Gisèle Halimi, maternité n’est pas obligée

Le dernier message de Gisèle Halimi, morte à 93 ans le 28 juillet : « Je ne crois pas en une « nature » féminine pas plus qu’en une « nature » masculine. Je ne crois pas en « l’éternel féminin », cette aimable plaisanterie inventée par des machistes pour mieux nous circonscrire. Les théories essentialistes ne sont pas ma tasse de thé. J’ajoute : refusez l’injonction millénaire de faire à tout prix des enfants. Elle est insupportable et réduit les femmes à un ventre. Dépossédées de tout pouvoir, elles n’ont longtemps eu droit qu’à ce destin : perpétuer l’humanité. Et malheur aux femmes stériles (qu’on ne se privait pas de répudier) ou au choix de la « nullipare » : il était incompréhensible, sinon répréhensible. La « mère » était souveraine. La littérature, les conventions sociales, la publicité, les lois en ont créé un stéréotype, que l’on assoit sur un trône, auréolé de son abnégation et de son oubli d’elle-même. On méprise la femme, mais on vénère la mère, dont l’enfant devient l’ornement.

J’ai moi-même enfanté. Par trois fois. Ce n’était ni par conformisme ni par besoin de substitut. Mais par curiosité. Une curiosité insatiable, trait fondamental de mon caractère. Une curiosité féministe : je voulais savoir ce que grossesse et accouchement provoqueraient dans mon corps et dans ma vie de femme. Aurais-je encore envie de lire des nuits entières ? De faire l’amour ? D’écouter de la musique ? Pourrais-je travailler, plaider, interférer avec les autres ? Porter et mettre au monde un enfant me semblait l’ultime expérience de mon destin biologique. Il fallait que je le vive plutôt que de le lire pour le théoriser. Et puis je l’avoue, je désirais une fille. Chaque fois. De toute mon âme. C’eût été si intéressant ! Quel défi pour une féministe ! Élever une fille dans un monde régi et pensé par les hommes. L’éveiller à ses dons, lui révéler sa force et lui donner confiance. Incarner la femme libre qu’elle aurait été plus tard. Lui offrir en somme tout ce dont ma mère Fritna m’avait privée. Fritna qui roucoulait : « Mon fils, mon fils ! » mais me refusait toute étreinte et le moindre baiser…

Eh bien j’affirme que la maternité ne doit pas être l’unique horizon. Et que l’instinct maternel est un immense bobard à jeter aux poubelles de l’histoire. Je n’y ai jamais cru. La vie n’a fait que confirmer mes intuitions. Alors j’insiste : soyez libres ! La maternité n’est ni un devoir ni l’unique moyen d’accomplissement d’une femme. Elle mérite réflexion, considération, sans aucune autocensure : pourquoi faire un enfant ? Sauver le monde ? Se reproduire ? Laisser une trace ? Ce doit être une décision prise en liberté, et en responsabilité, hors pressions bibliques ou conditionnement social. Un engagement réfléchi et lucide. »*

Pour en savoir plus grâce à notre blog biosphere :

8 mars 2020, Écoféminisme et question démographique

29 décembre 2018, Faire moins d’enfants, c’est le geste écolo primordial

28 février 2018, Nullipares, childfree, les personnes sans enfants

22 décembre 2017, Le tabou de la contraception en France et en Afrique

29 décembre 2016, Féminisme, sensibilité écologique et refus de maternité

28 octobre 2016, Je regrette vraiment d`avoir eu un enfant

31 mai 2014, Démographie et Ecologie, un sujet extrêmement tabou

20 février 2014, Est-ce vraiment rétrograde que d’accepter sa stérilité ?

30 octobre 2013, Surpopulation, la faute aux machos et autres sexistes

8 mars 2012, sombrer dans le chaos par surpopulite aiguë

16 mai 2010, liberté contraceptive ou planification ?

29 juin 2008, accepter sa stérilité

* extraits du dernier livre de Gisèle Halimi, « Une farouche liberté », reproduits par LE MONDE papier du 13.08.2020

2 réflexions sur “Gisèle Halimi, maternité n’est pas obligée”

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