Contrairement à la conception commune selon laquelle la mobilité est une constante de la société humaine, nous constatons historiquement qu’il n’y a jamais eu libre circulation des personnes. Partout dans le monde ancien, les peuples donnaient un caractère sacré aux portes de leur territoire, village ou ville : aller au-delà impliquait toutes sortes de précaution. Même le roi de Sparte s’arrêtait à la frontière de la Cité pour y effectuer des sacrifices ; à l’extérieur était le domaine de l’étranger et du combat. Jusqu’au XVIIIe siècle, seule une minorité de personnes se déplaçait : les soldats, les marchands, les aventuriers et les brigands. La masse de la population était peu mobile et le vagabondage proscrit ; on naissait, vivait et mourait dans le même village. Les frontières nationales érigées au XIXe siècle n’ont fait qu’actualiser cette constante humaine, la délimitation d’une appartenance territoriale. Mais le niveau de surpopulation de certains territoires est en lien étroit avec les migrations qui servent d’exutoire. Depuis la colonisation, la mobilité géographique devient une nécessité. Aujourd’hui, ce n’est plus quelques conquistadors qui s’aventurent au-delà de mers, ce sont des peuples tout entier. Le dernier rapport de l’OIM (Organisation internationale pour les migrations) indique que la mobilité humaine est sans précédent. Nous cumulons 214 millions de migrants internationaux et près de 1 milliard en comptant les migrations internes (ONU, 2012). Cela s’accompagne de perception anxiogène et d’image négative des migrants, de manifestation de xénophobie et d’attitudes discriminatoires, d’une percée électorale de l’extrême droite et des partis nationalistes. Nous sommes dans une sorte de spirale infernale avec des manifestations de peur, de rejet et de violences un peu partout dans le monde.
Fin septembre 2006, le sénat américain a fini par approuver l’installation d’une clôture de 1123 km le long de la frontière du Mexique. En 2005 a été créée par l’Europe une « Agence pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne ». L’agence s’appelle désormais Frontex. Son budget, doté à sa naissance 6,3 millions d’euros, a été multiplié par quinze en cinq ans. Un règlement du 26 avril 2007 a prévu la mise sur pied d’équipes d’intervention rapide aux frontières, Rapid Border Intervention Teams, RABITs. Les Européens s’efforcent aussi d’arrêter les immigrants avant même qu’ils n’arrivent aux frontières de leur territoire. La puissance politique et économique de l’Union Européenne est employée pour faire de pays comme le Maroc ou la Libye des partenaires coopérant à la délocalisation de la violence, une sorte de déculpabilisation technique en somme.
En France, le nouveau projet de loi sur l’immigration débattu à l’Assemblée nationale à partir du 28 septembre 2011 renforçait les facilités d’expulsion des étrangers en situation irrégulière. FN et Droite populaire mettent en avant une politique de codéveloppement pour inciter les populations candidates à l’immigration à rester dans leur pays d’origine. Côté UMP, on parle d’un « plan Marshall du codéveloppement en jumelant chaque nation européenne à tous les pays de bonne gouvernance ». Côté FN, on veut « prendre l’initiative d’organiser régulièrement une conférence euro-africaine réunissant les pays concernés afin de déterminer les besoins et de mettre en œuvre les moyens destinés à fixer les populations dans leurs pays d’origine » Restez chez vous est le mot d’ordre de la droite plus ou moins extrême. Ce raidissement nationaliste contamine la gauche et les socialistes français commencent à se remettre en question. Le flou doctrinal succède à l’indignation contre toute mesure anti-immigrée, le pragmatisme l’emporte sur l’humanisme. C’est en 1981, sous François Mitterrand, qu’avait été légalisée et organisée la rétention administrative. C’est Paul Quilès, en tant que ministre de l’intérieur, qui avait fait passer dans la loi en 1992 le système des zones d’attente. Le rapport sur l’immigration préparé en 2004 par Malek Boutih, alors secrétaire national aux questions de société, n’a jamais été rendu public ; il proposait une politique de l’immigration rigoureuse, avec quotas, suppression de la bi-nationalité, nouvelle législation sur le titre de séjour : « Il faut sortir d’un simple rapport humanitaire et charitable avec l’immigration. » Reniement de la part d’un ancien président de Sos-Racisme ? En fait Malek Boutih mettait en évidence le fait que, sans organisation de l’immigration, les phénomènes de discrimination s’enracinent dans la population. A la question « Faut-il régulariser massivement les sans-papiers ? », tous les candidats à la primaire socialiste du 9 octobre 2011 étaient « contre » et défendaient le « cas par cas » avec seulement quelques nuances : normes de « vie de famille », de travail et d’années de présence ou preuves d’« intégration », comme la maîtrise du français jusqu’aux « reconduites à la frontière ».
(Extraits du chapitre rédigé par Michel Sourrouille)
Moins nombreux, plus heureux (l’urgence écologique de repenser la démographie)
Précision: quand j’écris « a beaucoup évolué », c’est bien sûr très relatif. Quand on part de zéro tout changement est un grand bond en avant.
Le problème est qu’on est censé être africain pour avoir le droit d’en dénoncer la démographie galopante, et encore! Pourtant même le Pape a beaucoup évolué sur la question. Quand par idéologie on refuse ce constat et les solutions humaines à envisager, il ne reste que deux solutions: soit on nie tout problème (humanisme naïf), ce qui évidemment ne l’éliminera pas, soit on accuse l’immigration (populisme à la FN) , mais c’est prendre le symptôme pour le mal.