Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode sur ce blog biosphere tout au cours des mois de juillet et août.

L’écologisme passe aussi par l’électronique

Quelques idées générales : Un clip de Volkswagen pour la Passat Bluemotion moquait l’illusoire « retour à la bougie », credo attribué à une communauté d’écologistes radicaux cherchant vainement à n’émettre aucun gramme de CO2. Dès que je critique la société des écrans sur mon blog, un commentateur exige que je n’utilise pas mon ordinateur ! Employons des arguments sérieux, ne nous envoyons pas des bougies et des pavés numériques à la figure. 

Internet est un moyen génial pour un militant comme moi de diffuser ses analyses. Mon bi-mensuel est envoyé à près de 3000 correspondants d’un simple clic. Mais cela ne peut m’empêcher d’écrire qu’Internet est un moyen technique qui n’existait pas autrefois, qui progresse fortement aujourd’hui et qui disparaîtra demain.

Une pensée personnelle ne porte pas très loin si tu n’essayes pas de la faire partager. J’ai commencé par écrire en 2001 un gros livre, plus de 500 pages, qui récapitulait la somme de mes connaissances économique, sociologique, politiques et bien sûr écologiques : Pour une biographie de l’humanité, journal d’un humain ordinaire. Suite à mon envoi, Yves Fremion commente ainsi mon manuscrit : « ça ne manque pas d’intérêt, mais quel pavé ! Se pose la question du but de cette entreprise : si ce n’est perçu que comme l’opinion d’un individu inconnu cela n’intéressera personne. » Il avait bien raison, aucune maison d’édition n’en a voulu en 2002… Les comités de lecture préfèrent sélectionner un gars déjà connu, même s’il n’a écrit qu’un navet sans importance. Seule la notoriété fait vendre dans notre culture de masse.

Je condense l’année suivant mon pavé sous la forme d’un Dictionnaire des apparences. Le bide à nouveau ! Je m’accroche, j’essaye de rebondir, de penser autrement. Notre époque facilite la circulation des idées grâce à Internet, cette formidable cyber-poubelle essayons ! Je ne connais rien à la création de site, j’en parle à un ex-collègue de lycée avec lequel je m’occupais des échecs. Pas écolo pour un sou, mais passionné d’informatique. Je lui envoie des textes et miracle ! Un jour, le 28 avril 2005, il me dit d’aller sur http://biosphere.ouvaton.org/. Mon site est créé, mes premiers articles y sont visibles.

J’ai commencé à le nourrir du contenu de mes fiches et de mes livres. J’ai réalisé que je n’avais plus besoin d’éditeur, j’étais devenu mon propre éditeur. Comme j’étais assez provocant, le titre de mon site est virulent : Biosphère nous dit : « décroissance humaine ». Plus fondamentalement ce site est une source de documentation, je n’oublie pas ma vocation de formateur : un lexique, beaucoup de résumés de livres, un billet quotidien d’analyse de l’actualité… Tous les jours, j’envoie un texte au concepteur du site, Daniel Lavie, qui le bascule sur Internet. Pour les grandes vacances, j’envoie 30 textes d’un seul coup, Daniel peut nourrir le site chaque jour pendant un mois. Mais toute collaboration a une fin. Difficile de rester sur la même longueur d’onde avec autrui. Nous mangions ensemble au restaurant, nous marchions ensemble, mais nos discussions tournaient en rond. Il ne croyait pas au déterminisme culturel, il ne croyait pas à l’écologie, il ne croyait pas au réchauffement climatique, il avait foi en la technique.

En mars 2010, c’est d’ailleurs la question de la technique qui va entraîner le divorce. Voici notre dernier échange par courriels interposés.

Lui : « Tu te souviens, comme moi, des débats stupides à propos de la calculatrice à l’école. D’après toi, les enfants ne sauront plus compter… les techniques graphiques de la division et de l’extraction de la racine carrée étaient défendues contre la nouvelle technologie. »

Moi : « La calculatrice a été la prémisse de  cette désorganisation mentale de la jeunesse qui pense que la machine peut réfléchir à sa place ; les jeunes ne savent plus faire une proportion par eux-mêmes. Quant aux racines carrées, combien d’élèves les utiliseront dans la vraie vie ? Ce que je sais, c’est que l’écran du portable est devenu une drogue dans les établissements scolaires et que le sms envoyé par le copain est devenu plus important que le discours du prof. Sans parler  des profs qu’on essaye de faire sortir de leurs gonds pour pouvoir les filmer et envoyer ça sur Internet. J’aurais beaucoup d’autres choses à dire sur l’intoxication par les écrans, mais il suffit de regarder ce que proposent les différentes chaînes de télé. etc. etc. »

Daniel Lavie s’est contenté de répondre : « Tu n’analyses rien.  Tu calcules avec une courte vue. Tes textes sont – et tu le sais – consternants. »

Peu de temps après cet échange, ce professeur de mathématique à la retraite a bousillé mon (notre) site, comme ça, sans m’avertir. Il en avait la clé en tant que webmaster, il a brutalement tout effacé sans m’en avertir. J’ai été obligé de tout recommencer à zéro ! C’est ainsi qu’agissent en général les technolâtres, par le refus de l’échange… ils sont tellement habitués à ce que la technique pense à leur place. Daniel ne relayait mon discours écolo que par amour pour la transcription Internet.

Un jeune qui savait maîtriser Joomla m’a reconstitué le site biosphere.ouvaton en modernisant la page d’accueil. Le site est devenu « réseau de documentation des écologistes activistes ». Mon réseau, que je gère tout seul, veut donner aux écologistes quelques moyens de comprendre et critiquer la société thermo-industrielle actuelle. Maintenant à la retraite, je peux continuer à former par Internet interposé ; ma vocation d’éducateur reste intacte. Grâce à mes archives sur mon ordinateur personnel, je peux reproduire la bibliothèque, le lexique, les repères de toutes sortes…qui existaient sur mon ancien site. J’ai transcris toutes les connaissances antérieures que j’avais accumulées, des centaines et des centaines de pages. Sauf que cette fois, c’est directement mes doigts qui alimentent le site. Je suis auteur et webmaster à la fois.

Une nouveauté en page d’accueil du site, une présentation des actions en cours que je reçois par courriel ; je relaye, comme si j’étais une agence de presse à moi tout seul. Mon positionnement est clair : « Dans notre réseau, il n’y a ni adhésion formelle, ni cotisation, ni leader ; ton anonymat sera préservé si tu le veux. Tu recevras tous les quinze jours. Nous t’accompagnons dans ta réflexion militante personnelle grâce aux informations contenues dans notre site que tu peux nourrir de tes connaissances (fiches de lecture, etc.) et de ton action. Nous ne soutenons aucun groupe, parti ou religion en particulier car seul importe pour nous la recherche de l’épanouissement de Soi avec et à travers celui des autres formes de vie sur Terre. Devant l’urgence écologique, l’important est d’agir chacun à notre échelle même si le résultat n’est pas garanti… Faites ce que vous devez faire, tel est le message principal à la base de notre réseau d’écologistes. »

J’envoie une synthèse bimensuelle à des centaines de correspondants, Biosphere-Info. Malgré tous mes efforts, les retours sont rares. Peu de personnes m’envoient des analyses et le réseau est très peu utilisé par les militants du parti EELV, Europe Ecologie Les Verts.

Les écologistes n’ont pas encore grand chose à dire. Moi, j’ai tant de choses à leur dire… (à suivre, demain)

Une vision d’ensemble de cette autobiographie :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père