Jean-Baptiste Fressoz annonce l’apocalypse joyeuse

En ce jour de Noël, passons enfin aux choses sérieuses… Le livre de JB Fressoz* fait une histoire du risque technologique, voici quelques extraits significatifs : « En avril 1855, alors que la foule se presse à l’exposition universelle de Paris pour y admirer machines, locomotives et inventions, paraît « La Fin du monde par la science », écrit par un avocat, Eugène Huzar  : Je ne fais la guerre ni à la science, ni au progrès, mais je suis l’ennemi implacable d’une science ignorante, impresciente, d’un progrès qui marche à l’aveugle sans critérium ni boussole. La science expérimentale est une connaissance a posteriori, elle ne peut anticiper les conséquences lointaines de ses productions toujours plus puissantes. Et ce décalage entre capacités techniques et capacités de prévision conduit inexorablement à l’apocalypse. Huzar possède une imagination débordante. Qui sait si la vaccination ne risque pas d’introduire des maux plus graves encore que ceux qu’elle combat ? Et qui sait si le dioxyde de carbone produit par l’industrie n’entraînera pas une catastrophe climatique ? L’homme par son industrie croit tout au plus égratigner la Terre sans se rendre compte que ces égratignures, par la loi des petites causes et des grands effets, pourraient causer sa mort. Des écrivains, tels Lamartine, Dickens, Flaubert ou Vergne ont lu La Fin du monde par la science et y ont fait référence.

Les sociologues et les philosophes qui, depuis trente ans, pensent la crise environnementale, butent sur une série d’oppositions factices entre modernité et « société du risque ». Nos maux écologiques constituent l’héritage de la modernité elle-même. En présentant une réflexivité très hypothétique, cette thèse de la société du risque a brouillé les connexions entre le passé et le présent pour remplacer l’analyse historique par des typologies abstraites. En effet la confiance qui préside à la transformation technique du monde nécessite des théories qui, en deçà des accidents, en brouillent le sens et en amortissent la portée traumatique. Et après les catastrophes, il faut des discours et des dispositions morales qui les neutralisent, atténuent leur dimension éthique pour les rendre compatibles avec la continuation du projet technologique. Les normes de sécurité, les consultations publiques, les procédures d’autorisation qui prétendaient connaître et contenir le risque eurent généralement pour conséquence de légitimer le fait accompli technologique. Vers 1860, les innombrables plaintes, procès et pétitions ne s’opposaient pas aux chemins de fer mais aux accidents qu’ils provoquaient et aux compagnies soupçonnées de faire des économies au détriment de la sécurité des voyageurs.

Le propre de l’innovation, c’est qu’elle ne peut se subsumer dans des normes générales établies à l’avance. La discussion sur la technique existe, mais elle n’intervient qu’après les première plaintes ou les premiers accidents et donc après le fait accompli technique et après son assimilation à la raison d’Etat. Après 1800, compte tenu de l’importance primordiale qu’acquiert la technique pour l’État, les formes judiciaires, procédurales ou dialogiques de production de vérités sont remplacées par des institutions savantes et administratives. Les corps de métiers n’étaient plus des sources de savoir guidant le gouvernement mais devaient être réformés sous l’égide des institutions savantes. Le public n’était plus une instance dont on attendait un jugement, mais une masse qu’il convenait de guider vers le bien. »

* Jean-Baptiste Fressoz, L’apocalypse joyeuse, aux éditions du Seuil (février 2012)

1 réflexion sur “Jean-Baptiste Fressoz annonce l’apocalypse joyeuse”

  1. La pensée de Jean-Baptiste Fressoz n’est pas toujours éclairée : « Le malthusianisme est un penchant très ancré dans les élites blanches occidentales. Il n’est pas toujours exempt de racisme et est en tout cas souvent dirigé vers les populations pauvres. Aujourd’hui, la montée du thème de l’effondrement peut encore nourrir des affects politiques nauséabonds, telle que la crainte d’une « invasion » migratoire liée à la déstabilisation des pays africains. » (Nouvel Obs, 4 janvier 2019)
    Le terme « nauséabond  » est inapproprié, et les flux migratoires africains vers l’Europe sont aussi une réalité…

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