Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode sur ce blog biosphere tout au cours des mois de juillet et août.

Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

Quelques idées générales : Normalement unis par l’écologie, nous devrions avoir un discours plus cohérent. Normalement ! Mais il a autant de perceptions de notre rapport à la nature qu’il y a d’environnementalistes. A plus forte raison quand on est journaliste. J’ai terminé ainsi sur mon blog biosphere une étude sur le traitement de la question environnementale par le quotidien LE MONDE  : « La crise écologique qui nous menace ne sera bien traitée médiatiquement que dans la mesure où les contraintes réelles ou imaginaires de l’économie ne pèseront plus sur le contenu des articles des journalistes. Mais comme il faut préserver les convenances et les recettes publicitaires, les articles du MONDE cultive encore la croissance, le tout automobile et les néfastes futilités. La déformation de l’information tient aussi à la présentation systématique des différents points de vue, ce qui entraîne l’incapacité du lecteur à juger du fond quand il n’a pas de lunettes théoriques préalables. Il existe enfin une contradiction flagrante entre certains journalistes, majoritaires, qui fondent leur optimisme sur les acquis du demi-siècle écoulé, et une infime minorité qui craint, avec raison, celui qui vient. »

Difficile d’être journaliste engagé dans la presse ordinaire. Aussi je ne suis devenu qu’à l’âge de la retraite journaliste-écrivain pour la nature et l’écologie, membre de l’association JNE…

Septembre 2008. Maintenant à la retraite, j’ai le temps de m’occuper d’écologie sept jours sur sept, mon blog, mon site, mes activités politiques. Dans le cadre de la commission environnement du parti socialiste, j’ai organisé dans les locaux de l’assemblée nationale un colloque sur le pic pétrolier le 25 janvier 2011. Quelques jours auparavant, Alain Hervé que je ne connaissais pas me téléphone pour me rencontrer à cette occasion… nous nous retrouvons dans un petit bistrot près de Notre Dame le lendemain du colloque. Extraordinaire, nous sommes toujours sur la même longueur d’onde. Alain Hervé, né en 1932, est un historique de l’écologie. Il fonde les Amis de la Terre en 1970, dirige le hors-série du Nouvel Observateur en 1972 : « La dernière chance de la Terre » que j’avais lu à l’époque. À partir de 1973, il fonde le mensuel écologique Le Sauvage. Lors de la candidature de René Dumont à la Présidence de la République en 1974, il est responsable du bureau de presse.

Il avait souffert de l’environnement urbain, j’avais vécu jusqu’à ma vie active dans une chambre de centre-ville, les fenêtres des voisins à cinq mètres des miennes. Il ne croit pas du tout au progrès technique qui a entraîné cet âge industriel qui sévit sur notre planète et la ravage. Je ne peux qu’être d’accord. Il estime que nous sommes tous écologistes, car nous n’avons pas le choix, nous devons tous respirer, déféquer. C’est une évidence. C’est beaucoup plus qu’une approche de droite ou de gauche que nos partageons, il s’agit d’une vision globale de l’univers auquel nous sommes confrontés. Nous sommes tous les deux conscients des limites de la planète. Il nous faut donc observer, comprendre et se conformer aux lois de la nature. C’est l’accord parfait entre nous !

Au cours de notre conversation, Alain Hervé me propose de devenir membre des JNE, association des journalistes-écrivains pour la nature et l’écologie. Il me parraine, il me trouvera un autre parrain en la personne de Laurent Samuel. Mes écrits de référence, c’est le contenu de mon blog à l’époque hébergé par le serveur du monde.fr. JNE est en train de s’ouvrir aux blogueurs. Je suis donc accepté. Mon rêve de jeunesse, devenir journaliste, devient réalité, je suis officiellement passeur de connaissances ! Je produis mon premier article de journaliste JNE après l’AG de Cassis en juin 2011 :

