentiment écologique. Contre une économie qui aliène et une technique qui asservit, les scientifiques, les politiques et les éducateurs doivent adopter un nouveau discours. Pas pour une transition écologique, mais pour une véritable rupture avec la société thermo-industrielle.
La Nature ne doit pas être ressentie comme extérieure, elle est notre milieu de vie sans lequel rien n’est durablement possible. C’est une disruption fondamentale avec ce que croient et disent les politiciens actuels. On ne naît pas écolo, on le devient. Que ce soit Nicolas Hulot ou Jean-Paul Besset. Ce dernier, anciennement trotskiste, héritier des lumières du Progrès pour débarrasser le monde du capital, des patrons et des petits livres rouges, avait remarqué que chaque fois qu’il quittait la ville, l’agitation, les bagnoles et qu’il venait s’asseoir sous un arbre, il respirait mieux, ça allait mieux. Il regardait les nuages, il écoutait le vent, la pluie, les insectes, il aimait gratter la terre, il se disait : « Voilà mes vraies richesses ! » (Comment ne plus être progressiste…sans devenir réactionnaire – Fayard, 2005)
Moi aussi je ne suis pas né écolo, mais ma propre démarche remonte à loin, il y a plus de cinquante ans. Assigné par ma naissance à la génération 1968, j’ai été lecteur assidu d’Hara-Kiri, formaté par le réalisme du slogan « élections, piège à cons »…. J’ai donc déchiré en deux ma carte d’électeur début 1970. Affichée sur les murs de ma faculté, elle y est restée l’année entière. La politique, un jeu de marionnettes dans les mains du marché et des lobbies, ce n’était pas pour moi. Le 15 Juin 1972, je découpe un entrefilet sur la conférence des nations unies sur l’environnement qui se tient à Stockholm. Mais je n’ai encore aucune idée de l’importance que prendra l’écologie politique. Le terme écologiste a fait son entrée dans le Petit Larousse en 1976 seulement ! La même année 1972, je lis le rapport du MIT sur les limites de la planète et les vertus de la croissance zéro. C’était prévu, c’était prouvé, l’amour de notre société marchande pour les exponentielles dans un monde fini faisait que nous allions droit dans le mur ; j’étais prêt à devenir militant. Lorsque René Dumont, poussé par des associations environnementalistes, s’est présenté à la présidentielle française de 1974 au nom de l’écologie, j’ai compris qu’un vote significatif pouvait enfin avoir lieu pour préparer un avenir moins perverti : nous allions manquer d’eau, les voitures allaient s’arrêter faute de pétrole, le nucléaire militaire et civil était le mal absolu. René parlait vrai. Il me fallait réagir, j’ai voté pour la première fois, j’avais 27 ans.
Depuis, j’ai toujours voté écolo au premier tour pour le ou la présidentiable écolo. Il n’est pas encore venu le temps où nous aurons un ou une président(e) écologiste, mais cela viendra. J’ai aussi voté chaque fois qu’il y avait une liste écolo, je ne pouvais voter que s’il y avait un candidat écolo. L’indifférence totale des partis politiques à l’égard de l’enjeu écologique continuait de me rebuter. J’avais gardé une méfiance viscérale envers des organismes « de pouvoir » qui ne voulaient toujours rien savoir du message de René Dumont : l’écologie scientifique est le rempart principal contre nos erreurs industrielles, agricoles, financières, et même contre la bêtise humaine. Reste donc à écologiser les politiques ! Mais, l’inertie sociale étant ce qu’elle est, l’écologie politique est restée minoritaire jusqu’à la fin du XXe siècle, en France et ailleurs. L’état de la planète a empiré, les prédictions de René se sont installés dans les faits, et même dans les journaux télévisés. Les sommets de Terre se sont succédé depuis 1972, rien n’a changé. Personne n’a entendu parler à l’époque du « sommet de la Terre » en 1982 , et même la grande kermesse de Rio en 1992 « sur l’environnement et le développement » n’a été que des mots. Il me fallait faire quelque chose… je me devais de m’engager personnellement en politique ! Alors va pour les Verts en 1997, qui disaient porter le message de l’écologie. J’ai abandonné la sphère échiquéenne pour le marigot politique, je n’étais pas préparé à cela.
Ma première réunion entre écolos m’a laissé un souvenir impérissable. Je n’y comprenais rien. Une vingtaine de personnes seulement, et je me perdais complètement entre les sous-tendances des différents courants. Un participant bien charitable et d’autant plus perspicace m’a expliqué en aparté. « Simplifions. Il y a les Verts rouges (communistes), les Verts noirs (anarchistes) et les Verts verts (fondamentalistes). A partir de cette trame, chacun brode à sa façon. » Comme j’enseignais professionnellement la sociologie politique, j’ai à peu près compris. Il y avait les marxistes derrière le drapeau rouge, mais qui avaient senti tourner le vent de l’histoire : la victoire du prolétariat ne pourrait pas se faire sur les décombres de la planète. Mais ils n’avaient aucun repère doctrinal en matière environnementale car Karl Marx considérait l’accumulation infinie du capital dans une biosphère aux ressources inépuisables : il vivait au XIXe siècle. Et puis il y avait les pseudo-anarchistes derrière leur drapeau noir. Pour les votes, les Verts noirs sont très forts : faut toujours s’exprimer contre le consensus qui se dessine. Et moi, et moi, et moi, vous m’avez oublié ? Dès qu’une tête dépasse, faut la couper. A désespérer du genre humain ! Pour ma part, je me sentais Verts vert, écologiste avant tout, plus que radical diraient certains.
