Gilles Lacan, résilience et protectionnisme

contribution de Gilles Lacan

Partons du constat que les évènements majeurs pour l’avenir de l’humanité sont désormais le réchauffement climatique, causé par l’accroissement des émissions de gaz à effet de serre (GES), d’une part, et l’effondrement de la biodiversité, consécutif à l’expansion géographique de l’espèce humaine, d’autre part. Ces phénomènes sont désormais bien établis et documentés par les études scientifiques, dont l’opinion convergente est qu’ils échappent progressivement à tout contrôle. La logique économique du système s’est avérée plus forte que la volonté politique de le réformer.

Force est de constater que les stratégies d’évitement du réchauffement climatique mises en œuvre depuis le sommet de Rio en 1992 se sont révélées inopérantes, en tout cas incapables d’arrêter la poursuite d’un phénomène pourtant identifié. Anticiper les situations de stress et de pénurie pour mieux y résister le moment venu ou, comme le disait Kennedy, « réparer sa toiture lorsque le soleil brille ». C’est dans ce cadre contraint qu’il faut envisager l’avenir d’un point de vue écologique. Les scientifiques le répètent à l’envi, l’évitement d’un dérèglement majeur du climat n’a plus désormais de réelles chances d’être atteint. De surcroît, la recherche d’un tel évitement n’a de sens qu’à l’échelle mondiale. Un pays comme la France n’a pas la dimension suffisante pour y contribuer de manière significative. Aucun grand pays ne le fait, les hommes ne sont pas des colibris. Il est dès lors plus réaliste d’essayer de s’adapter par avance au futur annoncé. Pour autant, un tel choix n’est pas synonyme de facilité. Il s’agit, en effet, de renforcer dès maintenant les capacités de résilience des différents territoires afin de leur permettre d’affronter les conditions qui y prévaudront par la suite.

Si elles ne remettent pas en cause les fondements de l’économie de marché, les politiques de relocalisation en assurent la régulation au niveau national, là où s’exerce la souveraineté. Dans un monde en proie aux évènements climatiques extrêmes, la résilience du système pris dans son ensemble comme dans chacune de ses parties doit être prioritairement recherchée dans l’instauration d’espaces économiques autonomes. Ceux-ci sont en effet moins vulnérables qu’un système global intégré, à la fois parce que chaque territoire est autosuffisant en ressources et parce que les territoires dans leur ensemble se trouvent mutuellement protégés des réactions en chaîne en cas de défaillances survenues dans l’un d’entre eux. De surcroît, à la différence des stratégies d’évitement, qui n’ont de portée qu’au niveau planétaire, les politiques de relocalisation produisent la plus grande partie de leurs effets dans les espaces où elles sont mises en œuvre.

Ces politiques, toutefois, se heurtent à deux obstacles. Le premier est qu’un Etat ne peut pas relocaliser sa production de biens dans un système mondialisé, soumis au principe de la libre concurrence, sans recourir au protectionnisme. Le second est qu’en réduisant, par l’instauration de barrières tarifaires, le volume du commerce international, les relocalisations s’opposent à l’un des principes majeurs du libre-échangisme, formulé par Ricardo, combattu par Malthus mais soutenu par Marx : la théorie des avantages comparatifs. Elles vont, en fait, à rebours des politiques menées tant par l’Organisation mondiale du commerce que par l’Union européenne. Si elles ne remettent pas en cause les fondements de l’économie de marché dans l’ordre interne, elles en assurent la régulation au niveau de l’Etat, là où s’exerce la souveraineté, dans les échanges avec le reste du monde.

