François Hollande fait joujou avec la bombe nucléaire

François Hollande a réaffirmé le 19 février la doctrine française en matière de dissuasion nucléaire de la façon la plus orthodoxe qui soit. Or nombre d’experts jugent l’arme nucléaire obsolète et coûteuse : les engagements stratégiques de la France en ce début de XXIe siècle n’ont plus rien à voir avec la guerre froide. Pourtant l’éditorial du MONDE* semble conclure en faveur du nucléaire militaire : « La pédagogie sur le sens tragique de l’Histoire (La réapparition d’une menace étatique majeure pour notre pays ne peut être exclue) est d’autant plus nécessaire que l’Europe choisit, bizarrement, dans le chaos de l’époque, la voie du désarmement unilatéral. » Voyons ce que nous pourrions répondre aux justificatifs du Président de la République**.

François Hollande : « Dans le domaine du nucléaire militaire, de nouvelles puissances sont apparues ces vingt dernières années. La Corée du Nord a réalisé un troisième essai nucléaire il y a deux ans. C’est aussi inacceptable qu’inquiétant. D’autres cherchent à émerger… »
Biosphere : D’autres pays font ou veulent faire comme la France ! Pas étonnant du tout, l’imitation est le propre de l’homme, pour le meilleur et pour le pire. Il ne faudrait donc pas montrer le mauvais exemple. Car s’il est « inacceptable et inquiétant » pour François Hollande qu’un pays possède la bombe atomique, pourquoi la France ne serait-elle pas aussi dans l’ordre de l’inacceptable et de l’inquiétant ? En fait Fraise des Bois ne réfléchit pas, il fait comme ses prédécesseurs à la présidence, nucléocrates par habitude depuis de Gaulle.
François Hollande : « Des arsenaux tactiques se renforcent, qui laissent craindre un abaissement du seuil d’emploi de l’arme nucléaire… Le contexte international n’autorise aucune faiblesse. Et c’est pourquoi, le temps de la dissuasion nucléaire n’est pas dépassé… En raison des effets dévastateurs de l’arme nucléaire, elle n’a pas sa place dans le cadre d’une stratégie offensive, elle n’est conçue que dans une stratégie défensive… L’emploi de l’arme nucléaire n’est concevable que dans des circonstances extrêmes de légitime défense. »
Biosphere : La contradiction est manifeste entre l’utilisation de l’arme nucléaire « dans des conditions extrêmes » et l’« abaissement du seuil d’emploi ». Or le feu nucléaire peut être utilisé par un président de la République immédiatement et sans délibération préalable. Le pouvoir donné à un seul homme d’utiliser une arme de destruction massive est un déni de la démocratie. La bombe est l’aboutissement ultime de l’évolution technique qui dépossède les humains de leur autonomie. De plus, force de frappe dite « dissuasive », cette bombe est uniquement un moyen d’agression, pire, elle est destinées aux populations civiles ; ce qui devrait poser un problème de conscience aux militaires eux-mêmes. Enfin la bombe atomique est l’arme ignoble par définition puisque sans parade. Si la légitimité de la lutte, c’est la défense, alors l’arme absolue qui s’impose sans protection possible est absolument mauvaise. Exterminer l’ennemi de façon massive, de loin et sans même l’avoir vu, adultes et enfants indistinctement, c’est le contraire de toute guerre juste, de tout honneur et de toute gloire. La possession de l’arme nucléaire par la France devrait entraîner une réprobation unanime des Français.
François Hollande : « La France sait qu’il ne suffit pas de proclamer le désarmement nucléaire immédiat et total, il faut que la réalité des actes de chacun soit cohérente avec les discours. »
Biosphere : L’assurance-vie d’une nation ne peut reposer sur des armes de destruction massive, seulement sur la volonté de tout un peuple à rejeter toute dictature sur les corps et les esprits, qu’elle vienne de l’intérieur ou de l’extérieur. Ce n’est pas en éliminant à l’aveugle un adversaire qu’on donne le bon exemple de la sagesse, mais en oeuvrant à la paix mondiale, en partageant ses propres richesses, en montrant qu’on soutient la solidarité entre les peuples, qu’il soit en Europe, au Tibet ou ailleurs. La dissuasion nucléaire est un résidu sinistre de la guerre froide dans un monde globalement sécurisé. Nous savons que les véritables menaces ne sont plus d’ordre géopolitique, mais écologique : elles portent pour nom pic pétrolier, réchauffement climatique, épuisement des ressources naturelles
François Hollande : « L’intégrité de notre territoire, la sauvegarde de notre population constituent le cœur de nos intérêts vitaux. Quels que soient les moyens employés par l’adversaire étatique nous devons préserver la capacité de notre nation à vivre… Je réaffirme solennellement que la France n’utilisera pas d’armes nucléaires contre les Etats non dotés de l’arme nucléaire. »
Biosphere : Il parait qu’il nous faut défendre des intérêts vitaux, non définis par ailleurs, contre une menace strictement potentielle avec un très très gros bâton, « limité » à 300 têtes nucléaires. Le paradoxe, c’est que l’usage de l’arme nucléaire contre, normalement, une autre puissance nucléaire entraînerait la destruction et l’irradiation d’une bonne partie du territoire français en guise de représailles. Cette stratégie est incompréhensible pour le commun des mortels, ce n’est pas ainsi qu’on « sauvegarde notre population ».
