Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode sur ce blog biosphere tout au cours des mois de juillet et août.
Quelques recettes de décroissance
Achim Steiner, directeur du Programme des Nations unies pour l’environnement depuis 2006, estime en 2009 que la crise offre l’occasion de décarboner l’économie : « Des études ont montré qu’un climatiseur standard en Floride émettait autant de CO2 qu’un Cambodgien pendant toute sa vie. Cette consommation-là, je ne peux la soutenir ». Il ajoute : « Notre objectif doit être de réduire notre empreinte écologique » Il prend comme exemple les Japonais qui envisagent une économie des 3R dans laquelle les matières premières sont utilisées en quantité « Réduite, Réutilisées ou Recyclées » (LE MONDE du 17 février 2009).
Mais les R peuvent être innombrables. Dans Petit traité de la décroissance sereine (2007), Serge Latouche présentait déjà un programme en 5R pour les pays du Sud (Rompre, Renouer, Retrouver, Réintroduire, Récupérer) comme remède à la destruction de l’identité, des savoirs et des savoir-faire des sociétés vernaculaires. Pour le Nord, il en arrivait à un changement de cap basé sur les 8R : Réévaluer, Reconceptualiser, Restructurer, Redistribuer, Relocaliser, Réduire, Réutiliser, Recycler. Ces huit objectifs interdépendants sont susceptibles d’enclencher un vertueux de décroissance sereine, conviviale et soutenable. Mais on pourrait allonger la liste des R avec radicaliser, reconvertir, redéfinir, redimensionner, remodeler, repenser, etc. Tous ces R participent tout autant de la révolution que du retour en arrière, du changement radicale de direction que de la répétition.
En fait tous ces R sont une saine réaction face à la démesure de la société thermo-industrielle, basée sur les « SUR » : suractivité, surdéveloppement, surproduction, surabondance, surpêche, surpâturage, surconsommation, suremballage, surcommunication, surmédicalisation, surendettement, suréquipement… (cf. Jean Paul Besset, Comment ne plus être progressiste…sans devenir réactionnaire, Fayard 2005). Vive les « R »… Dans un contexte de pénurie globale des ressources naturelles, l’avenir n’est plus dans l’expansion, mais dans son inverse. On peut aller encore plus loin dans le Renoncement.
A la croissance économique sans avenir doit succéder la décroissance conviviale, à l’effet rebond l’effet débond, à la militarisation la démilitarisation, à la mondialisation la démondialisation, à la pollution des sols et des esprits la dépollution, au populationnisme la dépopulation, à l’urbanisation la désurbanisation, à la voiture pour tous le dévoiturage. C’est l’avènement des « Dé– » dont je suis devenu un adepte convaincu sur mon blog biosphere.
Le discours de la classe politique est comme à son habitude en complet décalage avec ce qu’il faudrait vraiment. Pourtant, qu’on le veuille ou non, il faudra bien un jour sortir du culte de la croissance, toujours plus de bagnoles, toujours plus d’avions, toujours plus de yachts, travailler toujours plus pour gagner toujours plus (parfois !). L’utopie socialiste d’une promesse de prospérité partagée est derrière nous car il existe une contradiction fondamentale entre la réalité des limites de la biosphère et le goût du « progrès » sans limites des croissancistes, secte à laquelle appartient la gauche en général et le PS en particulier. Un programme politique pour la présidentielle 2012 devrait combattre âprement les inégalités intra- et internationales tout en prêchant ardemment la sobriété et le rationnement, particulièrement dans les sociétés riches. Il n’en est rien. J’ai écrit cette chronique d’abonné sur lemonde.fr :
La candidate de l’écologie Eva Joly a présenté samedi 11 février son projet pour l’élection présidentielle. Si elle reprend l’idée d’une transition écologique, on ne peut pas dire que les remèdes préconisés sont à la mesure de l’urgence : « 160 000 logements sociaux, moratoire sur les augmentations de loyer, économie verte créatrice d’un million d’emplois, retraite à 60 ans sans décote, augmentation de 50 % de tous les minima sociaux… » Eva Joly fait surtout du social, pas tellement de l’écologie.
Quel devrait être son programme ?
Ce programme serait conforme à ce qu’on peut attendre d’un état de guerre. Il y a un exemple historique. Après Pearl Harbour, le président Roosevelt annonce le 6 janvier 1942 un arrêt de la production de voitures qui durera jusqu’à la fin 1944. La vente de véhicules à usage privé a été interdite, ainsi que la conduite de loisir. La construction de maisons et d’autoroutes a été stoppée. Les gens se sont rapidement mis à recycler tout ce qui pouvait l’être, avant de se lancer dans l’autoproduction alimentaire dans les « jardins de la victoire ». Aujourd’hui ce n’est pas la guerre entre humains, mais entre les humains et la planète. Voici une version moderne du plan Roosevelt que nous avons adapté à l’état d’urgence écologique actuel en 2012:
1) sur l’alimentation : inutile de parler de souveraineté alimentaire tant que la nourriture sera issue de l’agroalimentaire mondialisé. Au-delà des objectifs nationaux d’une agriculture bio, le gouvernement soutiendra toutes les tentatives décentralisées d’autonomie agricole, circuits courts, AMAP (association pour le maintien d’une agriculture paysanne), jardins partagés, reconstitution des ceintures maraîchères… Le régime excessivement carné sera modifié. Le lundi végétarien sera imposé dans la restauration collective. La taxe carbone, une des principales mesures mises en place dans le premier budget de notre quinquennat, portera aussi sur les émissions de gaz à effet de serre de l’élevage.