En ce qui concerne la France, la relocalisation devrait entraîner un redéploiement de l’activité depuis le secteur des services vers ceux de l’agriculture et de l’industrie, de manière à ce que soient produits sur le territoire les biens considérés comme stratégiques. Un tel rééquilibrage n’est pas optionnel, il conditionne le rétablissement de notre souveraineté alimentaire et industrielle. L’offre de services aussi sera réduite, y compris en matière de santé et de soins à la personne. Il ne faut pas sous-estimer, par ailleurs, l’impact de la relocalisation sur la consommation et le niveau de vie des ménages. Les pertes de productivité devraient être lourdes, du fait notamment de la différence entre le coût du travail en France et celui pratiqué dans les pays dont nous importons les produits : le salaire mensuel minimum est de 300 € en Chine, 165 € au Vietnam, 88 € au Bangladesh, 24 € en Ethiopie. Nous devrons payer le surcoût consécutif à la production nationale des biens, auquel s’ajoutera celui causé par le renchérissement de l’énergie. Les biens aujourd’hui importés coûteront donc plus cher, ils seront moins accessibles. L’offre de services aussi sera réduite, fournie par des actifs moins nombreux, tant dans le secteur public que dans la sphère marchande, y compris en matière de santé et de soins à la personne. L’espérance de vie devrait diminuer.

La décroissance n’est pas une idéologie, un changement de paradigme ou d’imaginaire, porté par un homme nouveau qui serait enfin devenu bon mais qui (heureusement) n’existe pas. C’est l’organisation raisonnée, pour assurer notre propre perpétuation, d’un ralentissement durable de la production et de la consommation. Il s’agira, en réalité, d’une décroissance d’adaptation : ni vraiment subie, parce qu’organisée pour éviter l’effondrement, ni vraiment souhaitée, parce que posant des limitations au niveau de vie.

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Gilles Lacan définit l’écologie résiliente

extraits : Ce texte s’inscrit dans la conjecture d’une incapacité de la société industrielle mondialisée à poursuivre sa course technologique sans détruire de manière irréversible, à l’horizon d’une génération, les équilibres systémiques planétaires qui ont permis et accompagné depuis quelque dix mille ans l’avènement de l’humanité. Il porte un projet, limité à la France, de décroissance économique et démographique, dans le contexte, sans doute subi, d’une contraction du commerce international et d’une relocalisation de la production. Dans ce contexte, l’Etat et les autorités décentralisées, aux ressources amoindries, auront pour première mission d’assurer….

Gilles Lacan : contre MARX, la modernité de MALTHUS

extraits : Le génie de Malthus est d’avoir vu, cent soixante-quinze ans avant le Club de Rome, que les limites physiques de la nature – pour Malthus, les terres agricoles – ne permettaient pas une expansion indéfinie de la production des biens – pour Malthus, les subsistances. Vision plus lucide que celle de Marx, pour lequel la société communiste est une société d’abondance : « Quand, avec l’épanouissement universel des individus, les forces productives se seront accrues, et que toutes les sources de la richesse coopérative jailliront avec abondance – alors seulement on pourra s’évader une bonne fois de l’étroit horizon du droit bourgeois, et la société pourra écrire sur ses bannières : De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ! », déclarait ce dernier en 1875….

Synthèse sur le flux migratoire en France (fiche réalisée par Gilles Lacan)

extraits : L’apport de l’immigration à l’économie française est controversé. L’idée centrale qui milite dans le sens d’un apport positif est que les immigrés sont essentiellement des actifs en termes de classes d’âge, que leur population compte relativement moins d’enfants et moins de personnes âgées que le reste de la population… Cependant, à cette immigration de « travail » s’est substituée à partir de la seconde moitié des années 1970 une immigration de « peuplement », principalement fondée sur le regroupement familial. Aujourd’hui, il est difficile de faire la part des choses, d’autant que les études économiques sont souvent moins faites pour connaître la réalité d’une situation que pour corroborer un positionnement politique déjà arrêté avant qu’elles soient effectuées….

