En France et ailleurs, nous faisons la chasse aux immigrés clandestins. Sur une planète close et saturée d’humains, la politique migratoire se crispe. Demain les réfugiés climatiques ne trouveront plus où aller. Nous continuons à brûler les dernières réserves fossiles qui nous restent, nous accélérons les perturbations de notre météo, nous refusons d’en assumer les conséquences. Ioane Teitiota s’est vu refuser le statut de réfugié par les autorités néozélandaises*. Cet habitant des Kiribati, archipel du Pacifique menacé par la montée des eaux, avait demandé le statut de réfugié.
C’était la première fois qu’une personne réclamait asile en invoquant directement un motif climatique. S’en tenant à la convention de Genève de 1951**, la Nouvelle Zélande a fait valoir que personne ne menaçait sa vie s’il retournait chez lui. Il peut mourir de la montée des eaux, personne n’en est responsable directement ! En fait aucun Etat ne souhaite définir un statut de réfugié climatique. Cela ne servirait d’ailleurs à rien, l’application des principes est non contraignante et dépend de la bonne volonté des Etats.
Télescopage de l’info ! En face de la page traitant de Ioane Teitiota, un article sur le « Retour au charbon »***, la plus polluante des ressources fossiles : « La part du charbon n’a cessé de progresser au cours des quarante dernières années… La part du charbon dans l’énergie consommée est passé à 28,8 % en 2011… la part du charbon n’a cessé d’augmenter dans la production mondiale de CO2 (35 % en 1973, 44 % en 2011 selon l’AIE). » Cela veut dire que les émissions de gaz à effet de serre sont considérées comme une nécessité et que nous en acceptons les conséquences en termes de perturbations climatiseurs. Mais nous refusons dans le même temps de considérer le sort des réfugiés climatiques. Pour nous, c’est évident ; nous avons décidé collectivement de sacrifier une partie de la population en continuant à brûler des réserves (pétrole, gaz, charbon) qui ont mis des millions d’années pour se constituer et que nous allons gaspiller en trois siècles. Il y a quelque chose d’absurde sur cette planète…
* LE MONDE géopolitique du 24 octobre 2013, Ioane Teitiota sera-t-il le premier réfugié climatique ?
** La Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, dite Convention de Genève, définit les modalités selon lesquelles un État doit accorder le statut de réfugié aux personnes qui en font la demande. Cette convention ne développe qu’un seul des deux articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) se rapportant au sujet : l’article 14 sur le droit d’asile sans l’article 13 sur la liberté de circulation. La convention de Genève garantit une protection aux personnes « craignant avec raison d’être persécutées du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ». Cette orientation produit un « droit d’asile dérogatoire » : une philosophie du droit d’asile conçu comme une dérogation à la fermeture des frontières et organisant une sélection politique des « vrais » réfugiés.
*** LE MONDE géopolitique du 24 octobre 2013, retour au charbon
Cet article pose les base d’un problème plus vaste encore : Les réalités matérielles finissent par avoir raison de toutes les règles des sociétés humaines.
Il est par exemple extrêmement probable que les combats écologistes contre l’exploitation du pétrole et du gaz de schistes seront perdus le jour où ces combustibles fossiles manqueront vraiment (bientôt, sans doute dans moins de cinquante ans.) Dans un monde où le litre d’essence sera à dix euros, nous creuserons partout.
Il en est de même des droits d’asile. Sur une Terre surpeuplée où les pressions migratoires seront énormes les bonnes intentions voleront en éclats et nous finirons par repousser manu militari tous les bateaux de clandestins.
Le monde réel fini par imposer ses contraintes. C’est pourquoi la lutte contre la surpopulation est si importante. Si nous saturons la Terre de notre présence, via la consommation d’espace où via la pollution, nous finirons par abandonner tout ce qu’il peut y avoir de générosité en nous.
Ne soyons pas naïfs et ne nous faisons aucune illusion sur ce point.
Harald Welzer est pessimiste
« Comment finira l’affaire du changement climatique ? Pas bien. Ses conséquences marqueront la fin du rationalisme des Lumières et de sa conception de la liberté. Des processus sociaux comme l’holocauste ne doivent pas être compris comme une « rupture de civilisation » ou une « rechute dans la barbarie », mais comme la conséquence logique de tentatives modernes pour établir l’ordre et résoudre les problèmes majeurs ressentis par des sociétés. Il est des livres qu’on écrit dans l’espoir de se tromper. »
Les guerres du climat (Gallimard, 368 pages, 24,50 euros)
Ioane Teitiota n’est pas le seul réfugié climatique
Dans la zone d’influence de l’Australie, des villageois ont déjà été contraints d’évacuer leurs îles (Tuvalu) en raison de l’élévation du niveau de la mer. Le gouvernement australien a refusé d’accueillir ces réfugiés climatiques sur son sol : priorité aux Aussies. Quand on sait que le nombre de réfugiés climatique dépassera sans doute 200 millions en 2050, on mesure l’ampleur du problème et le peu d’importance qu’auront les critères d’humanité. Selon un rapport du Pentagone, « les humains se battent dès que la capacité d’accueil de leur milieu naturel devient insuffisante ; les Etats-Unis et l’Australie seront enclins à bâtir des forteresses défensives autour de leur pays parce qu’ils ont les ressources et les réserves pour assurer leur autosuffisance ».