Nous allons promouvoir dans chaque commune et dans chaque territoire la constitution de communautés de résilience. Il s’agit de constituer au niveau local un plan de descente énergétique qui permette de résister aux chocs provoqués par les jumeaux de l’hydrocarbure, le pic pétrolier et le réchauffement climatique. Il s’agit de promouvoir la transition entre une époque d’énergie non renouvelable gaspillée en moins de deux siècles seulement et une période durable où les seules énergies utilisées seront renouvelables.
2) sur les déplacements : inutile de parler de transports en commun tant que la voiture individuelle est généralisée. Notre objectif est d’éradiquer la voiture dans les dix ans qui viennent. Nous promulguerons des mesures progressives qui incitera homo mobilis à changer rapidement de comportement. Dans un premier temps, obligation de ne fabriquer et vendre que des voitures de petite cylindrée. La vitesse de circulation baissera de 10 km/h fin 2012, puis par tranche similaire les années suivantes. La circulation « seul au volant » sera interdite, le covoiturage devenant une pratique généralisée.
Il est bien évident que les quads, bateaux de plaisance à moteurs et autres gadgets motorisés seront interdits de circulation avant 2015. Le moyen idéal de déplacements est la marche et le vélo, la rame et la voile.
3) sur l’habitat : inutile de parler de logements sociaux tant que l’emploi n’est pas fourni en même temps. La population doit apprendre à partager l’espace et l’emploi. Dès le débat du quinquennat, aucun étalement urbain ne sera toléré. Nous devrons nous habituer à des logements moins grands et plus faciles à chauffer. Les grands appartements seront divisés, les résidences secondaires réquisitionnées.
Notre crise économique est structurelle, cachée à l’heure actuelle par le surendettement qui a permis une surconsommation. Une politique de vérité doit dire qu’une grande partie des emplois sont inutiles, parasitaires, voués à disparaître dès l’apparition d’une récession durable. Le nombre d’heures de travail sera revu à la baisse entreprise par entreprise. Il faudra accepter de gagner moins, le niveau de vie moyen en France est largement au-dessus des possibilités de la planète. Les métiers de proximité, la paysannerie et l’artisanat seront les piliers de la société de demain. Etc., etc.
Les Khmers verts au pouvoir ? Non, notre programme est conforme à l’état d’urgence que les écolosceptiques en général et les climatosceptiques en particulier ont préparé par leurs agissements, niant la réalité de la crise écologique. Notre programme explicite clairement une réalité incontournable : nous avons dépassé les limites de la planète et nous avons formaté la population à oublier le sens des limites. La taxe carbone généralisée sera un moyen de retrouver la vérité des prix. La suppression immédiate de toute publicité permettra de redéfinir la réalité de nos besoins.
Un programme politique écologiquement cohérent devrait annoncer la suppression de la publicité. Très tôt, il y a longtemps, je me suis aperçu du matraquage marchand que nous commencions à subir. C’est en juin 1970 que je découvre avec Paul Ehrlich l’influence pernicieuse de la publicité : « On exagère à peine en disant que la publicité vise en premier lieu à créer des besoins irrationnels. Son but secondaire est de supprimer la compétition qualitative en créant des différences illusoires entre produits identiques. Sous l’influence de l’industrie, la publicité a convaincu les Etats-Unis que l’automobile n’était pas un engin de transport mais une espèce de totem sexuel, que le pain blanc est enrichi alors que presque tous les éléments nutritifs ont été enlevés… Le travail aux USA est à 60 % inutile. »
Selon Bilderbach, 18 % du travail américain entre 1960 et 1970 a été consacré à payer les intérêts des achats à crédit, ce qui met l’absurdité à son comble. En effet ce surcroît de travail aboutit à un surplus de production qu’il faudra ensuite éponger et pour cela solliciter le public à acheter encore plus et à s’endetter davantage ! Le marché est livré au seul déterminisme de ses lois propres, la qualité de la vie baisse à mesure que le PNB augmente. Pourtant, pendant mes quatre années en face de sciences économiques de 1967 à 1971, jamais cette problématique n’a été abordée.
Nous sommes en 2023 et les mass media fonctionnent encore et toujours avec l’argent de la publicité, obligés de créer de toutes pièces un univers illusoire peuplé de mythes aussi dispendieux que nuisibles : encore plus de voitures, encore plus de parfums, encore plus de fringues, encore plus de marques, encore plus de vitesse, encore plus de tourisme, toujours plus de superficiel. La croissance est une absurdité. Je refuse cette absurdité. (la suite, demain)
Une vision d’ensemble de cette autobiographie :
Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE
01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion
02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas
03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !
04. Premiers contacts avec l’écologie
05. Je deviens objecteur de conscience
06. Educateur, un rite de passage obligé
07. Insoumis… puis militaire !
08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales
09. Du féminisme à l’antispécisme
10. Avoir ou ne pas avoir des enfants
11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs
12. Ma tentative d’écologiser la politique
13. L’écologie passe aussi par l’électronique
14. Mon engagement associatif au service de la nature
15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience
16. Ma pratique de la simplicité volontaire
17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes
18. Techniques douces contre techniques dures
19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie
21. Ma philosophie : l’écologie profonde