Je n’ai pas mis très longtemps pour me rendre compte que mon orientation était et devait rester minoritaire. Dans un parti politique, et les Verts ne faisaient pas exception, ce qui compte c’est le pouvoir, la recherche du pouvoir, la contestation du pouvoir ou même le pouvoir pour le pouvoir. Humain, trop humain ! M’enfin, comme me l’avait enseigné René Dumont, notre tâche était bien là : écologiser les politiques et politiser les écologistes. Fallait que je m’accroche. Je suis resté chez les Verts jusqu’en 2002.
Assidu aux réunions, je me rendais utile chez les Verts, j’ai progressé dans la hiérarchie des responsabilités, j’ai été admis au bureau en Charente. Je garde en souvenir inoubliable d’un covoiturage avorté qui marque bien les difficultés de l’écologie politique. Pour ma première réunion « au sommet », un camarade-écolo devait me prendre. J’ai attendu mon conducteur-voiture, beaucoup attendu, il n’est jamais venu ! J’ai téléphoné. Il m’avait complètement oublié, il était presque arrivé au lieu de rendez-vous à quelques dizaines de kilomètres… j’ai du prendre une autre voiture. C’est à des détails comme celui-là qu’on ressent dans sa chair pourquoi l’écologie appliquée patine : personne ne veut vraiment appliquer pour lui-même les principes à la base des économies d’énergie. Cela n’a pas empêché mon étourdi de devenir Conseiller régional Vert…
Au niveau du groupe local des Verts, notre principal fait d’arme à Angoulême depuis 1997 était le prix Tournesol. Lors du festival international de la bande dessinée, un prix récompense l’album sensible aux problématiques écologiques… ou porteur de valeurs comme la justice sociale ou la défense des minorités. L’écologie n’attire pas encore les foules sur son seul nom, il faut introduire d’autres critères. Autre action : après moult discussions et création d’une association spécifique, une fête de l’écologie s’est installée dans le petit village de Nanclars le dernier week-end du mois de septembre. Première édition en 2002, au moment même où j’allais quitter les Verts. Tous ceux que l’écologie intéresse se retrouvaient : des ateliers pratiques, un espace débats, un marché de produits écolos, expos et coin mômes, etc. Personnellement je n’étais pas pour, cela accroissait les déplacements en voiture. L’idéal a du mal à se concilier avec les pratiques… régulièrement, j’y vais quand même faire un tour.
Aux journées d’été des Verts, dont je ne loupais aucun exemplaire, c’était la grande kermesse. Cela allait des groupes d’échange les plus sérieux, autour de l’espéranto, jusqu’aux plus farfelus comme celui qui rassemblait les transsexuels et autres divers genres, en passant par le groupe femme qui parle des femmes : chacun dans sa chapelle. Sans oublier les fumeurs de pétards qui utilisaient la moindre occasion pour faire parler de la dépénalisation du cannabis. Il est bien vrai que l’étiquette écolo regroupait surtout tous les survivants de la deuxième gauche, celles et ceux pour qui libéralisation des mœurs, féminisme, IVG, homosexualité, autogestion… restaient l’alpha et l’oméga de la revendication publique. Je n’étais pas contre, loin de là, je peux même ajouter entre autres à la liste « naturisme et nudisme », « pacifisme et non-violence ». Mais je pensais à juste raison que ces messages issus de mai 1968 étouffaient complètement ce que nous voulions faire passer : une planète sauvegardée pour nos descendants et toutes les autres espèces vivantes. Dominique Voynet concluait lors de ma dernière journée d’été verte en 2002 que ce n’était pas la peine de parler entre nous d’écologie puisque tout le monde était d’accord sur la question !? Elle faisait l’impasse sur nos manques.
J’étais accablé par les contradictions internes des Verts, par des statuts super-compliqués et d’autant plus inefficaces, souvent dénoncés mais jamais modifiés. J’étais aussi accablé par l’amateurisme de nos procédures et candidats. Aux primaires pour la présidentielle 2002, nous avions voté Lipietz contre Mamère, qui s’était révélé non médiatique et qui avait été destitué par un autre vote… et Mamère, malgré sa décision irrévocable de ne pas se présenter, a quand même obtenu plus de 5 % des voix à cette élection. Mais avant, j’avais voté pour voter, plusieurs fois à la suite, pour l’un, contre l’autre. J’étouffais, les Verts ne portaient pas vraiment l’idéal écologiste, mais un système embryonnaire de parti, un ramassis d’ambitions et beaucoup de gens qui ne faisaient que passer. Le turn over est intense ! (la suite, demain)
Si tu ne veux pas attendre la suite, à toi de choisir ton chapitre :
Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE
01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion
02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas
03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !
04. Premiers contacts avec l’écologie
05. Je deviens objecteur de conscience
06. Educateur, un rite de passage obligé
07. Insoumis… puis militaire !
08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales
09. Du féminisme à l’antispécisme
10. Avoir ou ne pas avoir des enfants
11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs
12. Ma tentative d’écologiser la politique
13. L’écologie passe aussi par l’électronique
14. Mon engagement associatif au service de la nature
15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience
16. Ma pratique de la simplicité volontaire
17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes
18. Techniques douces contre techniques dures
19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie
21. Ma philosophie : l’écologie profonde