François Hollande : « La dissuasion s’exerce en permanence… Pour assurer cette permanence, il fallait que nous les adaptions continûment, en capacité comme en volume, à l’évolution des menaces qui pouvaient viser notre Nation… La loi de programmation militaire nous permet de lancer les études de conception du SNLE de troisième génération… Les technologies les plus exigeantes seront mises en œuvre pour, en particulier, être encore plus efficaces dans les domaines de la vitesse des matériaux et de la furtivité »
Biosphere : il faut un renversement complet des représentations dominantes sur la fuite en avant technologique. Le désarmement dans tous les sens du terme et dans tous les domaines, de l’arme nucléaire à l’informatisation généralisée des relations humaines en passant par le génie génétique, est nécessaire. Nous devons ralentir et freiner l’innovation technologique galopante, source de bouleversements permanents de notre vie quotidienne, introduire de la détente dans nos activités professionnelles et de loisirs, simplifier notre environnement, en un mot, il s’agit de dégonfler l’hybris (la démesure) de l’homme moderne. Pourquoi des portables de nème génération, pourquoi des SNLE (sous-marin nucléaire lanceur d’engins) de troisième génération ? Pour rien de bien.
François Hollande : « La dissuasion nucléaire est complémentaire de nos moyens conventionnels et elle exerce un effet d’entraînement sur l’ensemble de notre appareil de défense… Ainsi, certains moyens qui concourent à la dissuasion sont directement utilisés pour nos opérations conventionnelles ou classiques… Je pense aux chasseurs de mines… La dissuasion stimule nos efforts de recherche et de développement et contribue à l’excellence et à la compétitivité de notre industrie. »
Biosphere : Cette position est caractéristique d’une mentalité qui repose sur les idées d’efficacité économique et de concurrence. Il n’y a rien de bien moral là-dedans. Il est vrai qu’il n’y a plus d’opposition officielle à la bombe ; en 1983, le mouvement pour une alternative non violente (MAN) lançait une campagne d’auto-réduction de l’impôt de 3 % – l’équivalent de la part du budget de la défense nationale consacrée à l’arme atomique – pour protester contre la construction d’un septième sous-marin nucléaire lanceur d’engins. Depuis, plus rien ou presque. Nous souhaitons que l’écologie politique devienne ce qu’elle devrait être, pacifiste, pour la coopération et l’empathie mondialisée, et non pour la concurrence économique et militaire entre les peuples.
François Hollande : « Je partage l’objectif, à terme, de l’élimination totale des armes nucléaires, mais j’ajoute : quand le contexte stratégique le permettra… Si les niveaux des autres arsenaux, notamment russes et américains, devaient un jour descendre à quelques centaines, la France en tirerait des conséquences… Mais nous en sommes loin encore aujourd’hui. »
Biosphere : La candidate EELV Eva Joly confirmait le 30 juin 2011 à la radio son statut de présidentiable orthodoxe : « Pas de sortie unilatérale de la dissuasion nucléaire. » Ainsi Eva restait bien en retrait des pensées des historiques des Verts. Dans le programme du premier candidat écologiste René Dumont pour les Présidentielles de 1974, il était écrit : « Nous refusons de continuer à faire des bombes atomiques et à gaspiller la majorité des chercheurs en recherche militaire. » Aujourd’hui des écologistes restent sur cette position pacifiste. Marie-Christine Blandin : « L’arme nucléaire transcende toutes les autres en ce qu’elle a de puissant et de définitif. Alors oui, il est du devoir de chacun de s’engager pour un désarmement nucléaire unilatéral. L’alibi de l’attente d’une grande décision unilatérale n’a que trop duré. Les signataires du Traité de non-prolifération ne sont pas audibles quand ils prêchent pour les autres l’évitement d’une menace qu’ils gardent par-devers eux. Ils ne sont pas crédibles quand ils mandatent l’AIEA pour veiller à ce qu’aucune entreprise illicite n’émerge sur la planète, alors qu’ils ne se font pas inspecter. Ni naïve, ni suicidaire, je fais le pari de la raison et de l’humain en soutenant le désarmement unilatéral. » Dominique Voynet : « Le nucléaire militaire est par nature antagonique avec la démocratie. Que dire de sa pertinence dans un contexte géopolitique radicalement différent, où les principales menaces ne se trouvent plus dans l’au-delà d’un rideau de fer. L’arme nucléaire n’est d’aucune utilité face à un chef d’Etat voyou, face à un chef de guerre rebelle, face à un groupe terroriste mobile ! L’arme nucléaire ne protège d’aucun des nouveaux risques, son anachronisme est flagrant. Je considère que la France aurait tout intérêt à montre le chemin en prenant des initiatives fortes vers un désarmement unilatéral à l’instar de la Suède ou de l’Afrique du Sud. »
Nous avons pour conclure une pensée pour Louis Lecoin, celui qui a permis le statut des objecteurs de conscience en France. Il entamait en 1964 sa dernière campagne pour le « désarmement unilatéral de la France » : « La France doit déclarer la Paix au monde. » C’est avec lui qu’on peut dire qu’un désarmement unilatéral donnerait à la France la meilleure place et la plus enviable dans la mémoire des hommes, de tous les hommes devenus citoyens égaux dans un monde sans frontières et à unique patrie. Ce désarmement unilatéral devrait même être généralisée dans les pays développés : moins d’énergie, d’eau, de déplacements, de viande, de véhicules, de climatiseurs, de piscines sur le pas de la porte, de gadgets en tous genres… Réduire, renoncer, sacrifier. Personne ne serait exempté. S’orienter vers un mode d’existence où il y aurait moins de biens, plus du tout de bombes mais beaucoup plus de liens…
* LE MONDE du 21 février 2015, éditorial : François Hollande et l’orthodoxie nucléaire
** LE MONDE du 21 février 2015, François Hollande : « Le temps de la dissuasion nucléaire n’est pas dépassé »