« Tout juste admis au sein de JNE, je fais le long voyage qui me mène d’Angoulême à la méditerranée. Je suis arrivé à Cassis le vendredi à six heures du matin, dans une gare excentrée qui montrait déjà l’isolement du bourg. En arrivant à pied dans la baie, pratiquement une seule route pour accéder à la ville, une seule pour en repartir : la voiture ne peut pas imposer sa loi dans un lieu si étroit. Je fus réconforté par l’étroitesse ancestrale des ruelles qui se protègent des voitures. Mais autour du port, centre névralgique de Cassis, je fus abasourdi par la succession interrompue des restaurants qui encerclaient la mer. Le touriste arrive partout en masse dès qu’il y a quelque chose à voir des restes de la nature. Les innombrables bateaux de plaisance rendaient invisibles les rares bateaux de pêche. Mais laissons cela pour l’instant, j’ai passé un WE splendide avec mes nouveaux camarades de la JNE.

La thématique était prenante, comment protéger les Calanques, comment sauver les baleines, comment se sentir uni avec la nature… L’organisation était parfaite : conférence-débat sur le projet de parc national, exposé sur les ferries vers la Corse qui font des victimes parmi les cétacés, PowerPoint sur la récupération des déchets… Bien entendu tous les repas étaient bios et végétariens, nous avons mangé collectif et pensé écologique. Nous nous sommes naturellement déchaussés à l’entrée de la salle de réunion, nous avons écouté dans le recueillement un son et lumière sur les mammifères de la mer en péril, nous avons religieusement respecté une minute de silence pour les dauphins. Dans les conversations privées, les divergences pouvaient s’exprimer en toute confiance, échec ou succès du Grenelle de l’environnement, pro ou anti-Hulot, ramasser les déchets ou faire du commerce avec, observer les éléphants en Afrique ou lutter contre le tourisme dans les calanques. Mais en filigrane de ce WE de loisirs et de réflexion, une opposition entre nous qui devrait se durcir dans les décennies à venir. D’un côté l’écologie superficielle, réparatrice, naturaliste et pleine de compromis. De l’autre une écologie plus profonde, axées sur la rupture des comportements, un ressourcement spirituel, le combat pour la Terre-mère genre Earth First!.

Appliquons ma grille de lecture, fondamentaliste, à la protection de la nature à Cassis. Le parc naturel des Calanques voudrait s’étendre de la banlieue de Marseille à la Ciotat en passant par ici. Remarquons l’impuissance des procédures démocratiques à arriver à un consensus acceptable : plusieurs années de discussion pour préparer son extension officielle, et rien ne vient. On en arrive à espérer la toute puissance de la décision étatique. Il y a la méfiance de la bourgeoisie locale qui décrète que l’UICN voudrait imposer ses diktats à Cassis. Il y a les pêcheurs qui veulent pécher en tout temps et en tous lieux. Il y a les cabanons au bord de l’eau qui se transmettent de père en fils et qu’on ne voudrait pas voir disparaître. Il y a les viticulteurs qui ne savent toujours pas à quelle sauce bureaucratique ils vont être mangés. Il y a les prérogatives empilées, croisées et emmêlées des communes, du conseil général et du conservatoire du littoral. Il y a les amateurs de varappe qui veulent continuer à grimper en dehors de la foule. Il y a France Nature Environnement qui se débat au milieu de tout ça. Alors, un parc naturel, avec ou contre les hommes ?

Prenons une première expérience, éprouvante pour moi, le promène-couillons. Il s’agissait d’entrer dans un bateau de promenade pour faire le tour des Calanques à défaut de voir des dauphins vu le vent soudain. Mais la découverte de la nature accompagnée par le bruit incessant d’un moteur ne pouvait rien me dire de la nature. Je pouvais regarder les falaises de calcaire et les embruns sur notre proue, je ne sentais ni le rocher, ni la mer, je me contentais de compatir envers ceux qui ont eu le mal de mer. Retour au port où les humains regardent des humains, nous sur le pont et les badauds au bar. Ce n’est pas ainsi que je vois un parc national. La nature se mérite.