Quelques précisions de Gilles Lacan

Les émissions de GES résultant de l’activité économique ne cessent d’augmenter à l’échelle de la planète, alors qu’il faudrait qu’elles diminuent fortement pour stabiliser la concentration de ces gaz dans l’atmosphère. Les températures vont donc continuer de progresser à due proportion – sans doute même de manière accélérée compte tenu de plusieurs effets de bascule – pour atteindre des niveaux ayant une incidence sur la santé des populations concernées et sur la survie d’une partie d’entre elles. Quant à l’effondrement de la biodiversité, déjà en partie réalisé, il est directement corrélé à l’accroissement du nombre des humains, à leur occupation de la totalité des territoires habitables et à la satisfaction de leurs besoins élémentaires, quel que soit par ailleurs leur niveau de richesse. Le déclin massif des populations animales est apparu au cours des années 1970, lorsque l’humanité a atteint puis dépassé le seuil des 4 milliards d’individus ; depuis il n’a fait qu’empirer. Aucune correction de cette tendance n’est envisageable sans une diminution quantitative de l’espèce humaine, qui occupe depuis des dizaines de milliers d’années le sommet de la chaîne de prédation. Rappelons qu’au sein de la classe des mammifères terrestres, l’homme et les animaux domestiques représentent aujourd’hui 96 % de la masse corporelle totale, la faune sauvage 4 %.

A cela s’ajoutent d’autres menaces directement ou indirectement liées à l’environnement comme la pénurie énergétique, qui devrait résulter de l’épuisement des ressources pétrolières, ou encore la dégradation des sols, causée par leur usage anthropique, qui affecte déjà une partie importante des terres arables de la planète et met en péril l’alimentation de populations de plus en plus nombreuses.

Bien sûr, aucune de ces prévisions n’a de caractère inéluctable. Divers évènements, comme celui d’un conflit mondial, peuvent les perturber et précipiter l’humanité vers d’autres possibles, pas forcément meilleurs.

12 réflexions sur “Gilles Lacan, résilience et protectionnisme”

  1. Didier Barthès

    Encore une fois la réalité n’a pas invalidé les theories de Malthus. Elles sont en pleine realisation. Nous détruisons le monde par notre omnipresence. Par contre celle de Marx l’ont toujours été. Tous les peuples qui les ont essayées n’ont eu ensuite qu’un rêve : en sortir. Seuls leurs dictateurs en étaient contents. Arrêtons d’appeler ça des tentatives ratées, c’est par nature que le communisme est une folie.

  2. La théorie des avantages comparatifs a été conçue et formalisée par Ricardo pour favoriser le libre-échange et s’opposer au protectionnisme. En Angleterre, la législation douanière (les Corn Laws) protégeaient les propriétaires fonciers et les agriculteurs de la concurrence étrangère. De 1815 à 1846, le pays a été divisé sur cette question. Les industriels étaient pour l’abolition des Corn Laws afin de favoriser la baisse du prix du pain et donc la baisse des salaires. Ricardo était partisan de l’importation des céréales et de l’affectation de la main d’oeuvre anglaise dans l’industrie plutôt que dans l’agriculture. En 1846, les Corn Laws ont été abolies. Marx, d’une autre génération, est intervenu dans le débat plus tardivement, lui aussi comme Ricardo en faveur de l’abolition. Malthus au contraire a défendu l’agriculture anglaise, la souveraineté alimentaire de l’Angleterre, le protectionnisme et les Corn Laws.

    1. Que pensait Malthus des enclosures et du Capitalisme ? Même s’il ne peut pas nous le dire, du fait que lui aussi il est mort, ceux qui l’ont longuement lu, et qui le voient comme un génie… voire un messie… devraient pouvoir m’éclairer.
      Ce qui nous renvoie à ma question à 11:37 : OUI ou NON ?

