Mon
tout est un homme-machine dans une maison-machine dans une
ville-machine dans un monde-machine. Un emboîtement de machines
intégrées les unes dans les autres, en vue d’un contrôle
optimal : téléphone portable et smartphone, instrument
d’aliénation, de surveillance et de destruction massive ; puces
communicantes RFID qui infestent rapidement tous les objets fabriqués
et tous les êtres vivants afin de les tracer – animaux domestiques
(chiens, chats, moutons), objets et papiers personnels, et maintenant
de plus en plus d’humains eux-mêmes, notamment des salariés. Et
puis Linky, le capteur communicant d’Enedis, autant destiné à
aspirer les données de 35 millions de foyers qu’à réguler de
manière autoritaire leur consommation d’électricité. Et au-delà
Internet, big data, algorithmes, IA, etc. Cette machinerie –
machination -, nous (pièces et main d’œuvre) l’avons
dénoncée dès 2008 : « La société de
contrôle, nous l’avons dépassée ; la société de
surveillance, nous y sommes ; la société de contrainte, nous y
entrons. » Voyez le chapitre intitulé « Le
Pancraticon, ou l’invention de la société de
contrainte »(L’Echappée, 2008), en conclusion de Terreur
et possession, notre enquête sur la police des populations à
l’ère technologique .
Par « police », il faut
entendre ce que le dictionnaire définit comme « l’organisation
rationnelle de l’ordre public, dans un groupe social » et qui
va bien au-delà de ce qui est souvent nommé de façon évasive
comme « gestion ». Ce Pancraticon, cette police machinale
et toute-puissante, c’est « l’organisation rationnelle »
de la société que Saint-Simon (1760-1825) et Engels (1820-1895)
appelaient jadis de leurs vœux dans une formule célèbre et
saisissante : « Remplacer le gouvernement des hommes
par l’administration des choses ». On peut dire aussi
techno-totalitarisme. Il revenait à Norbert Wiener (1894-1964) et à
la cybernétique de concevoir et d’implémenter l’infrastructure
matérielle de cette « machine à gouverner » (Le
Monde, 1948). C’est fait. Si la critique de la déshumanisation
s’est diffusée, notamment dans le mouvement de refus des capteurs
communicants, elle ne fait que suivre le progrès de la
déshumanisation. Où il s’avère une fois de plus qu’anticiper
la techno-trajectoire ne suffit pas à l’enrayer. Notre critique de
la « ville intelligente » et de la « planète
intelligente », à l’époque où IBM en testait les
connexions, a éveillé l’intérêt d’auteurs de fictions
« d’anticipation », qui y ont pompé des scénarii ;
moins celui des militants ou des cercles supposés soucieux des
libertés et des droits humains. Comme si déléguer nos vies et nos
villes au système cybernétique ne menaçait ni les unes ni les
autres. Comme si l’invasion technologique n’était pas une
question politique. La « ville intelligente » n’est
plus un business plan d’IBM, mais le programme du prochain
mandat de n’importe quel maire de métropole, de ville moyenne
sinistrée, de smart village et de smart territoire (sic). D’où la
5G, l’Internet des Objets, l’électrification et la numérisation
de la moindre parcelle de vie. Ne reste plus qu’à transformer les
hommes en choses.
C’est
à quoi s’affaire désormais la société de contrainte.
Notre entretien
avec L’Age de
faire conclut
un dossier* de huit pages consacré à l’oppression numérique,
c’est-à-dire aux manifestations de la société de contrainte sur
lesquelles nous enquêtons depuis 2001. A
lire sur papier dans le
numéro de mai 2019 (2€, en vente dans tous les bons endroits et au
journal* lui-même) Merci de faire circuler,
Pièces et main
d’œuvre
C’est peut-être encore pire que pour le désastre écologique, tout le monde voit où on va, mais pas grand monde s’en inquiète réellement. Au contraire, tout le monde où presque semble y trouver son compte. La « société de contrainte », le « Pancraticon », ça nous rappelle non seulement les plus grands romans de dystopie, mais aussi « Le chien et le loup » de La Fontaine, ainsi que « De la servitude volontaire » de la Boétie.
Ce qui est terrible c’est que les générations nées dans ce monde n’en voient plus le caractère liberticide, et donc sont particulièrement mal préparées à lutter contre ces dérives. En ce moment se met en place la reconnaissance faciale, c’est le pire de tout, la science fiction d’hier va finir par nous paraître comme une aimable plaisanterie.