Non au tourisme de masse qui s’accapare le port, ses falaises et ses habitants. Non à un parc naturel qui ressemblerait au zoo, qui empêcherait de vouloir la nature au plus près de son domicile. La nature et les hommes ne sont pas contradictoires, mais nous faisons comme si… il devait en être toujours ainsi : nature-spectacle, nature-payante, nature cadenassée, nature en définitive étrangère à notre être profond. Oui au parc naturel, mais pour ses autochtones, les pêcheurs professionnels, les vignerons à label bio, les artisans et les petits commerçants. Oui au parc naturel pour les voyageurs à pied ou en vélo, qui prennent le temps d’arriver sur les calanques, qui mangent avec l’habitant, qui savourent lentement le lieu et instaurent durablement des liens. C’est ainsi que je vois la nature et les hommes. »

A Cassis, j’ai partagé ma chambrée avec Roger Cans. Grâce à nos longues discussions, j’ai pu mettre sur pied mon premier article d’envergure. Roger m’a donné l’adresse Internet de Marc Ambroise-Rendu, je connaissais déjà Hervé Kempf, j’avais donc le point de vue des trois journalistes que se sont succédés sous la rubrique environnement du quotidien LE MONDE. Je pouvais brosser un historique de la sensibilité écologique de ce média. Avant 1971-1972, c’est le mépris et la désinvolture. Dans les années 1970, une bonne mobilisation des associations environnementalistes mobilise la presse et incite à la création de périodiques comme la Gueule Ouverte ou Le Sauvage ; l’écologie politique devient aussi une réalité. Mais les années 1980 sont un éteignoir sous l’effet conjugué de la victoire en France du socialisme productiviste (Mitterrand, 1981) et du triomphe de la mondialisation libérale avec Reagan et Thatcher. Ce n’est que très récemment que l’écologie refait surface grâce à la popularisation du réchauffement climatique et les succès électoraux des écologistes. Mon article est passé en cinq épisodes dans les chroniques d’abonnés du monde.fr, nous n’avions pas droit à plus de 5000 caractères par article ! (la suite, demain)

Une vision d’ensemble de cette autobiographie :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père

8 réflexions sur “Fragments de vie, fragment de Terre (suite)”

  1. – « Difficile d’être journaliste engagé dans la presse ordinaire. »

    En fait ça dépend du type d’engagement. S’il ne s’agit que de ramer dans le sens du courant, de ne pas contrarier l’ordre des choses, de s’appliquer à ce que le journal en question se vende bien etc. alors le métier de journaliste n’est pas plus difficile que n’importe quel autre.
    Il se résume alors à ces quelques principes qui nous sont inculqués dès la maternelle, et qui s’appliquent à toutes nos activités, et tous les moments de nos vies :
    – « Tiens-toi droit, écoute ton maître, finis ton assiette, finis tes études, va travailler, fonde une famille, trouve une bonne école pour tes enfants, suis la mode, ne rentre pas trop tard, agis normalement, pense modérément, traverse dans les clous, arrête de vieillir, regarde la télé, achète un appartement, mets de côté pour tes vieux jours … [etc.] »
    ( à suivre )

    1. Tout le monde sait que la presse «ordinaire» (les meRdias) est au service du Système.
      Et qu’en plus elle est entre les mains de ceux qui gouvernent le monde.
      L’autre presse, les autres médias, comme toutes les organisations (associations etc.) qui tiennent un discours différent, parfois radicalement opposés à celui de la Voix de son Maître, existent d’abord pour entretenir un semblant de liberté, pluralité, démocratie etc.
      La contestation se doit bien évidemment de rester politiquement correcte, de jouer le Jeu et de ne pas déranger l’Ordre Etabli. Sinon c’est la censure, la disqualification de mille façons, la criminalisation, la dissolution etc. ( à suivre )