  3. Esprit critique

    – « Vision plus lucide que celle de Marx, pour lequel la société communiste est une société d’abondance : « Quand, avec l’épanouissement universel des individus, les forces productives se seront accrues [etc.] la société pourra écrire sur ses bannières : De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ! » »
    ( Biosphère : “Gilles LACAN : contre MARX, la modernité de Malthus” )

    Que veut dire «De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » ?
    Je doute que Marx parlait là des besoins des bourgeois de son époque, et encore moins des «besoins» de nos actuels, petits ou gros peu importe.
    C’est quoi l’abondance ? Marx voulait-il dire opulence, profusion, grande quantité, supérieure aux besoins… gabegie, gaspillage etc. ? Ou alors pensait-il plutôt à l’aisance ?
    C’est quoi l’aisance, c’est quoi la richesse ?
    Et c’est quoi « l’épanouissement universel des individus » ?

    1. Esprit critique

      – « Les besoins étant relatifs, et la société capitaliste poussant à une aliénation consumériste, on peut argumenter qu’une société socialiste serait composée de citoyens globalement plus sobres. Néanmoins, selon de nombreux écologistes (en particulier les objecteurs de croissance), une restriction notable de nombreux secteurs de consommation serait nécessaire. Dans ces conditions, l’idée d’abondance est-elle remise en question ?
      Ces questions soulèvent des débats y compris au sein du marxisme »
      ( Abondance -wikirouge.net )

      Encore faut-il pouvoir débattre sérieusement…

    2. Bonnes questions, mais qui malheureusement, du fait de la mort de Marx, demeureront sans réponse du principal intéressé.

  4. De mon côté je suis désolé, mais je ne parviens pas à comprendre le message. Ni ce que cherche à nous «vendre» Gilles Lacan. Si ce n’est SA décroissance (“Gilles Lacan définit l’écologie résiliente” Biosphère juillet 2020).
    Je ne savais pas non plus que Marx avait soutenu la théorie des avantages comparatifs…
    Pour Malthus c’est pareil, de la même manière que nous ne nierons pas ce qu’il a dit, ne lui faisons pas dire ce qu’il n’a pas dit.
    – Discours sur la question du libre-échange (K. Marx 1848 – marxists.org)
    – Le visiteur de Genève : Malthus, l’Organisation mondiale du commerce et l’agriculture (cairn.info)

    Je pense qu’il vaudrait mieux commencer par appeler un chat un chat et être clair sur un point.
    Voulons-nous en finir du Capitalisme (pudiquement appelé «économie de marché»)… OUI ou NON ?
    (à suivre)

    1. (suite) Parce que si la plupart des détracteurs de Malthus s’attachent à démontrer l’inexactitude de sa théorie concernant les évolutions respectives de la population et des ressources (sic “Gilles LACAN : contre MARX, la modernité de Malthus”) … d’un autre côté la plupart des modernes détracteurs de Marx s’attachent à «démontrer» que le Communisme est et ne peut-être qu’une horreur. Choisis ton camp camarade !
      Or je suis encore désolé, mais si la théorie de Malthus n’a pas eu besoin de Marx pour être invalidée (ce sont seulement les faits qui s’en sont chargés), ce ne sont pas les expériences ratées ici ou là (parfois horriblement) qui invalident celles de Marx.
      Quoi qu’il en soit, tant que nous persisterons à chercher des solutions dans ce cadre de pensée, celui du Système capitaliste, nous ne ferons que tourner en rond.

      1. Nous serons donc d’accord. La THEORIE de Marx est certainement la meilleure du monde, à condition de ne jamais la mettre en pratique.
        Comme disait Prévert, « Notre Père qui êtes aux cieux,
        Restez-y.
        Et nous, nous resterons sur la terre
        Qui est quelquefois si jolie ».

        1. Didier Barthès

          Ne mettons toutefois pas Marx au niveau de Dieu, l’un a créé l’univers et l’autre engendré catastrophes sur catastrophes.

        2. Parti d'en rire

          Moi je m’en fous, je n’ai ni dieu ni maître ! Mais de là à dire que Marx n’a engendré que catastrophes sur catastrophes, là il faut soit… ne pas l’avoir lu, et/ou compris… soit être d’un anti-gauchisme primaire à toute épreuve. Ou les deux et en même temps, et peu importe les proportions. Misère misère !

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