      1. Ceux qui ont essayé de changer la ligne d’un parti (politique) depuis l’intérieur le savent mieux que personne. Croire qu’on pourrait changer le monde en infiltrant les organes du Système relève de la naïveté. C’est comme vouloir gagner à un jeu pipé, comme vouloir changer un percheron en cheval de course etc.
        Seulement comme il nous faut bien FAIRE quelque chose, en attendant… et tant qu’à le faire autant le faire bien… alors chacun s’arrangera pour se faire croire qu’en fin de comptes il aura fait de son mieux. Qu’au moins il aura essayé, ou quelque chose comme ça. En attendant, moi je pense que le monde change par la force des choses. Par hasard et nécessité. Et que tout ça prend du temps.

        1. Michel C. : « je pense que le monde change par la force des choses. Par hasard et nécessité. »
          Michel Sourrouille : « Malthus a été, d’une certaine manière, un précurseur de Marx. Ils font tous deux une tentative d’expliquer de façon systémique toute l’évolution socio-économique par le « matérialisme historique ». Pour Marx il s’agit de l’infrastructure industrielle et culturelle, à l’origine de l’accumulation du capital. Pour Malthus il s’agit de l’infrastructure naturelle (permettant la production alimentaire) et de l’infrastructure socio-culturelle (déterminant la fécondité)… »
          La « force des choses », ce serait le poids des contraintes biophysiques… dont un processus d’aveuglément nous empêcherait de prendre conscience !

      2. Michel C. : « je pense que le monde change par la force des choses. Par hasard et nécessité. »

        Le monde change ? Ça dépend de ce que tu entends par monde ? S’il s’agit de l’environnement, oui il a beaucoup changé puisque nous l’avons modifié en artificialisant les sols de manière plus ou moins irréversibles. S’il s’agit des ressources naturelles, alors oui elles changent aussi, en se réduisant en disponibilité, puisque notre chère Gaïa en a fourni un budget limité et défini une bonne fois pour toute ! (à l’exception peut être de météorites en guise de prime, mais ça reste bien maigre en comparaison de notre voracité) Mais si tu veux parler des gens, non ils ne changent pas, ils ne changent jamais, ils tirent toujours la corde vers eux pour obtenir toujours plus de biens et services, plus de ressources, et ils sont prêts à tout pour y parvenir, y compris tuer ! Des siècles et même des millénaires d’histoire de notre espèce le prouvent !

      3. Ensuite si tu crois comme bon nombre de socialo-communistes que les choses changent toujours dans le bon sens sans travailler, juste en attendant que tout tombe du ciel alors là tu te fourres le doigt dans l’œil ! Les choses changent autour de l’homme surtout par l’activité humaine tant cérébrale que physique ! Enfin si tu penses que le monde va changer par la force des choses en pensant que le monde est démographique et que des humains vont mourir en masse par tarissement des ressources comme force des choses, alors ça sera un début de lucidité !

      4. @ Biosphère : Pour moi la force des choses (« force des choses », Force des Choses) est cette nécessité, qui agit évidemment dans le cadre des contraintes biophysiques (qui sont ce qu’elles sont : gravité etc.) mais également et surtout par hasard. Si l’évolution du monde du vivant n’est que le résultat du hasard et de la nécessité (Jacques Monod)… pour moi c’est la même chose en ce qui concerne le monde des idées.

        @ BGA : Bien sûr que le monde change ! T’en connais Toi des choses qui ne changent pas ? À part ton aptitude à évoluer bien sûr.

      5. @ Michel C
        En tout cas si les choses changent, ce n’est certainement pas lié à ton activité (inexistante à vrai dire) puisque ta philosophie préférée est le droit à la paresse !

Les commentaires sont fermés.